Liber a écrit:Pas besoin pour Schopenhauer de se trifouiller le cerveau comme Kant pour savoir si on peut prouver que Dieu existe ou qu'il n'existe pas.
En même temps, Kant a fait le boulot avant lui.
Liber a écrit:Tu remarqueras que pas une seule fois dans le Monde... Schopenhauer ne s'embarrasse de cette question, pourtant centrale jusqu'à lui dans la philosophie occidentale. Ce qui saute aux yeux de n'importe quel lecteur de la Critique de la Raison pure, est l'importance de ces questions chrétiennes, alors que Schopenhauer ne s'en soucie pas, hormis sur la question morale, et encore uniquement pour le sentiment de pitié.
Mais est-ce qu'on ne peut pas voir la Volonté comme une force remplaçant Dieu, à la manière dont Spinoza parle de Dieu, c'est-à-dire la Nature ?
Liber a écrit:Penses-tu que la raison chez Kant ne soit pas soutenue par les sentiments ?
Certainement, et je suppose que cela motive la croyance qu'il a dans la toute-puissance de la raison (il est tout de même curieux, comme le dit Nietzsche, que la raison soit juge et accusée).
Liber a écrit:"J'espère dans la vie éternelle", est-ce vraiment raisonnable ? "Je crois en un Être suprême", raisonnable ? "Je sens une âme dans mon corps périssable", encore raisonnable ? Il n'y a pas croyances plus contre-nature et plus miraculeuses
L'espérance n'a pas besoin de se justifier. Pour le reste, ce n'est pas nouveau, la philosophie et la logique ont depuis l'Antiquité été amenées à reconnaître un Être suprême (comme premier moteur par exemple) ou la distinction de l'âme et du corps. Mais là encore, c'est croire à la raison et même à la grammaire. Voltaire lui-même était déiste, non ?
Liber a écrit:Je ne peux pas trancher sur l'existence des ovnis, donc je dois y croire, cette foi s'impose à moi : elle est rationnelle. C'est absurde de raisonner comme ça sur les ovnis, non ? Alors pourquoi ça marche avec Dieu et pas avec les ovnis ?
Ces deux objets n'ont pas le même statut. La pensée conçoit une cause première, de l'infini, etc., et en plus l'homme sent le besoin de se rattacher à une force supérieure qui donne un sens à sa vie. La croyance est ainsi justifiée pour la pratique, même si elle excède la connaissance théorique (ou théorétique ?) et parce qu'elle demeure sollicitée par la raison, d'une part parce qu'elle est l'aboutissement d'un raisonnement logique, d'autre part parce que la raison est circulaire et unifiante, elle trouve en Dieu de quoi boucler la boucle. A ce que je sache, je n'ai pas besoin des ovnis pour vivre ni pour modéliser la totalité de l'être et de la connaissance. C'est comme cela que je le comprends, maintenant je ne soutiens pas Kant puisque je pense qu'il se trompe en accordant autant de crédit à la raison, il me semble cependant que si toute croyance est irrationnelle, comme l'est la foi pour Pascal, elle est rationnelle dans la façon que l'individu a de l'appréhender, de la comprendre et de la vivre. En soi la croyance n'est pas mauvaise, et même sans croire en Dieu nous croyons en notre quotidien, nous avons des habitudes, nous donnons un certain sens à notre existence, nous pouvons même encore être superstitieux ou croire en la science. La croyance permet d'habiter le monde et d'y développer notre puissance, en cela même une croyance religieuse peut avoir du bon, puisqu'elle est un facteur de confiance. Il faut néanmoins savoir ce que l'on fait de cette croyance, à quoi elle sert. Avec Kant le problème est, en effet, de passer par des portes dérobées quand les autres sont très clairs et assument leur croyance, tout ça pour imposer à l'homme une morale impossible à laquelle obéir. Le plus enrageant, d'un point de vue religieux, est peut-être de se servir de Dieu pour rabaisser l'homme et l'enchaîner (sous couvert de lui promettre une libération) quand la morale devrait servir l'homme et l'homme servir Dieu. Postuler Dieu, même si c'est dans l'ordre de la raison, sert finalement de prétexte à la morale. On pourrait, de plus, dire que lorsque l'on nous promet le règne de la liberté du nouménal sur le monde phénoménal, il s'agit en réalité de conformer le monde sensible au diktat de l'abstraction, du formalisme.
Liber a écrit:Et on en revient à Pascal, toujours lui, "Le cœur a ses raisons..."
Oui mais avec Pascal la foi n'est pas d'emblée dans la raison, les deux sont bien distincts, seulement le cœur a plus de force que la raison par son évidence et la raison, par la suite, en reconnaissant ses limites et son impossibilité à comprendre l'irrationnel, reconnaît et légitime le sentiment. Seulement, la raison ne peut prouver la foi et les évidences du cœur (c'est pourquoi on va combattre la théologie scolastique) et la foi ne peut rien dire à la raison, sinon qu'elle n'est pas toute puissante et qu'il manque quelque chose à celui qui ne suit que la raison. Il faudrait quand même que je relise les Pensées pour être précis sur la relation entre les deux ordres. Contrairement à Kant, Pascal est sceptique vis-à-vis de la raison, ou plutôt du raisonnement, qui peut nous illusionner, et il place au-dessus d'elle le cœur, puisque le raisonnement ne peut prouver les certitudes ou vérités premières que nous sentons.
Liber a écrit:Du côté des hommes en bonne santé (cf. Gœthe : "romantisme = maladie, classique = sain"). Quand tu lis le rubicond Diderot, le pétillant Voltaire, et que tu passes ensuite aux larmoyants romantiques, tu entres dans un hôpital.
Ça c'est sûr, ils sont plus vivants et plaisants, ils sont vivifiants, mais je trouve plus de beauté et de profondeur (même si elle serait illusoire, elle fait son effet) aux romantiques. Tout à l'heure encore je lisais Hölderlin et c'est magnifique, voire sublime, très loin devant les bons mots des français. Mais pour apprécier chaque tendance à sa juste valeur il peut être bon d'alterner, afin de connaître le chaleureux Diderot et le sérieux viscéral des allemands.
Tu peux toujours me dire évidemment que la maladie a ses vertus, comme faisait Nietzsche, mais ce sera toujours en rapport avec la santé, et même la Grande Santé, comme un asthmatique rêve de courir à pleins poumons, et un affamé d'une côte de bœuf grillée avec des frites.
J'aime surtout l'alternance des phases les plus joyeuses et les plus dures, et les mouvements infimes ou les nuances, que ce soit chez les romantiques ou dans l'écriture tragique et héroïque de Nietzsche. La désolation donne plus de goût aux petits riens, à la joie, etc. Plus dure sera la chute, nous transperçant aussi, mais plus agréable sera la délivrance ou la jouissance. La souffrance, même la plus terrible, n'est pas une raison pour condamner la vie, elle est aussi la vie dans son intensité, elle nous met face à elle, lui donne de la valeur, et nous anime, permet que nous cherchions à la dépasser. Elle permet de se perfectionner, de créer et de couvrir la vie de lauriers en la sublimant.