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La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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BOUDOU
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shub22
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descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 90 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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Phiphilo a écrit:
Si la douleur est subjective et si toute subjectivité est d'essence métaphysique, alors, en étudiant expérimentalement les mécanismes de la douleur et du plaisir, vous faites de la métaphysique et non pas de la science expérimentale ?! Quant aux "énergies psychiques" comme "substance" métaphysique, elles sont, si je vous comprends bien, expérimentables à terme et relèveraient donc de la science expérimentale et non de la métaphysique ??!! Là, j'ai le tournis ...


Bon, essayons en effet de ne pas se donner le tournis. Dans votre précédent message, vous affirmez une différence de nature, pas de degré, entre la "douleur physique" et la "souffrance psychique. Moi je comprends - peut-être à tort - une différence de substances. La matérielle ou physique ou objective dans laquelle vous placeriez la douleur et l'immatérielle ou psychique ou subjective dans laquelle vous mettriez la souffrance. Et je vous dis que, pour moi, la douleur est immatérielle, psychique et subjective comme la souffrance.
Maintenant vous considérez que ce qui est subjectif (et psychique et immatériel) n'est pas quantifiable et moi si. La douleur et même aussi la souffrance est quantifiable pour moi. Pour moi, le critère "être quantifiable" n'est pas distinctif des deux substances dont j'admets l'existence. Il y a pour moi dans la substance psychique des éléments proprement quantifiables que j'appelle les énergie psychiques. Cela n'empêche pas bien sûr qu'il y en ait d'autres proprement qualifiables. Il y a aussi dans la matière (la substance physique) des éléments qui sont qualifiables à côté d'autres propremnt quantifiables. A partir du moment où le critère de quantité est commun aux deux substances, on peut concevoir des expériences matérielles dont les mesures ont une pertinence pour parler de la réalité psychique qu'elles visent à appréhender. On peut qualifier ces expériences de "métaphysiques". On peut aussi ne pas les qualifier ainsi. Ce n'est pas le problème.

descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 90 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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D'abord, je prends acte de ce que, dans le message auquel je réponds, vous quittez le terrain expérimental pour le domaine métaphysique.

Dans votre précédent message, vous affirmez une différence de nature, pas de degré, entre la "douleur physique" et la "souffrance psychique. Moi je comprends - peut-être à tort - une différence de substances.


Différence de nature n'implique pas, en effet, différence de substance. Dans une conférence donnée en 2019 (et relatée in extenso dans le présent fil de discussion) je montre que toute l'histoire de la philosophie peut se résumer en une seule question : quel doit être le statut du dualisme corps/esprit ? Si la différence de substance est, de fait, la plus ancienne de ces conceptions dualistes, il y en a bien d'autres (différences de propriétés, différence de fonction, différence d'inhérence, voire, simple différence lexicale) qui permettent toutes de conclure à une différence de nature entre corps et esprit. Il en va de même s'agissant de la différence de nature entre douleur et souffrance dans laquelle rien ne nous oblige, donc, à voir une différence de substance.

La [substance] matérielle ou physique ou objective dans laquelle vous placeriez la douleur et l'immatérielle ou psychique ou subjective dans laquelle vous mettriez la souffrance. Et je vous dis que, pour moi, la douleur est immatérielle, psychique et subjective comme la souffrance.


Personnellement, et pour les raisons données dans la conférence sus-mentionnée et sur laquelle je ne reviens pas, je ne sais pas ce que c'est qu'une "substance immatérielle". Tout en étant résolument dualiste, je considère avec Aristote, Spinoza ou Wittgenstein qu'il n'existe qu'une sorte de substance, ce qu'on appelle aujourd'hui la matière/énergie. Je ne vois donc pas en quoi les réalités "psychiques" pourraient ne pas procéder de la matière et/ou de l'énergie. Libre à vous (quoique ce soit un peu étrange de la part d'un scientifique contemporain) de postuler (métaphysiquement) l'existence d'une tierce substance. Encore faut-il en justifier l'existence.

