Claire Richter
, Nietzsche et les théories biologiques contemporaines, Chapitre III :
L'hérédité des caractères acquis.
C'est le chapitre le plus faible jusqu'à présent du point de vue scientifique, non seulement du côté de Nietzsche mais aussi du côté de l'auteur, qui certes écrit et pense en 1911, mais qui semble accepter que bien des composantes du caractère humain puissent se transmettre de manière héréditaire ! (et "héréditaire" au sens de biologique, pas au sens de l'éducation reçue ! Il est vrai que la génétique des petits pois en est à ses balbutiements - Mendel meurt en 1884).
On y apprend tout de même que Nietzsche considère la réflexion sur les caractères acquis comme l'une des plus essentielles (p. 96). Nietzsche constate que chaque instinct s'hérite longtemps après qu'il a cessé d'être condition de vie (ou d'être un avantage pour la vie) (p. 99). Le problème commence avec la croyance de l'époque dans la transmission des qualités humaines (que Richter semble approuver). Nietzsche pense que les qualités humaines transmises sur plusieurs générations se transmettent comme instinct (p. 101). Mais ce n'est pas tout : il peut en être ainsi des capacités intellectuelles et même du talent, seul le génie faisant exception, Nietzsche parlant pour lui de "coups de dés heureux", comme chez Jules C
ésar. Et, bien sûr, il existe deux arts que l'hérédité a de plus en plus accrus :
l'art de savoir commander et l'art de savoir obéir (p.105). S'en suivent quelques "horreurs" sur le tempérament non seulement des individus mais des peuples voire des races :
- (p. 107) Pour Nietzsche notre tempérament ne serait pas autre chose que l'ensemble des jugements et des opinions de nos ancêtres, qui a été accumulé au cours des générations et qui nous a été transmis par hérédité.
- (p. 107) Le mauvais tempérament, Nietzsche le considère comme la conséquence d'innombrables inaxectitudes logiques dont les ancêtres se sont rendus coupables tandis que les hommes de bon tempérament descendent de races réfléchies et solidaires, qui ont placé haut la raison.
- (p. 108) Le pessimisme nous aurait été transmis par des peuples faméliques.
- Et encore, un trait assez décisif pour comprendre la guerre menée sans merci par Nietzsche contre les valeurs morales dominantes : (p. 110) Nietzsche croit impossible qu'on puisse s'affranchir du caractère moral hérité de nos ancêtres.
Richter termine ce chapitre en pointant de nouveau que Nietzsche a évolué vers la fin de son œuvre sur cette question, souhaitant accorder bien moins d'importance à la question de l'hérédité. Certes, mais un peu tardivement à notre goût.
Au final, on comprend que si Nietzsche observant l'humain, les lignées historiques, les grands hommes, les peuples et leurs cultures, y a lu
cette hérédité là, il ait ressenti le besoin de changer les valeurs et de bousculer les esprits de manière aussi radicale. On comprend aussi pourquoi il a condamné aussi facilement (et trop souvent) la faible humanité : la décadence, le rapetissement, la dégénérescence sont héréditaires donc inutile d'agir contre, plaider pour la suppression de ces tendances dans l'humanité lui paraissait plus sûr.
Un chapitre, je le répète, très faible d'un point de vue scientifique ou même critique, mais qui aide à comprendre que la confusion biologique/culturel de la notion d'hérédité à cette époque n'aidait pas à penser juste. Par ailleurs, on veut toujours appréhender le génie nietzschéen par son "second degré", son art des paradoxes et la puissance de sa pensée (capable de penser les contraires et la multiplicité des scénarios) mais il y a aussi un Nietzsche du premier degré, que le lecteur admiratif, parfois consentant, transpose au plus vite sur le second degré ou passe à la page suivante... Même dans une absence complète de clairvoyance sur ce chapitre, Claire Richter a au moins le mérite de nous rappeler, et le premier degré nietzschéen, et l'air du temps: plus tout à fait la phrénologie de l'individu, mais presque celle des peuples.