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Nietzsche et la biologie

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4 participants

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Lors de mon intervention initiale sur le topic "Nietzsche et la philosophie" je soulevais deux thématiques qui me paraissaient particulièrement problématiques chez Nietzsche : 1°) sa prise en compte (on non) de la question politique ; 2°) son concept central de volonté de puissance qu'il fait reposer sur le biologique, et que je présentais comme insuffisamment fondé d'un point de vue scientifique (en accord sur ce point avec les premiers chapitres de Fouillée).
Suite à cela Euterpe eut la bonne idée de me diriger vers Claire Richter et son livre sur Nietzsche et les théories biologiques. Je viens de terminer la lecture du premier chapitre et voici déjà ce qu'il est possible d'y trouver :

1°) Nietzsche lisait énormément d'ouvrages ayant trait à la biologie et à l'évolutionnisme,
2°) La thèse de Richter est que Nietzsche est largement aussi lamarckien que darwinien.

Richter confirme p. 29 que Nietzsche comme Spencer " fonde sa sociologie et sa morale sur la biologie", c'est dire l'importance de cette "fondation".
Richter voit en Nietzsche un évolutionniste mais pas un progressiste (il ne croit pas que l'évolution des espèces s'accompagne d'un "progrès"). Nietzsche admet l'évolution des instincts (p. 66) et il accorde également "qu'outre l'évolution intellectuelle de l'humanité tout entière, il y a une transformation incessante de la mentalité individuelle." (p.66) Ce point nous intéresse aussi sur le terrain du politique.
Richter affirme que pour "Nietzsche, tout le problème moral est d'origine animale" (!) ( p. 67).

L'auteur reproche ensuite à Nietzsche son anthropocentrisme appliqué aux organismes les plus petits (p. 69) :

  • Nietzsche attribue à tort une mentalité individuelle à la cellule,
  • Il considère l'organisme le plus petit comme doué de conscience et de volonté (ce qui est clairement excessif et ne signifie rien),
  • Il prétend que tous les organismes ont de la mémoire et une sorte d'esprit (aucun biologiste n'utiliserait ces deux termes ni pour les micro-organismes ni pour la plupart des classes du vivant)
  • Il pense voir à l'œuvre une auto-éducation par la raison dans les organismes inférieurs.

Ces quatre anthropomorphismes me paraissent déjà disqualifiants pour une fondation rigoureuse de la volonté de puissance au sein du vivant mais... je poursuis ma lecture de ce livre passionnant.


Richter note encore un point important dans son premier chapitre : lorsque Nietzsche forge son Zarathoustra et son éternel retour, il devient sceptique sur la question de l'évolutionnisme biologique (!) (p. 70).
Je demandais à Silentio et aussi à Liber pourquoi Nietzsche avait eu besoin de son mythe de l'éternel retour et pourquoi il fallait écrire le Zarathoustra. Je me demande à présent si Nietzsche n'a pas fait dans le surenchérissement de sa philosophie au moment où il commençait éventuellement à douter de la part biologique de sa volonté de puissance. La fondation mythologique et poétique viendrait en quelque sorte prendre le relai pour supporter son concept central, car sans la volonté de puissance...

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Claire Richter, Nietzsche et les théories biologiques contemporaines, chapitre II: "L'adaptation au milieu".

Nietzsche a d'abord été très sensible aux théories de l'adaptation au milieu et il comprend très bien l'importance de l'environnement, de la nutrition, du climat... (p. 77-78). Il en arrive même à penser que le quotidien de l'homme devrait faire l'objet d'une réforme continuelle. Nietzsche retient aussi que l'homme est sans doute celui qui "colle" le moins à son milieu parce qu'il possède en revanche une grande capacité à varier et à s'adapter. Cependant, le "milieu" le plus important pour l'homme aux yeux de Nietzsche, c'est l'humain lui-même, sa société. Nietzsche produit ici un premier "nietzschéomorphisme" (c'est moi qui produit ce terme en apparence barbare) : il transfère l'important mimétisme adaptatif repéré chez de nombreuses espèces en un mimétisme intellectuel et moral chez l'homme (p.80). La question du mimétisme humain n'avait pas échappé à bien d'autres philosophes avant Nietzsche, mais ce dernier commet l'erreur de le fonder au sein du vivant en amalgamant sans précaution scientifique le plan adaptatif du biologique et celui du fonctionnement de la société humaine. Au fur et à mesure que Nietzsche développe sa théorie de la volonté de puissance, Nietzsche a de plus en plus tendance à interpréter le biologique, à le théoriser en fonction de sa propre philosophie. Par exemple, dans sa Volonté de puissance, Nietzsche en arrive à nier "l'adaptation morphologique protectrice de certaines espèces" (p.82). Il commet d'abord l'erreur de penser que ces capacités protectrices s'acquièrent rapidement (sans doute sous l'effet d'une "volonté") et il ne comprend pas ensuite la raison pour laquelle ces caractères protecteurs ne sont pas perdus en milieu paisible (p.86). D'autre part, afin de pouvoir conserver à la volonté humaine tout son rôle, Nietzsche n'est pas favorable à une théorie (juste ou fausse) où l'homme ferait preuve d'une adaptation maximale, car alors elle conduirait "l'humanité à un rapetissement; les humains seraient comme des grains fins, mous et ronds..."

