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Kant et la peine de mort.

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descriptionKant et la peine de mort. EmptyKant et la peine de mort.

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Je ne connais pas grand chose à Kant, pour tout dire ce philosophe n'est pas ma tasse de thé. Cependant, au hasard d'un fait divers récent, j'ai été voir ce que notre grand moraliste avait écrit au sujet de la peine de mort. Et là, surprise : Kant y est plus que favorable. Lisez plutôt :

Kant a écrit:
Si le criminel a commis un meurtre, il doit mourir. Il n'y a aucune commune mesure entre une vie, si pénible qu'elle puisse être, et la mort et par conséquent aucune égalité du crime et de la réparation, si ce n'est par l'exécution légale du coupable (Métaphysique des mœurs, Doctrine du droit, II, 1ère section, remarque E).


Plus surprenant, on voit que Kant défend la loi du talion. Il ne pense pas qu'une peine doit être prononcée pour son aspect dissuasif, mais simplement comme une équivalence à la souffrance estimée de la victime. Là est pour lui la justice : évaluer le degré de souffrance d'un être humain et l'en rétribuer par le châtiment imposé au coupable. Nous nous tromperions donc si nous voulions combattre la peine de mort en invoquant son peu d'effet dissuasif. Pour Kant, le meurtrier a sciemment choisi de faire le mal, il ne saurait donc être effrayé par la vue de la mort, le mal suprême. A cette vision de l'homme moral, nous en opposons aujourd'hui une autre : le caractère sacré de la vie humaine, pour reprendre une formulation religieuse. Notre absolu n'est plus le Bien, mais la Vie, au point de ne plus désirer l'ôter au pire des meurtriers, et même, de considérer cet acte comme encore plus infamant que le sien. Il serait intéressant de comprendre comment ce changement radical a pu advenir.
Quand je lis l'emblématique Dernier jour d'un condamné de Victor Hugo, je me sens en total accord avec l'auteur. La part d'homme, donc de semblable qu'il y a en moi avec le meurtrier (supposons-le coupable à coup sûr), se révèle, et je ne puis rien faire pour me la cacher, quelles que soient les raisons que je tente d'y opposer dans ce tribunal intérieur qu'est devenu pour l'occasion ma conscience. Serions-nous (j'emploie le pluriel collectif) devenus plus tendres et donc, fatalement, plus immoraux ? Céderions-nous plus facilement au Mal ? En tous les cas, cela signifie une chose : nous ne croyons plus à l'existence du Bien et du Mal, que ce soit en nous ou hors de nous. Nous ne pouvons donc plus échanger un mal par un autre mal. Nous ne pouvons plus appliquer la peine de mort, et même, nous ne devrions plus appliquer, en bonne logique, toute justice rétributive, comme contraire à la morale, c'est-à-dire, à la conviction que le méchant fait le Mal par méchanceté et que chaque homme sait ce qu'est le Bien et qu'il est libre de ne pas le suivre. Le vieux Platon ne disait-il pas déjà que "nul n'est méchant volontairement" ? Kant, le philosophe des Lumières, se situe donc étonnamment, sur le chemin du droit, bien en amont de Platon, puisque la loi du talion apparaît en 1730 avant J.C, dans le code d'Hammourabi.

descriptionKant et la peine de mort. EmptyRe: Kant et la peine de mort.

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Mon sentiment est que Kant oublie peut-être deux éléments importants : le temps qui passe et comme conséquence possible une prise en charge intellectuelle qui tend à traiter un problème qui ne la concerne pas vraiment au départ.
Il présente les choses comme une sorte de loi physique donc nécessaire, avec une logique qu'on pourrait illustrer par le rééquilibrage naturel des vases communiquants, apparenter au phénomène d'action-réaction, toutes considérations qui nécessitent l'unité de temps, ce qui ma foi me semble convainquant : si je m'imagine dans le feu de l'action je me vois facilement et sans problème majeur si les conditions le permettent appliquer la loi du talion ou la peine de mort en rééquilibrage immédiat et proportionné du préjudice dont je viens d'être la victime.
Autrement dit : on me donne une claque, je la rends illico, rien que de très normal, je ne suis pas Jésus.
Introduisons maintenant le temps.
On me donne une claque et pour certaines raisons je ne peux pas la rendre dans la foulée. Je délègue à la justice cette action, ou je remets à plus tard, éventuellement sous une autre forme, etc. Le problème c'est qu'à cause du temps qui passe, au moment supposé du rééquilibrage je ne suis plus le même, et mon agresseur n'est plus le même. De plus un traitement intellectuel de l'action de départ a commencé à émerger, on s'interroge, on reconstruit, la justice, nous-mêmes, que s'est-il vraiment passé, et pour quelles raisons ? la porte de la salle de bain était-elle ouverte ? Comment alors prétendre rééquilibrer simplement et équitablement ?
D'ailleurs on critique la vengeance, mais finalement ne pourrait-on pas en faire une sorte d'apologie (osée) en considérant que celui qui se venge n'a finalement que réussi à arrêter le temps dans sa tête, fixant et entretenant de façon légitime les événements tels qu'ils se sont passés sans chercher plus loin ni plus compliqué jusqu'au moment où il va rééquilibrer les choses ?

descriptionKant et la peine de mort. EmptyRe: Kant et la peine de mort.

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L'idée de réciprocité dans le processus de justice existait déjà dans l'antiquité me semble-t-il. Mais ceux qui sont partisans de cette vision n'ont pas assez lu Platon et Aristote.

