Claire Richter : Nietzsche et les théories biologiques contemporaines; chapitre IV : "La lutte pour l'existence. La lutte pour la prééminence".
De nouveau un chapitre relativement faible d'un point de vue scientifique mais toujours instructif sur les choix de Nietzsche. Richter résume elle-même très précisément son quatrième chapitre : (p. 131) "Comme Rolph, Nietzsche se montre anti-darwinien, anti-malthusien, en rejetant la lutte de concurrence comme principe évolutif. Il adopte le principe de prospérité de Rolph comme cause des variations. La lutte pour l'existence au sens darwinien, c'est-à-dire comme lutte pour la simple conservation, est remplacée chez lui par la lutte pour la prééminence, par son propre principe de volonté de puissance." Regardons cela dans le détail.
(p. 115) Nietzsche est sceptique vis-à-vis des idées de Darwin. Il n'adhèrera jamais au principe de la lutte pour l'existence. Il considère que cette thèse est plus affirmée que démontrée. Cependant il concède en même temps que la lutte est une nécessité biologique et sociale, ce qui le conduira jusqu'à faire l'apologie de la guerre : "la bonne guerre sanctifie toute chose" (et elle serait une nécessité biologique). Il pense encore que l'individu se maintient par la lutte (ce qui fait du communisme comme fin une doctrine foncièrement ennemie de la vie). (p. 118)
Nietzsche croit retrouver cette lutte à tous les échelons de la vie : intracellulaire, histonale*, lutte des organes, l'individu comme champ de lutte... (p. 119-120).
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Il étend ce principe de lutte tous azimuts au domaine de la vie mentale : lutte des instincts mais aussi absorption des images faibles, idées faibles, pensées faibles par les images fortes, idées fortes, pensées fortes. Cependant ce "polémomorphisme" appliqué par analogie et de manière exhaustive (!) du vivant à la sphère mentale, ne lui convient pas absolument partout : en effet, concernant la lutte des individus au sein d'une même espèce, quelque chose cloche. Il est d'abord tout prêt de se ranger aux côtés de Malthus (p. 124) : "L'humanité tout entière est gaspillée par la nature aussi négligemment que les fleurs au printemps." Mais ensuite, il s'écarte de cette doctrine de "famine et de détresse". Il soutient alors que dans la nature règne non la détresse mais l'abondance, et même le gaspillage, jusqu'à la folie, et que la lutte pour l'existence n'est qu'une exception. [Vous voyez Silentio que chez Nietzsche ce n'est pas tant la lutte contre la Nécessité qui compte, mais la lutte contre des adversaires.] Car Nietzsche nie même l'âpreté, la fréquence et la violence de cette lutte pour la seule existence (p. 125). Nietzsche pense même (en porte-parole de Rolph) que la cause de la formation de nouvelles espèces et de variétés n'est pas la lutte, la détresse, mais l'abondance, la prospérité (p. 126). Non, c'est une autre forme de lutte qui a la préférence de Nietzsche : la lutte entre les individus d'espèces différentes est le lieu de la manifestation de la force qui joue alors un rôle capital à ses yeux : la lutte pour la prééminence. Ce n'est pas sur des critères scientifiques que Nietzsche tranche mais sur des critères psycho-logiques : Nietzsche ne veut pas et ne croit pas en une lutte aveugle pour exister mais il revendique une lutte pour avoir le plus, être ou avoir le meilleur, aller le plus vite, obtenir le plus souvent, etc. (p. 129). Nietzsche se fait le glorificateur de la lutte considérée comme épreuve de force. On lutte même sans aucune cause spéciale, mais pour sentir sa force et montrer que l'on est plus fort que les autres (p. 129). Nietzsche soutient évidemment que commander et obéir ne sont que deux formes spéciales de lutte. Richter semble approuver Nietzsche dans sa description juste des jeux sociaux, des enjeux de pouvoir, des formes de dissimulation, d'hypocrisie, de jalousie, des recherches de gloire, d'honneurs... Mais elle reconnaît qu'à mesure que la philosophie de Nietzsche devient de plus en plus une philosophie de la volonté, cette lutte pour la prééminence finit par prédominer sous le nom de volonté de puissance, à laquelle Nietzsche "tend même à ramener toute la vie instinctive". "A ses yeux, cette volonté de dominer est un caractère commun à tous les êtres organiques". (p. 130-131) "Partout où j'ai trouvé des êtres vivants, j'ai trouvé de la volonté de puissance" et même, à la fin, il n'admet aucune autre lutte que celle-ci : "Où il y a lutte, c'est pour la puissance".
Nous avons assez dit ce que nous pensions de cette dérive de l'utilisation du concept de volonté de puissance, qui, parce qu'il semble dire quelque chose des rivalités humaines, subsumerait, et le comportement humain dans son ensemble, et l'activité biologique de l'alpha à l'oméga. Nous retenons cette obsession nietzschéenne, qui consiste à préférer une lutte volontaire entre les espèces, qu'une lutte "aveugle" interne à l'espèce.
Nietzsche, ou le besoin d'adversité à tout prix.
