Baschus a écrit: Ce qui me semble intéressant, c'est que des philosophes qu'on ne peut pas accuser d'être des tarentules morales, qui nient le Bien, le Mal, le péché et l'idée d'une dette ontologique, peuvent tout aussi bien être favorables à la peine de mort.
Bien sûr, la morale n'est pas une garantie contre la violence (je qualifie de violence une dureté excessive). Spinoza est encore plus insensible que Kant à toute forme de faiblesse, au premier chef la pitié. Nietzsche le cite parmi les philosophes ayant condamné ce sentiment. Ce n'est certainement pas chez les philosophes que nous trouverons une quelconque "humanité", excepté chez Platon, dans le
Phédon (
rappelons au passage que l'un des plus grands philosophes comprit sa vocation après la condamnation à mort de Socrate.) et chez Schopenhauer, qui me semble de loin plus profond que les autres :
Les dogmes changent, notre science est menteuse, mais la nature ne se trompe point : ses démarches sont assurées, jamais elle ne vacille. Chaque être est en elle tout entier ; elle est tout entière en chacun. En chaque animal elle a son centre ; chaque animal a trouvé sans se tromper son chemin pour venir à l’existence, et de même le trouvera pour en sortir ; dans l’intervalle, il vit sans peur du néant, sans souci, soutenu par le sentiment qu’il a de ne faire qu’un avec la nature, et, comme elle, d’être impérissable. Seul l’homme a sous forme abstraite cette certitude, qu’il mourra, et s’en va la promenant avec lui. Il peut donc arriver, —le fait d’ailleurs est rare, — que, par instants, quand cette pensée, ravivée par quelque accident, s’offre à son imagination, qu’elle le fasse souffrir. Mais contre cette voix si puissante de la nature, que peut la réflexion ? Chez lui, tout comme chez la bête qui ne pense à rien, ce qui l’emporte, ce qui dure, c’est cette assurance, née d’un sentiment profond de la réalité, qu’en somme il est la nature, le monde lui-même : c’est grâce à elle que nul homme n’est vraiment troublé de cette pensée, d’une mort certaine et jamais éloignée ; tous au contraire vivent comme si leur vie devait être éternelle. C’est au point que, — on oserait presque le dire,—personne n’est vraiment bien convaincu que sa propre mort soit assurée : sinon, il ne pourrait y avoir grande différence entre son sort et celui du criminel qui vient d’être condamné ; en fait, chacun reconnaît bien, in abstracto et en théorie, que sa mort est certaine, mais cette vérité est comme beaucoup d’autres du même ordre, que l’on juge inapplicables en pratique : on les met de côté, elles ne comptent pas parmi les idées vivantes, agissantes.
Baschus a écrit: Les criminels entièrement prisonniers de leurs pulsions sont comme les individus atteints par la rage, ils portent atteinte à la sécurité des citoyens ; les deux sont incurables.
Spinoza a écrit: Le malade mange ce qu'il déteste par peur de la mort ; et l'homme sain prend plaisir à la nourriture, et ainsi jouit mieux de la vie que s'il avait peur de la mort et désirait directement l'éviter. De même un juge qui condamne à mort un accusé non pas par Haine ou par Colère, etc., mais par le seul Amour du salut public, est conduit par la seule raison.
Raison et Amour sont-ils liés ? Pour moi non ! L'amour est irrationnel.
Euterpe a écrit: Souvenez-vous de ce débat sur la question de la preuve historique, à propos des camps de concentration. Très vite, il fut évident qu'aucune discussion ne pourrait avoir lieu ; au total, il n'y eut que du scandale. La plupart des faits historiques, et d'une manière générale ce qu'on appelle un fait, est à ce point moralement établi, et de manière presque instantanée, que l'impassibilité dépassionnée de qui veut ou accepte d'en discuter est immédiatement jugée monstrueuse.
J'ai voulu profiter de ce débat sur un sujet sulfureux pour montrer qu'un fait historique ne pouvait être établi sans être accompagné d'un jugement de valeur, ce qui pose également le problème du relativisme des valeurs. La recherche de l'objectivité (jamais totalement atteinte) se paye cher. Thucydide partageant les torts de la guerre entre sa cité et Sparte s'aliénait forcément beaucoup de ses concitoyens. Le fait le plus établi peut être également nié indéfiniment, parce qu'il repose sur une croyance, comme toute parole humaine. L'histoire est un procès qui dure des siècles.