Maintenant vous considérez que ce qui est subjectif (et psychique et immatériel) n'est pas quantifiable et moi si. La douleur et même aussi la souffrance est quantifiable pour moi. Pour moi, le critère "être quantifiable" n'est pas distinctif des deux substances dont j'admets l'existence. Il y a pour moi dans la substance psychique des éléments proprement quantifiables que j'appelle les énergie psychiques. Cela n'empêche pas bien sûr qu'il y en ait d'autres proprement qualifiables. Il y a aussi dans la matière (la substance physique) des éléments qui sont qualifiables à côté d'autres propremnt quantifiables. A partir du moment où le critère de quantité est commun aux deux substances, on peut concevoir des expériences matérielles dont les mesures ont une pertinence pour parler de la réalité psychique qu'elles visent à appréhender.


Je ne considère pas que le subjectif soit immatériel (cf. supra). Par ailleurs, le subjectif ne se réduit pas au psychique. Par définition, est "subjectif" tout ce qui, depuis Aristote, est assignable à un sujet grammatical. Par complémentarité, sera dit "objectif", tout ce qui concerne l'objet qui est donné au sujet, autrement dit un prédicat grammatical. En droit, n'importe quelle entité (et pas seulement une entité consciente, ni même une entité nécessairement vivante) peut donc se voir attribuer une "subjectivité" en ce sens, encore qu'on ait tendance (dans toutes les cultures et depuis la nuit des temps) à corréler très fortement subjectivité et intentionnalité, subjectivité et intériorité, voire subjectivité et conscience. Cela dit, depuis l'invention de la science expérimentale, on a tendance à privilégier ce qui est descriptible et quantifiable "objectivement", c'est-à-dire à ne prendre en considération que le phénomène visible et expérimentable (le prédicat grammatical, la "fonction" diront Frege ou Deleuze) et à laisser tomber la notion traditionnelle de sujet grammatical source de ce genre de difficultés métaphysiques auxquelles la science entend tourner le dos. 

En toute rigueur, un ressenti (pensée, sensation, sentiment, émotion, etc.) ne peut donc être qualifié de "subjectif" que s'il est en position de sujet grammatical (c'est le cas de " ma douleur" dans "ma douleur est une névralgie dentaire"). Cela dit, même en étant "subjectif", un ressenti possède des propriétés descriptibles (donc quantifiables et expérimentables) et d'autres qui ne le sont pas. Prenons, par exemple, le sentiment du "moi". En ce qui concerne le cas particulier de l'être humain, comme le souligne Wittgenstein, "il y a deux cas différents d’utilisation des mots ‘je’ ou ‘moi’ : l’utilisation comme objet et l’utilisation comme sujet. [Ainsi] si l’utilisation de ‘je’ ou ‘moi’ implique la reconnaissance d’un agent particulier, il y a donc possibilité d’erreur ; [en revanche] s’il n’est pas question de reconnaître qui que ce soit, dans ce cas aucune erreur n’est possible [car] ce que je veux dire par ‘je’, c’est quelque chose que personne ne peut voir"(Wittgenstein, le Cahier Bleu, 66-67). Concrètement : si je dis "je mesure 1,85 m", le "je" (le "moi") se voit attribuer la propriété descriptible de mesurer 1,85 m (comme c'est susceptible d'erreur, c'est quantifiable et vérifiable). Mais si je dis "j'ai mal aux dents", ça se complique terriblement. Là, le sentiment du "moi" se voit attribuer la propriété d'avoir mal aux dents. Cette propriété est, partiellement descriptible et expérimentable (donc quantifiable). Sinon, comment aurais-je bien pu apprendre à prononcer une telle phrase avec pertinence (accessoirement, comment le dentiste pourrait-il me soigner si ma douleur n'était pas corrélée à des symptômes) ? "Comment apprendre la signification du mot ‘‘douleur’’ par exemple ? En voici une possibilité : […] un enfant s’est blessé, il crie ; alors des adultes lui parlent et lui apprennent […] une nouvelle manière de se comporter face à la douleur"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, §244). Mais la propriété d'avoir mal aux dents possède aussi un aspect indescriptible. C'est là que se situe la distinction (qui n'a pas à être présupposée substantielle) entre douleur et souffrance : on quitte les aspects cliniques et biologiques de la douleur pour rejoindre la souffrance psychique comme "effet que ça fait" ("what it's like") au seul organisme qui l'éprouve d'avoir mal aux dents. En ce sens, la souffrance, distincte désormais de la douleur, est un quale, événement irréductiblement privé, indescriptible, inquantifiable, inexpérimentable (ce que je suis le seul à éprouver ne peut être qualifié d'expérience, par définition reproductible et constatable publiquement) et, à la limite, ineffable (Enée ne parle-t-il pas à Didon d'une "indicible douleur" lorsque la reine lui demande d'évoquer la fuite de Troie en flammes ?).

