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Faut-il croire au destin ou se sentir libre ?

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descriptionFaut-il croire au destin ou se sentir libre ? - Page 5 EmptyRe: Faut-il croire au destin ou se sentir libre ?

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Euterpe a écrit:
Autrement dit, faire comme si nous n'étions pas responsables signifierait manquer à ce que nous sommes, puisque nous manquerions à notre actualisation sans cesse renouvelée (d'où votre remarque : « en quelque sorte le futur modifie le passé à chaque fois que l'étant lui surajoute de l'existence »). Est-ce bien ainsi qu'on peut entendre ce que vous dites ?

C'est bien cela. "Manquer à ce que nous sommes" est très juste, et il convient de poursuivre en disant que c'est pire qu'un manque puisque nous ne pouvons pas être autrement que responsables. C'est un déni d'existence, puisque cela est de notre structure. C'est aussi et surtout un mensonge, une mauvaise foi flagrante. Ensuite la liberté n'est pas un état dans lequel nous plongerions, elle survient à chaque fois en situation. Il n'y a pas de liberté posée mais émergente, à chaque situation.

Euterpe a écrit:
Est-ce à dire que, d'une certaine manière, puisque nous sommes toujours déjà en train d'échafauder notre essence, il y a une morale sartrienne possible dans la mesure où, quel que soit le moment de l'existence d'un homme, on peut le juger en fonction d'une forme de prévisibilité propre à l'actualisation provisoire de son existence, sachant que l'actualisation, toujours changeante, impose une souplesse de jugement à celui qui juge (toute morale préétablie lui est interdite), mais aussi la possibilité permanente, pour celui qui existe, de se réformer, de se corriger, de réorienter son histoire ?
C'est effectivement comme cela que je le vois.

Arrêter l'actualisation à un moment donné, c'est effectivement ce que nous faisons lorsque nous jugeons. La conséquence en est qu'effectivement nous décidons à priori de l'histoire future de quelqu'un. C'est une véritable violence faite à un homme dont l'empreinte n'est pas prise mais dont la société décide d'activer la sédimentation. On le chosifie. Ainsi un procès est aussi en quelque sorte un procès d'intention. Tout le problème de la réinsertion va consister à assouplir cette empreinte pour qu'elle poursuive son actualisation. La liberté étant la chose la plus sûre d'arriver à un homme, tout peut arriver. Et c'est parce que tout peut arriver que tout ne doit pas arriver, car l'actualisation n'aurait alors plus aucun sens. Et c'est pourquoi aussi le jugement est toujours en regard d'un projet.

La dénonciation de la violence du jugement ne doit pas être prise comme une dénonciation de la justice, bien évidemment. Elle sert juste à expliquer toute la force du jugé par autrui. Un homme qui ne serait lui-même que son propre juge face à seulement des en-soi serait un homme perdu. En effet les objets n'apportent aucun sens, ils ne nous regardent pas. Pas plus qu'ils ne regardent le monde. Un rocher au milieu de la route peut être un obstacle, mais peut être aussi un marchepied pour voir plus loin. Quel que soit le choix pris, il ne donne aucun sens à ma liberté. L'un vaut tout aussi bien l'autre et la liberté au milieu de la masse des possibles ne se distingue même plus d'un déterminisme. Le "tout" qui arrive n'est plus dissemblable du "tout" qui peut arriver. La seule chose qui puisse imposer un sens à la liberté c'est une autre liberté, et seul autrui en est pourvu. C'est pourquoi on ne peut parler de relativisme, de même que c'est aussi pourquoi Sartre disait que l'acte d'un homme engageait l'humanité. La liberté est ce qui nous caractérise tous et ce qui est aussi notre bien le plus précieux car c'est à partir d'elle que le reste est possible. Préserver cette liberté c'est empêcher qu'une seule ou plusieurs puissent en anéantir d'autre sen dehors d'un consensus. La liberté absolue n'a aucun sens sauf à lui imposer des limites, et ces limites participent d'un choix en regard d'un projet.

Euterpe a écrit:
Ce qui m'interpelle ici, plutôt que l'absurde, c'est de constater que Sartre ne s'est jamais intéressé à la figure du héros tragique, à la poésie, épique ou romantique, à Nietzsche (est-ce pour ça que Liber me demande si ce que je dis est nietzschéen ?). Je trouve même que c'est suspect.
La tragédie est le miroir de la fatalité, il ne m'a pas semblé impossible d'écrire une tragédie de la liberté, puisque le fatum antique n'est que la liberté retournée.