Voyez les mots de Socrate, dans le dialogue Criton :
Pas davantage, donc, à l'injustice commise on ne doit répondre en commettant une injustice

Et ceux d'Aristote :
Certains, par ailleurs, sont d’avis que c’est la réciprocité tout simplement qui constitue la justice. Ainsi prétendaient les pythagoriciens, puisque leur définition identifiait simplement ce qui est juste et ce qui rend à autrui ce qu’on en a reçu. Or l’idée de réciprocité ne s’accorde avec la définition du juste ni dans le cas de la justice distributive ni dans le cas de la justice corrective

Éthique à Nicomaque, livre V, 9.1

Cela me semble tellement logique ! Si la justice tue celui qui tue, elle ne peut être juste, et donc ne peut être appelée justice. Quel crédit pourrait-on accorder à une justice qui userait des mêmes moyens que ceux qui l'ont bafouée ? De même, la justice réciproque deviendrait absurde dans de nombreux cas, exemple : quand on arrêterait un violeur, on l'enfermerait dans une salle, et on le violerait à son tour ; un voleur, on lui volerait tout ce qu'il possède.

Je trouve que ce raisonnement par l'absurde montre bien l'absurdité de ce système de justice...

Dernière édition par Aristippe de cyrène le Dim 25 Sep 2011 - 5:13, édité 1 fois

descriptionKant et la peine de mort. EmptyRe: Kant et la peine de mort.

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Aristippe de cyrène a écrit:
Si la justice tue celui qui tue, elle ne peut être juste, et donc ne  peut être appelé justice. quel crédit pourrait-on accorder à une  justice qui userait des mêmes moyens que ceux qui l'ont bafoué ? De même, la justice réciproque deviendrait absurde dans de nombreux cas, exemple : Quand on arrêterait un violeur, on l'enfermerait dans une salle, et on le violerait à son tour ; Un voleur, on lui volerait tout ce qu'il possède.

Kant reconnaît qu'on ne peut pas toujours juger selon la loi du talion, comme on le fait pour la peine de mort, mais dans ces cas, il propose des équivalences, quand par exemple un riche est condamné d'une amende pour injure verbale, il vaut mieux le punir par l'honneur, en le forçant à présenter des excuses publiques et à baiser la main de l'offensé. La réciprocité existera toujours sur un point, à savoir la violence. Le coupable sera puni. Cela dit, pourquoi cette violence exercée par la justice devrait-elle être aussi importante (autant qu'on peut en décider) que l'acte du criminel ? Il est évident qu'il n'y a aucune utilité à ce qu'un meurtrier soit puni par la mort. Depuis que la peine de mort a été abolie dans de nombreux pays, on n'a constaté aucune recrudescence des homicides. La justice que défend Kant est donc exclusivement morale, elle ne vise à aucune utilité. C'est pourquoi on a pu se méprendre en croyant que sa fameuse maxime enjoignant de considérer l'homme comme une fin et non comme un moyen voulait dire qu'on devait préserver sa vie. En France, nous avons choisi de corriger le coupable, de le remettre dans l'ordre moral, alors que Kant a choisi de le punir au nom de l'ordre moral, pas même pour protéger ses concitoyens, mais simplement parce qu'il a fait le mal. Kant se fait donc une haute idée (Idée ?) de la justice, il ne la voit pas comme une institution à but pratique, destinée à assurer la paix sociale.

vif a écrit:
De plus un traitement intellectuel de l'action de départ a commencé à émerger, on s'interroge, on reconstruit, la justice, nous même, que s'est-il vraiment passé, et pour quelles raisons ? la porte de la salle de bain était-elle ouverte ?  Comment alors prétendre rééquilibrer simplement et équitablement ?

Il faut en passer nécessairement par un examen du préjudice subi par la victime. Bien sûr, en cas d'homicide, la réponse est claire. Elle l'est nettement moins en cas de vol ou d'outrage.

descriptionKant et la peine de mort. EmptyRe: Kant et la peine de mort.

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@ Aristippe : Oui, j'entends bien mais qu'est-ce donc qui amène l'idée de justice sinon celle de rétablissement d'un équilibre ?
Que cela pose question dans les applications pratiques, que cela soit compliqué, difficile, voire impossible, personne n'en doute mais la base reste il me semble.
Si je donne trois bonbons à l'un de mes enfants et un à l'autre, cet autre va crier à l'injustice, et je vais bien le comprendre, et l'autre aussi même s'il ne va pas le crier sur les toits. Et ce jusqu'à ce que je rétablisse l'équilibre deux/deux.
Et qu'est-ce qui peut bien amener certains à prétendre qu'il faudrait qu'il en soit autrement ? Quel motif pousse celui qui dit : on ne doit pas faire ça ? Une supposée insupportable injustice que l'on ferait alors à celui qui a désormais trois bonbons en lui en reprenant un ?

@Liber : c'est pourquoi j'ai envie de dire au contraire que la loi de Kant n'est pas morale et qu'elle a une utilité, à savoir viser à rétablir un équilibre et correspondant donc à une loi de la "physique", tendre à un ajustement qui la respecte. Cela dit n'est-ce pas justement le sentiment de cette loi utile-nécessaire qu'on pourrait rattacher à ce qu'on peut appeler morale et même qui pourrait la fonder ? la morale sans transcendance et comme écho d'une loi du monde.
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