D'où :
- plutôt que d'"objectif/subjectif", mieux vaudrait parler de ce qui est publiquement descriptible car quantifiable et donc scientifiquement expérimentable par opposition à ce qui ne l'est pas (un événement qualitatif, privé, indescriptible, inexpérimentable, voire indicible)
- quelle que soit la terminologie adoptée, l'adoption d'une ligne de démarcation entre les deux jeux de langages bien distincts (le jeu de langage "physicaliste" et le jeu de langage "mentaliste") relève d'une option métaphysique et non d'une démarche expérimentale.

On peut qualifier ces expériences de "métaphysiques". On peut aussi ne pas les qualifier ainsi. Ce n'est pas le problème.


Ce n'est pas un problème pour le scientifique, en effet, puisqu'il procède hypothético-déductivement. Dès lors, l'importance des catégories est, pour lui, tout à fait secondaire. Mais ça le devient pour le philosophe qui opère en sens inverse du scientifique afin de tester la consistance et les présupposés de son raisonnement. Or il n'y a pas d'"expérience métaphysique" dans la mesure où une option métaphysique se postule en amont de toute expérience possible, comme le montre Kant. C'est là, justement, la partie "aveugle", l'"angle mort" de la démarche scientifique. Raison pour laquelle la science gagne à être éclairée par la philosophie (de même, bien entendu, que, comme l'expliquent Bachelard ou Russell, la philosophie gagne à s'imprégner de la rigueur méthodologique de la science, des mathématiques et de la logique).

descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 90 EmptyRéponse à Euterpe pour "la clarification de la notion de conscience"

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Euterpe a écrit: a écrit:

@clément dousset

Où en êtes-vous de votre intéressante réflexion ?

Vos derniers propos me paraissent confirmer que vous êtes plus leibnizien qu'il ne vous semble. J'ai bien noté ce que vous m'aviez répondu, mais il se pourrait que la physique et la chimie, comme références incontournables, et même comme inconcussum quid de votre réflexion, expliquent une part des apories dont vous parlez. Pour cette raison, il me semble que Pierre Duhem constituerait une médiation intéressante avant d'entrer pleinement dans l'œuvre de Leibniz. Je vous propose de lire un article de Jean-François Stoffel : "Pierre Duhem et la revendication d’une tradition phénoménaliste". Il ne s'agit certes pas de rejeter la physique comme référence, mais de vous situer dans des dispositions intellectuelles plus propices à l'examen de vos deux hypothèses de structure de l'être et d'un plan de réalité pour elles-mêmes (perspective téléologique).

Cette hypothèse ouvre deux pistes, latentes dans votre dernier développement, mais qui ne parviennent pas à s'articuler l'une à l'autre dans la mesure où dans votre réflexion, on trouve une autre référence qui constitue un inconcussum quid concurrent du premier avec lequel vous voudriez pouvoir l'articuler : l'instance du moi (d'où cette impression générale d'une construction encore syncrétique) :

  • La piste régressive de Leibniz à Aristote, qui implique de reprendre les notions grecques de δύναμις (dýnamis) et d'ἐνέργεια (enérgeia) — pour ces deux notions, je vous conseille de commencer par le Phèdre de Platon, entre 259b et 270d (plutôt dans la trad. de Brisson chez GF) — de puissance et d'acte, d'entéléchie (contient le même mot grec que téléologie : le τέλος), voire de cause finale
  • La piste, elle aussi régressive, de Kant à Descartes, avec la question du sujet, du solipsisme










Or, cette question du sujet est l'une des principales difficultés à surmonter pour rendre ces deux pistes plus compatibles. Cela impose une approche plus dialectique encore dans votre démarche intellectuelle (qui confine parfois à la logique de l'apparence au sens kantien, cosmologie et psychologie rationnelles seulement) puisque votre position exclut de renoncer à l'un ou l'autre de vos deux inconcussa. Ici, la section 5.6 (dont le point de départ se trouve en 5.5421) du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein auquel PhiPhilo se réfère souvent vous sera d'autant plus utile que Wittgenstein est un lecteur assidu de Schopenhauer (et de lui à Kant, le pas est vite franchi).