Un théâtre de situations, J. P. Sartre
Chez Sartre il n'y a pas de destin. De même que l'emploi du mot "essence" n'est là que pour mieux définir une quête de sens, Sartre nous dit que le destin de l'homme est en lui-même. Ce faisant il retourne le destin en projet. Nous ne sommes pas destinés à être libres, ce qui induirait que nous soyons quelque chose avant que d'être, mais que nous sommes condamnés à être libres. C'est-à-dire que la liberté vient à l'homme en situation. Situation qui n'a d'autre effet que d'ouvrir l'abîme existentiel de l'homme. Si chez les antiques il y a lutte face au destin, ce combat n'est pas effacé chez Sartre mais s'applique plutôt à une condition humaine. La tension de l'existence n'est pas une rencontre avec le destin, mais avec le néant sécrété par l'homme. Le conflit se trouve donc entre l'homme avec lui-même face aux autres. On peut reprocher à Sartre de n'offrir aucune solution à ce conflit, mais ce serait lui faire un mauvais procès car le conflit est inéluctable, c'est notre condition. Et la solution est en nous et nulle part ailleurs. Comment Sartre pourrait-il donner une solution thétique quand elle n'est que la réponse à une situation d'une part, et en regard d'autrui d'autre part ? Ce serait nier par là même la liberté. Nous sommes donc tous des héros quand nous acceptons notre néant. Mais il faut reconnaître aussi que c'est un échec car l'être ne pourra jamais se reconquérir comme un en-soi, sauf dans l'imaginaire ou dans la foi. Personnellement je pense que l'on peut dépasser cet échec mais je ne sais pas encore comment.

D'autres comme Camus et Nietzsche ont une solution esthétique face à l'absurde comme le Sisyphe heureux, ou l'éternel retour. La révolte chez Camus c'est sourire à son bourreau, puis l'engagement. Mais cette révolte est aussi productrice de monstres comme chez son Caligula. Mais est-ce que l'on combat ou bien ne faisons-nous que de nous débattre ? Je ne vois pas de solution de ce côté-ci non plus.

Quant à la poésie, ce n'est même plus suspect mais affirmé :
J'enrage de ne pas être poète.

Carnets de la drôle de guerre, J. P. Sartre.
Lui qui a stigmatisé la mauvaise foi n'en serait-il pas devenu un pur produit ? Mais cela ne remet pas en cause toute la puissance et la lucidité de son ouvrage majeur qu'est L'être et le néant. Le problème c'est que l'on ne sait toujours pas quoi faire de cette philosophie.

descriptionFaut-il croire au destin ou se sentir libre ? - Page 5 EmptyRe: Faut-il croire au destin ou se sentir libre ?

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Comment l’existence peut-elle précéder l’essence ? L’homme est-il libre ? Je vous propose mes réponses à ces questions.

Je conçois le moteur de l’homme comme un énorme appétit d’existence qui va utiliser tous les moyens qu’il découvre à sa portée. Nous pouvons essayer de définir ce besoin d’existence tel qu’il se manifeste chez l’homme, mais il est impossible de le faire parfaitement. En effet, l’homme ne sait pas vraiment ce qu’il veut avant de l’avoir rencontré, goûté et apprécié. Par exemple, je ne peux savoir de qui je vais tomber amoureux, encore moins le goût que va prendre cet amour au long de sa réalisation.

Malgré tout, vu de l’extérieur, c’est-à-dire objectivement, tout au long de l’histoire, l’existence des hommes présente des caractéristiques dont j’ai essayé de comprendre l’organisation en la représentant par un modèle. Je l’ai baptisé « Structure de l’Existence Humaine ». Vous en trouverez une brève présentation sur la page vers laquelle j'ai créé un lien.

Il me semble être en phase avec ce que dit Jean Ghislain :
Mais l'essence précède l'existence dans le sens où cette capacité à réagir est l'essence de la vie humaine. Donc cette question de Sartre, finalement, peut être dépassée, et il vaut aussi bien se poser la suivante : quels sont les caractères de l'être que l'homme a ou acquiert pour faire sa volonté, ce qui est pour moi le but de la vie, car je place la volonté comme force vitale, en regard de Schopenhauer et Nietzsche.


Parlons maintenant de la liberté. « Faut-il croire au destin ou se sentir libre ? » Tel est le titre de ce débat.

Mais pourquoi opposer la liberté au destin ? Je suppose que « destin » est employé au sens de « déterminisme ». Imaginons un cheval attaché à la barrière d’un champ de luzerne. Nous savons ce qu’il fera si on le détache : il ira brouter la luzerne. La liberté, pour lui, consiste à réaliser son destin de cheval. Elle ne s’oppose pas au déterminisme. Elle n’est pas un acte gratuit. Imaginons un déterminisme absolu comme celui auquel les Grecs Anciens donnaient le nom de destin, celui d’Œdipe, par exemple. Mais, à la différence du héros, c’est moi qui sais de façon certaine que je tuerai mon père et que j’épouserai ma mère. Un tel destin m’est insupportable et je choisis de me suicider. Donc, en ce qui concerne les hommes, le déterminisme ne peut être absolu ; dès que l’un d’eux prend conscience des conséquences néfastes de ses actes, il modifie le « destin ». Par là, nous voyons que l’entrave à notre liberté n’est pas forcément constituée de chaînes ; elle est plus souvent faite d’ignorance.