De nouveau un chapitre relativement faible d'un point de vue scientifique mais toujours instructif sur les choix de Nietzsche. Richter résume elle-même très précisément son quatrième chapitre : (p. 131) "Comme Rolph, Nietzsche se montre anti-darwinien, anti-malthusien, en rejetant la lutte de concurrence comme principe évolutif. Il adopte le principe de prospérité de Rolph comme cause des variations. La lutte pour l'existence au sens darwinien, c'est-à-dire comme lutte pour la simple conservation, est remplacée chez lui par la lutte pour la prééminence, par son propre principe de volonté de puissance." Regardons cela dans le détail.
(p. 115) Nietzsche est sceptique vis-à-vis des idées de Darwin. Il n'adhèrera jamais au principe de la lutte pour l'existence. Il considère que cette thèse est plus affirmée que démontrée. Cependant il concède en même temps que la lutte est une nécessité biologique et sociale, ce qui le conduira jusqu'à faire l'apologie de la guerre : "la bonne guerre sanctifie toute chose" (et elle serait une nécessité biologique). Il pense encore que l'individu se maintient par la lutte (ce qui fait du communisme comme fin une doctrine foncièrement ennemie de la vie). (p. 118)
Nietzsche croit retrouver cette lutte à tous les échelons de la vie : intracellulaire, histonale*, lutte des organes, l'individu comme champ de lutte... (p. 119-120).
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wiktionnaire a écrit:(Biochimie) (Génétique) Protéine de base de la chromatine, présente dans les nucléosomes et jouant un rôle important dans l’empaquetage et le repliement de l’ADN.
Il étend ce principe de lutte tous azimuts au domaine de la vie mentale : lutte des instincts mais aussi absorption des images faibles, idées faibles, pensées faibles par les images fortes, idées fortes, pensées fortes. Cependant ce "polémomorphisme" appliqué par analogie et de manière exhaustive (!) du vivant à la sphère mentale, ne lui convient pas absolument partout : en effet, concernant la lutte des individus au sein d'une même espèce, quelque chose cloche. Il est d'abord tout prêt de se ranger aux côtés de Malthus (p. 124) : "L'humanité tout entière est gaspillée par la nature aussi négligemment que les fleurs au printemps." Mais ensuite, il s'écarte de cette doctrine de "famine et de détresse". Il soutient alors que dans la nature règne non la détresse mais l'abondance, et même le gaspillage, jusqu'à la folie, et que la lutte pour l'existence n'est qu'une exception. [Vous voyez Silentio que chez Nietzsche ce n'est pas tant la lutte contre la Nécessité qui compte, mais la lutte contre des adversaires.] Car Nietzsche nie même l'âpreté, la fréquence et la violence de cette lutte pour la seule existence (p. 125). Nietzsche pense même (en porte-parole de Rolph) que la cause de la formation de nouvelles espèces et de variétés n'est pas la lutte, la détresse, mais l'abondance, la prospérité (p. 126). Non, c'est une autre forme de lutte qui a la préférence de Nietzsche : la lutte entre les individus d'espèces différentes est le lieu de la manifestation de la force qui joue alors un rôle capital à ses yeux : la lutte pour la prééminence. Ce n'est pas sur des critères scientifiques que Nietzsche tranche mais sur des critères psycho-logiques : Nietzsche ne veut pas et ne croit pas en une lutte aveugle pour exister mais il revendique une lutte pour avoir le plus, être ou avoir le meilleur, aller le plus vite, obtenir le plus souvent, etc. (p. 129). Nietzsche se fait le glorificateur de la lutte considérée comme épreuve de force. On lutte même sans aucune cause spéciale, mais pour sentir sa force et montrer que l'on est plus fort que les autres (p. 129). Nietzsche soutient évidemment que commander et obéir ne sont que deux formes spéciales de lutte. Richter semble approuver Nietzsche dans sa description juste des jeux sociaux, des enjeux de pouvoir, des formes de dissimulation, d'hypocrisie, de jalousie, des recherches de gloire, d'honneurs... Mais elle reconnaît qu'à mesure que la philosophie de Nietzsche devient de plus en plus une philosophie de la volonté, cette lutte pour la prééminence finit par prédominer sous le nom de volonté de puissance, à laquelle Nietzsche "tend même à ramener toute la vie instinctive". "A ses yeux, cette volonté de dominer est un caractère commun à tous les êtres organiques". (p. 130-131) "Partout où j'ai trouvé des êtres vivants, j'ai trouvé de la volonté de puissance" et même, à la fin, il n'admet aucune autre lutte que celle-ci : "Où il y a lutte, c'est pour la puissance".
Nous avons assez dit ce que nous pensions de cette dérive de l'utilisation du concept de volonté de puissance, qui, parce qu'il semble dire quelque chose des rivalités humaines, subsumerait, et le comportement humain dans son ensemble, et l'activité biologique de l'alpha à l'oméga. Nous retenons cette obsession nietzschéenne, qui consiste à préférer une lutte volontaire entre les espèces, qu'une lutte "aveugle" interne à l'espèce.
Nietzsche, ou le besoin d'adversité à tout prix.