Il faudrait également pouvoir clarifier l'usage que vous faites de notions comme la conscience (pas assez distincte de la sensation et de la perception) mais aussi des notions d'essence et de substance, pour ménager des transitions plus fines entre les étapes de votre réflexion — intéressante en ceci que la conception que vous élaborez n'est pas sans faire écho, quant à la démarche, au Timée de Platon, et/ou au Benedetto Croce des Essais d'esthétique, pour ses notions d'intuition et d'expression, ce qui nous ramène à la logique de l'apparence avec les idées du moi et du monde (psychologie et cosmologie).


J'ai répondu dans le fil : "Que penser de plausible sur l'après-mort ?"

Merci Euterpe pour votre très intéressant message que je découvre un peu par hasard. Il semble que la fonction du forum consistant à avertir des réponses reçues dans les fils qu'on a ouverts n'ait pas fonctionné. Je remets à plus tard d'y répondre précisément. J'ai en ce moment en tête un article où je voudrais comparer divers types de mécanismes présidant aux changements de direction de corps en mouvement pour essayer d'isoler le mécanisme propre à produire une quantité minimale de conscience. Et cet article est toujours à l'état de projet ! Vos propos sont un aiguillon pour me pousser à lire et travailler !


je copie ici la réponse que j'ai fini de rédiger auhourd'hui :


Bonjour Euterpe,


Vous voudrez bien, j’espère, me pardonner de répondre dans ce fil sur un point que vous abordez dans un autre. Cependant le sujet ici étant de discuter l’existence d’un supposé « code de la conscience », il me semble que la « clarification de la notion de conscience » que vous me demandez ne peut convenablement être traitée qu’ici.


Je vous ai parlé d’un article que j’entendais écrire. À vrai dire le but de cet article est de proposer une théorie sur le mécanisme générateur de la conscience primitive et pas de la définir. Mais l’un ne va pas sans l’autre et il me faut bien « clarifier la notion de conscience » si je veux avoir une chance de discourir justement sur la façon dont elle se forme.


Pour clarifier cette notion donc, vous me demandez de la distinguer nettement de la notion de sensation et de perception. Je croyais l’avoir fait déjà mais je conviens volontiers ne pas l’avoir fait avec une netteté suffisante. Je vais donc m’y essayer encore en reprenant certains éléments que j’ai déjà présentés dans le cours de mes message et en ajoutant d’autres.


J’ai parlé dans ma dernière réponse de comparer divers types de mécanismes présidant aux changements de direction de corps en mouvement. J’ai retenu cinq objets, chacun apte à se déplacer et à pivoter par ses moyens propres.


Le premier est un aspirateur robot, capable de repérer un obstacle à distance comme un pied de table.Le second est un être vivant unicellulaire, la paramécie. Le troisième est un vers minuscule dont j’ai déjà parlé ailleurs le nématode Elegans C. Le quatrième est un coureur de fond, c’est à dire un être humain mais considéré dans cette seule activité particulière de la course à pied sur longue distance. Le cinquième est un somnambule, c’est à dire un être humain également mais se déplaçant pendant un sommeil profond sans se réveiller.


Je suppose ces cinq objets en déplacement linéaire d’un point A situé dans une région R1 en direction d’un point B situé à la frontière d’une région R2. Cette région R2 contient soit un obstacle physique au déplacement repérable au point B, soit un produit répulsif pour l’objet considéré dont la concentration apparaît repérable également à partir du point B.


J’admets que le phénomène suivant est observable pour ces cinq objets. Parvenus du point A au point B, ces cinq objets s’arrêtent et repartent dans la direction opposée. Pour désigner cet arrêt, ce demi-tour et ce départ, j’emploie le terme de pirouette que les biologistes utilisent pour désigner la volte-face de l’Élégans.


Pour savoir en quoi la réalité que nous appelons conscience se distingue de la sensation et de la perception, on peut commencer par recourir à la définition et à la distinction de ces deux dernières notions. Celle de Changeux dans l’Homme neuronal peut suffire : « le terme sensation a été employé à dessein pour désigner le résultat immédiat de l’entrée en activité des récepteurs sensoriels et le terme perception pour l’étape finale qui, chez le sujet alerte et attentif, aboutit à l’identification et à la reconnaissance de l’objet. » (l’Homme neuronal p.165-166 )


Des transformations particulières de l’environnement où l’objet se déplace sont captées par des dispositifs idoines de cet objet et reconnues comme incompatibles avec la poursuite de sa progression (obstacle matériel, température trop forte, substance nocive…). La programmation du robot et le génotype des êtres vivants suffisent à expliquer la pirouette qui suit cette reconnaissance. On ne voit pas a priori ce que rajouterait à l’explication le fait de considérer l’existence d’une réalité consciente dans l’un ou l’autre de ces objets.