Ceci dit, nous avons vu que pour les hommes, le déterminisme ne peut être total, puisque l’« existence précède l’essence ». Aucune théorie de l’histoire ne pourra donc prévoir exactement le devenir de l’humanité.

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Georges a écrit:
Je suppose que « destin » est employé au sens de « déterminisme ». Imaginons un cheval attaché à la barrière d’un champ de luzerne. Nous savons ce qu’il fera si on le détache : il ira brouter la luzerne. La liberté, pour lui, consiste à réaliser son destin de cheval. Elle ne s’oppose pas au déterminisme. Elle n’est pas un acte gratuit. Imaginons un déterminisme absolu comme celui auquel les Grecs Anciens donnaient le nom de destin, celui d’Œdipe, par exemple.
On ne peut pas assimiler destin et déterminisme. Si les deux sont aveugles, ce n'est pas dans le même sens. Le déterminisme est immuable ; le destin est hasard, caprice même. Le déterminisme fait l'objet d'une connaissance. Le destin reste inconnu. Le déterminisme est conditionnel, le destin est irrévocable. Même les dieux n'y pouvaient rien. Enfin, le déterminisme est universel ; tandis que si le destin s'applique à tout le monde, le lot de chacun est toujours particulier : il n'y a de destin qu'individuel. Enfin, le destin, pas plus que le déterminisme, n'interdit la liberté.

Concernant vos exemples. Le cheval n'accomplit pas son destin, mais sa nature, ce qui fait qu'il est un cheval et pas autre chose, et qui fait dire qu'il ne peut pas faire qu'il ne soit plus cheval (cf. l'areté grecque, ou la vertu latine, pour les hommes).

Œdipe n'accomplit son destin que parce qu'il veut échapper à ce que lui dit l'oracle ; or vouloir y échapper, c'est faire comme si on savait, quand le destin demeure absolument inaccessible, sauf aux oracles qui, seuls, savaient les "lire".

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Vous dites, Euterpe :
On ne peut pas assimiler destin et déterminisme. Si les deux sont aveugles, ce n'est pas dans le même sens. Le déterminisme est immuable ; le destin est hasard, caprice même

A mon sens, le destin relève de la croyance alors que le déterminisme interpelle la science. C’est pourquoi j’ai supposé que, évoquant Sartre, esprit scientifique, Jean Ghislain se posait la question du déterminisme.
Œdipe n'accomplit son destin que parce qu'il veut échapper à ce que lui dit l'oracle.

Donc, pour échapper à son destin, il lui aurait suffit de ne rien tenter. Je plaisante.
Toutes mes excuses. J’avais oublié qu’après avoir grandi chez le roi de Corinthe qu’il prend pour son père, Œdipe est averti de son destin.

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Georges Réveillac a écrit:
le destin relève de la croyance alors que le déterminisme interpelle la science.
Le destin ne relève pas exactement de la croyance. Il suscite des croyances. Le reste, c'est de l'habillage mythologique et allégorique. Les Grecs sont aussi des scientifiques. Chez eux, le destin est le prétexte, voire le mobile de l'action, que ce soit pour y échapper ou pour aller à sa rencontre, ce qui est tout un. Achille tue Hector en sachant que, ce faisant, il se condamne à mourir.

Par ailleurs le déterminisme est beaucoup plus propice aux croyances et aux fantasmes, suscitant même un orgueil en même temps qu'une naïveté confondante chez ceux qui le découvrent ou qui se laissent séduire par ses "promesses", notamment celle de receler le secret ultime de l'univers. Le destin n'a jamais fait aucune dupe, rivant ses "victimes" à une ignorance radicale. L'aveuglement tout à la fois réel et symbolique d'Œdipe n'est pas une fantaisie de Sophocle. A l'inverse, le déterminisme en pousse plus d'un à se croire visionnaire. Le déterminisme n'interpelle pas seulement la science, pour laquelle c'est même une banalité, mais aussi et surtout les apprentis scientifiques, qui sautent souvent et allègrement le pas en assimilant purement et simplement déterminisme et prédéterminisme. Le destin interdisait la naïveté ; le déterminisme encourage la niaiserie.

Georges Réveillac a écrit:
Sartre, esprit scientifique
Je ne détecte pas, chez Sartre, un esprit scientifique. Où voyez-vous cela ?

Georges Réveillac a écrit:
Donc, pour échapper à son destin, il lui aurait suffit de ne rien tenter. Je plaisante.
Toutes mes excuses. J’avais oublié qu’après avoir grandi chez le roi de Corinthe qu’il prend pour son père, Œdipe est averti de son destin.
C'est en effet en quittant ses parents adoptifs qu'il part à la rencontre de son destin, autrement dit en voulant lui échapper. Voir ce qu'en dit Rosset dans Le réel. Traité de l'idiotie, pp. 46-48, aux Éditions de Minuit, coll. Critique.


Dernière édition par Euterpe le Ven 12 Aoû 2016 - 9:59, édité 1 fois
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