Bref, Nietzsche lit, pense, et interprète les théories adaptatives à sa manière, sans prudence ni retenue particulière - ce qui était d'ailleurs clairement l'habitude de son époque. Nietzsche en arrive ainsi à sa définition personnelle bien connue, sans que l'on puisse dire à quel moment elle est fondée dans la science biologique de son temps : "La vie est la volonté de puissance, qui se soumet et incorpore de plus en plus de choses extérieures". Quelles sont ces soumissions et ces incorporations biologiques et que signifient-elles sur le plan du vivant ? Un peu de mimétisme, un peu d'adaptation fonctionnelle, un peu d'influence du milieu, un peu de capacités de défense (ou d'attaque). Un vaste amalgame (une vaste synthèse ?...) mais pas de quoi faire une volonté de puissance.

"Vers la fin de sa vie consciente (Richter, p.91), Nietzsche commence à se méfier de la théorie du milieu - cette théorie parisienne par excellence - (!)" Il en arrive à nier des termes tels que "auto-régulation", "adaptation", "division du travail" qui ne sont à ses yeux que de "simples constatations de faits et des expressions téléologiques qui n'expliquent rien" ! Il considère que cette théorie de l'adaptation a été très exagérée par Darwin, qu'elle est "détestable" ou encore qu'elle est une théorie de "neurasthénique" (Nietzsche, depuis un moment, dans ce domaine, confond théorie scientifique et philosophie, alors qu'il avait été capable le plus souvent dans son œuvre, de discerner les deux champs avec beaucoup d'intelligence, défendant brillamment la philosophie).

Richter conclut son chapitre de manière extrêmement claire : "pour qu'il y ait une philosophie du vouloir, l'influence du milieu doit être considérée comme dominée par la volonté".

J'ai déjà annoncé que Claire Richter souhaite démontrer que Nietzsche était davantage lamarckien que darwinien, elle effectue un pas décisif avec ce chapitre. De mon côté, j'irai plu loin : Nietzsche fait preuve d'un "nietzschéocentrisme" fort et excessif dans sa lecture des théories adaptatives pour y faire rentrer, de force, sa volonté de puissance (à suivre).

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Il sera toujours extrêmement difficile de comprendre ce que Nietzsche appelle "volonté". Il manque à Nietzsche l'explication métaphysique qui rend le concept de Schopenhauer parfaitement explicable, et bien sûr, indépendant des sciences. La volonté nietzschéenne devrait être abordée par l'angle Schopenhauer, car si Nietzsche s'est intéressé à la biologie, il l'a fait parce que d'une part, Schopenhauer l'avait précédé sur ce terrain, et d'autre part, parce que le système de Schopenhauer lui paraissait manquer de ces explications scientifiques, bien sûr du fait que Nietzsche avait rejeté tout l'attirail kantien de Schopenhauer.

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Liber a écrit:
Il sera toujours extrêmement difficile de comprendre ce que Nietzsche appelle "volonté". Il manque à Nietzsche l'explication métaphysique qui rend le concept de Schopenhauer parfaitement explicable, et bien sûr, indépendant des sciences. La volonté nietzschéenne devrait être abordée par l'angle Schopenhauer, car si Nietzsche s'est intéressé à la biologie, il l'a fait parce que d'une part, Schopenhauer l'avait précédé sur ce terrain, et d'autre part, parce que le système de Schopenhauer lui paraissait manquer de ces explications scientifiques, bien sûr du fait que Nietzsche avait rejeté tout l'attirail kantien de Schopenhauer.

Je comprends bien Liber, mais Nietzsche s'est réclamé "expressément" d'une assise biologique, comme il a tenté également de le faire du point de vue de la mécanique céleste concernant l'éternel retour. En terme d'honnêteté intellectuelle, il ne pouvait pas, d'un côté, délimiter mieux que quiconque les domaines de pensée du scientifique et du philosophique, et, par ailleurs, se réclamer du scientifique lorsque cela lui paraissait étayer sa philosophie. Maintenant, comprenons-nous bien, il y a à penser "utilement" du côté de la volonté de puissance comme du côté du "politique" chez Nietzsche. Mais je m'emploie pour l'instant à critiquer tout ancrage sérieux dans la biologie (comme toute pensée du politique en tant que tel). Lorsqu'on a lu Nietzsche assidûment, le moins que l'on attende de ce penseur, c'est de l'honnêteté intellectuelle et de la lucidité sur ses propres thèses, compte tenu de la grande "lessive" qu'il effectue avec celles des autres.

Je suis entièrement d'accord avec ce que vous dites de la filiation Schopenhauer. La métaphysique ne se fonde pas sur le scientifique, regardez l'option très nette d'Heidegger sur ce point. Pour ce qui concerne le concept de "volonté de puissance", tout le problème est de savoir justement s'il s'agit d'un concept métaphysique, car alors sur quoi le fonder ? Je vous rejoins sur ce point important.

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friedrich crap a écrit:
Pour ce qui concerne le concept de "volonté de puissance", tout le problème est de savoir justement s'il s'agit d'un concept métaphysique, car alors sur quoi le fonder ?

Sur le système de Schopenhauer. C'était l'avantage du premier Nietzsche, celui de Naissance de la tragédie, plus lisible sur la volonté que celui qui lui a succédé. Quoi qu'il en soit, on devrait s'en tenir aux écrits les mieux élaborés, et ne pas chercher une philosophie complète dans des fragments posthumes non publiés. Ainsi, quand Nietzsche dit (dans Par-delà Bien et Mal) que la vie est "volonté de puissance", il ajoute à sa définition des mots tels que "exploitation, esclavage", qui ne concernent pas les fourmis ou les oiseaux. Inutile d'aller chercher dans ses thèses une ressemblance avec la vie animale, laquelle ne l'intéressait pas du tout, au contraire de Darwin. Jamais Nietzsche n'aurait eu l'idée de remonter de l'animal à l'homme. Quand il les compare, il le fait par ironie, comme par exemple, à propos de la cruauté des singes, ou bien pour créer des symboles.
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