Silentio a écrit:entendez-vous aussi par là la démocratie directe telle qu'il la pense ? Ou l'auto-limitation est-elle un principe qui, finalement, peut tout aussi bien prévaloir dans un régime libéral ? Et si je comprends bien, vous souscrivez (comme moi, je ne le cache pas, bien que je sois "indéterminé", indécis sur toutes ces questions) à cette exigence, tout en doutant de son effectivité tant que les conditions "socio-historiques" sont les mêmes.
L'auto-limitation est d'autant plus nécessaire pour une démocratie directe qu'elle suppose, sinon la suppression, du moins la réduction de l'État. Mais c'est une question de responsabilité individuelle. Si les modernes se montraient capables d'auto-limitation dans leur propre existence individuelle, ou bien capables de l'appliquer à des choses importantes... Sauf que les conceptions en vogue de l'individu moderne en font quelqu'un que la moindre contrariété scandalise, a fortiori lorsqu'il est question d'identité.
Silentio a écrit:Euterpe a écrit:je suis sceptique quant aux capacités ou à la volonté des sociétés démocratiques modernes
Donc, en attendant un hypothétique changement des mentalités et des programmes politiques, on ne peut que s'en tenir à ce qui est (même si le régime se délite) ?
Nous sommes toujours dans la condition historique diagnostiquée par Ortega, Ellul et quelques autres : on ne sait pas ce qu'il en sortira (nous vivons dans l'imprévisible) ; le pire est une hypothèse nécessaire, je ne reviendrai pas sur les œuvres des uns ou des autres. Toujours est-il qu'on ne peut pas à la fois demander aux personnes de s'auto-limiter et de s'auto-centrer. C'est l'un ou l'autre. D'un côté, la perception et l'acceptation de l'altérité comme un donné évident ; de l'autre, le déni pur et simple de l'altérité, dont le racisme est une modalité qu'il a toujours été dangereux de ne pas tenir pour tel.
Silentio a écrit:Que faire, alors, si l'État est le problème ? Doit-on le soutenir à contre-cœur tant que la situation (les conditions que j'évoquais plus haut) reste la même ? On reste libéral, on tolère l'État et éventuellement on préfère l'ordre qu'il institue au désordre institutionnel ? Ou bien encourage-t-on la "montée" de la société et le délitement de l'État et du régime républicain actuel ? Par quels moyens (la lutte politique, la révolution, l'attente, etc.) ?
Que faire ? Réformer. Dans le cas de la France, la réforme doit consister dans le démantèlement de l'État. Avec toutes les questions juridiques que cela soulève (et l'expérience historique et théorique à disposition - cf. Sieyès, Schmitt, etc.), et notamment celle de savoir qui, du pouvoir institué ou du pouvoir instituant, peut et doit réformer.
Silentio a écrit:Euterpe a écrit:la société ne peut advenir à elle-même que par l'hétéronomie politique.
Je ne suis pas sûr de comprendre, parce que pour moi l'hétéronomie politique c'est l'État. Qu'est-ce que cela signifie ?
Les Français ont choisi l'État, plutôt que la société. L'ordre plutôt que la guerre civile. C'est l'horizon politique à partir duquel pensent et agissent les Français entre les deux Napoléon, puis entre Pétain et la Ve République.
Silentio a écrit:Euterpe a écrit:Au moins parce que l'État est incompatible avec l'indétermination démocratique thématisée par Lefort.
Je dois me tromper, mais je croyais que Lefort n'était pas contre l'hétéronomie de l'État en tant qu'elle serait constitutive de la réalité politique. L'indétermination démocratique ne se passe pas du conflit des puissants et du peuple, simplement la démocratie rend le lieu du pouvoir "vide". Je voyais cela comme plus proche du libéralisme, avec plus de contre-pouvoirs, un État moins fort ou plus soumis au droit, mais pas comme l'exercice collectif et direct du pouvoir par l'ensemble des citoyens (ce que l'on trouve chez Castoriadis). Au contraire, il me semble que pour Lefort il y a toujours une division au sein de la société, division qui est une condition de la démocratie. On ne se passe donc pas d'un minimum de bureaucratie et d'un État qui s'élève au-dessus de la société, la société sans classes et sans État étant un fantasme dangereux. A moins de neutraliser l'État chez Lefort : le pouvoir reste, dans la même configuration, indéterminé, au contraire du pouvoir incarné par tout un chacun (ou "participé" par tous) chez Castoriadis (l'auto-détermination).
L'indétermination démocratique c'est, d'abord, la thématisation de ceci qu'on ne sait pas exactement ce que c'est que la démocratie, et qu'on ne peut pas le savoir. C'est une implication de tous les instants. Il ne peut suffire de l'instituer, parce qu'elle est et reste toujours instituante.
S'agissant de la France, le pessimisme est encore le plus raisonnable.