Aristippe de cyrène a écrit: Du reste, Spinoza me paraît assez éloigné de la résignation stoïcienne.
Soit, mais le stoïcisme à son tour n'est pas réductible à la seule résignation, ni incapable de plaisirs, ou encore insensible au bonheur. Le stoïcisme, on l'oublie souvent, c'est d'abord et avant tout une ontologie conséquente, "vécue", on le voit jusque dans leur logique, qui n'a rien à voir avec celle d'Aristote. Comme le disait Jerphagnon :
Bien différent de l'épicurisme était l'esprit du Portique, même si l'on cherchait la même chose : le bonheur sur terre quels que fussent les coups du sort.
Jerphagnon rappelle en outre que les stoïciens sont des
optimistes. Mais, comme ce sont des contemplatifs, ils ne sont pas très expressifs (Spinoza ne l'était pas non plus).
Ayant découvert que tout doit toujours s'arranger pour le mieux de l'ensemble, dont il est lui-même un élément dynamique, le sage - [...] - s'incline devant les dispositions de la divine pronoïa, de la divine Providence. Même là où le commun des mortels, ne voyant pas plus loin que le bout de son nez, voit un mal : la souffrance, la perte d'êtres chers, la mort, lui s'incline, et il ne faudrait pas le pousser beaucoup pour qu'il s'en réjouisse. Naturam sequi, suivre la Nature, tel est le premier et le grand commandement. Mais attention : sans traîner les pieds ! Car la gloire du sage est d'y mettre du sien : non content de se plier à l'ordre excellent de la Nature - c'est ainsi et pas autrement... - il met son honneur à en devancer les injonctions. [...].
[...] [Suivre] la nature, c'est acquiescer de son plein gré, et par préférence, à ma nature en tant qu'elle exprime la Nature universelle. Or, la nature humaine est raison ; il revient donc à chacun de contrôler, d'inhiber si besoin est, les mouvements passionnels. Car - [...] - la passion existe, inversion scandaleuse de la tendance rationnelle. Comme telle, elle est étrangère à la volonté divine. Tout se tenant, la passion est à la fois erreur de l'esprit, maladie de l'âme, affection du corps. Comment, dans ces conditions, rompre ces enchaînements pervers, prévenir ces entraînements fallacieux qui naissent de quelque vice d'appréciation, de quelque erreur d'assentiment ? - Par la pratique de la vertu, dont la forme fondamentale est la phronésis, entendez : la prudence éclairée. Y parvenir exige la mobilisation continuelle d'une énergie peu commune, qu'un Cléanthe se plaisait à vanter. Il y faut du savoir et de la volonté ; en somme, de la physique et du courage.
Ce qu'on appelle résignation stoïcienne ne doit pas nous tromper. Comme tous les Grecs, les stoïciens se méfient des passions. Dès lors, il est tentant d'y voir des êtres résignés, recroquevillés sur eux-mêmes, etc. Leur
apatheia n'est pas notre
apathie.
L'apatheia n'est en rien l'attitude amorphe, schizothyme, ni non plus le je-m'en-foutisme guilleret du bon vivant, et pas davantage l'insensibilité de la glace - car il y a en nous de bons entraînements qu'il ne faut absolument pas inhiber. L'apatheia, c'est exactement la sérénité intellectuelle, la maîtrise de soi, qui porteront des fruits de paix et de bonheur quoi qu'il puisse arriver d'agréable ou de déplaisant.
Gardons-nous d'un autre contresens sur l'attitude du stoïcien. Il n'a rien d'un pénitent qui s'infligerait des macérations, des mortifications "à la chrétienne", pour exercer son âme. Il sait profiter des choses agréables à l'occasion, mais il ne les recherche pas. Il sait supporter sans se plaindre les désagréments, mais pas davantage il ne les recherche. Il ne supprimera pas le chauffage de sa résidence, s'exposant à s'enrhumer bien inutilement, car il arrive que le mieux soit l'ennemi du bien. S'il dispose du chauffage, c'est en toute liberté d'esprit qu'il en usera et, si le chauffage vient à s'éteindre, il n'en fera pas une histoire.
Silentio a écrit: Malgré la tristesse j'aime le monde qui continue d'être et qui a contenu un temps une personne qui y a joué un rôle sans lequel le monde n'aurait pas été le même.
Je crois que c'est essentiel. On peut le dire de la vie. S'il y a une chose que je tiens pour un privilège, une chance, un bonheur, c'est d'avoir plusieurs fois éprouvé un bonheur imprévu, imprévisible et plein, de savoir que certains êtres chers existent, tout simplement. Quand je pense à eux, c'est toujours la reconnaissance qui me vient en premier à l'esprit. Être heureux que certains, qu'on connaît, à qui on tient, de près ou de loin, existent.
Dernière édition par Euterpe le Mar 28 Fév 2017 - 14:34, édité 1 fois