Il n’est pas douteux pourtant que cette réalité existe dans le cas du coureur de fond. Sous quelle forme ? Pour répondre à cette question, il n’y a qu’un moyen à mon sens, c’est de recourir à la notion d’émoi.


Le mot émoi est défini dans le Grand Robert de plusieurs façons. Je retiendrai la suivante : « émotion considérée sous son aspect affectif, sous l’angle du plaisir ou de la douleur. » L’intérêt de cette notion d’émoi ainsi comprise est de nous renvoyer purement à ce qui est interne à la conscience : le plaisir ou la douleur, réalités qu’on peut élargir sans les trahir par les termes de « bien être » ou de « mal être ».


Des cinq mobiles autonomes que j’ai considérés, ni l’aspirateur, ni le somnambule ne sont susceptibles de ressentir un émoi, d’être affecté par un plaisir ou une douleur. Le coureur l’est certainement. Le nématode peut l’être. La paramécie, non : j’examinerai pourquoi plus tard.


Pour parler de la conscience phénoménale, des philosophes ont proposé le terme de qualia susceptible de rendre compte de ce qu’un contenu de conscience a d’irréductiblement particulier. Les qualia renvoient à ce que Descartes appelle des qualités secondes et qui dépendent essentiellement de nos perceptions. Celles-ci, à la différence des qualités premières ne sont pas mesurables par des grandeurs (distance, masse, poids etc). Ainsi donc chaque expérience de conscience phénoménale, chaque contenu de conscience serait proprement indescriptible et échapperait à toute connaissance scientifique. Mais si l’émoi est proprement une réalité phénoménale, nous renvoie à la conscience en tant que phénomène, il apparaît bien associé à une grandeur et donc à une qualité première. Un émoi est plus ou moins fort, plus ou moins grand. Certes nous n’avons pas d’unité pour mesurer la grandeur d’un émoi mais nous pouvons constater la présence d’un effet dans l’objet où il est censé se produire en fonction de ce que cet émoi est suffisamment fort ou ne l’est pas. Et cet effet est la pirouette, pirouette qui ne se produit pour le coureur de fond que si la concentration de l’odeur délétère est suffisamment grande.


Mais si la notion d’émoi associée à celle de grandeur nous renvoie à une qualité première, cette qualité là n’est assimilable à une qualité physique que si elle est mesurable. C’est à dire que s’il nous paraît possible de déterminer une unité de cette grandeur qui aurait même valeur quel que soit l’émoi considéré. Pas d’autre solution alors que de considérer cette grandeur unitaire indissolublement liée à une grandeur physique mesurable.


Cela, à mon sens, peut s’envisager. Lorsque le coureur de fond effectue sa pirouette, il dépense une certaine quantité d’énergie liée au freinage, au mouvement même de la pirouette et au redémarrage de la course. Il ne me paraît pas impertinent de décider que l’énergie dépensée pour une vitesse donnée de course a une grandeur à peu près constante. Il ne me paraît pas non plus impertinent de dire que cette grandeur est liée à la grandeur de l’émoi déplaisant, à la grandeur de la répulsion éprouvée par le coureur et qui le conduit à effectuer cette pirouette.


Mais lier la grandeur de l’émoi répulsif à la grandeur de la dépense physique qu’elle entraîne pour mettre fin à cet émoi apparaît vite nous conduire à un blocage de la pensée. En effet cette grandeur, pour être déterminable comme un paramètre nécessite de considérer comme une donnée fixe le poids du coureur. Poids plume ou poids lourd, le poids justement varie et dire qu’un obèse fournit un plus grand effort pour pirouetter qu’un coureur maigre, qu’il supporterait donc un plus grand émoi avant de le faire apparaît un raisonnement plutôt fragile.


Surtout une telle façon de voir nous condamne à ne plus imaginer la possibilité de la conscience dans sa dimension sensible, celle de la grandeur d’un émoi, dimension sans laquelle on a convenu qu’elle ne saurait exister, hors de l’espèce humaine. L’effort d’une baleine pour se retourner nous paraîtrait d’une monstruosité inconcevable. Et, si jamais il nous venait à l’idée de pourvoir le nématode d’une conscience élémentaire, l’intensité de son effort pour pirouetter nous paraîtrait à jamais totalement imperceptible. Pour reprendre la question rabâchée : « qu’est-ce que cela fait d’être ...? » et d’y placer comme sujet un nématode prêt à pirouetter ou une baleine qui se retourne, nous serions aussi démunis pour répondre que de dire ce que cela fait d’être une chauve-souris entendant des ultra-sons. L’émoi redeviendrait mystérieux comme une nuance de couleur perçue ou la singularité d’un parfum.


Une solution qui me satisfait serait de diviser la quantité d’énergie en jeu par la masse de l’objet qui pirouette et de considérer comme une grandeur constante la grandeur ainsi obtenue que j’appellerai l’énergie de la pirouette. Je supposerai alors que cette grandeur est liée à la grandeur semblable de l’émoi éprouvé au minimum avant le renversement de trajectoire par le nématode, la baleine… ou le coureur. Et je m’aventurerai à dire que, si la grandeur de cet émoi est cause unique de ce retournement, elle est toujours identique, quel que soit l’objet considéré.


J’aurais beaucoup d’autres considérations à partager sur les grandeurs possibles, les signes, les variations d’intensité, les modulations de l’émoi et, bien sûr, sur l’origine de son existence mais, pour vous répondre, Euterpe, sur le point de clarifier la notion de conscience et de la distinguer de la notion de sensation et de perception, je crois que j’en ai assez dit dans l’exemple que j’ai choisi de traiter. Pour moi ni la sensation, ni la perception ne sont essentiellement constitutifs de la conscience mais l’émoi, en tant que force affective d’une grandeur mesurable déterminant un état de bien être ou de mal être, lui, en est indissociable. Pas d’émoi sans conscience.


Cordialement,


Clément Dousset

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descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 90 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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En toute reprise de dialogue, salutation se pose, ici à vous, Clément Dousset, mais aussi à Euterpe reposant la question de la délimitation universellement constatable d'un "état physiologique du vivant", proprement attribuable à "une dynamique finaliste de la personne" (nommément "la conscience").


  C'est tel un rasoir d'Occam qu'il nous est probablement possible de parler de la conscience comme figuration émotionnelle, ce qui rejoignant la notion d'émoi comme moment singulier d'un sujet dans le passage entre : son mouvement et son lieu, tous deux opérant "une trace mnésique" ce double reflété serait bien vite nommé "ressenti subjectif" et senti objectif, si une certaine unification n'intervenait pas alors...

  C'est de ce moment là que la notion de conscience tient sa singularité, son incommunicabilité et dans son universalité, un rapport corps/esprit discutable, non pas sous les auspices de ces philosophes n'ayant pas pour objet d'étude la conscience, mais pour certains, un dédoublement probabiliste du "je" en recherche de lui même (tels Platon ou Spinoza), pour d'autres une énumération des possibles, constatables en différences spécifiques, devant révéler une ultime réalité transcendante (tels Aristote ou Leibnitz), pour d'autres encore la réduction des épiphénomènes à une suite de positions, retraçant "l'état mental" par des points de réactivités (tels Descartes ou Kant) pour d'autres enfin qui, ayant opté pour le plan analytique et logique comme universalité synthétique du réel, ne disent de la conscience qu'une option secondaire du "je" et préfèrent leurs propositions suffisantes à la question réelle de la présence du sujet, de ses relations et de sa finalité (tels Hegel ou Wittgenstein)...

 bref si nous laissons ces voies sans issues, quand à notre sujet d'étude, pour un chemin de traverse sillonnant entre les incontournables faits  biologiques qui désignent la conscience comme signe privilégié de l'autonomie de l'individu, cela signifierait alors, que la matière s'organisant en vue de cette autonomie, est animée par un principe conducteur, (mais pas à la manière de Platon) délimitant les occurrences nécessaires à la pérennité de la vie sous ses divers "aspects" et, qu'à chaque carrefour optionnel, ce principe, par son acte premier, réaffirmerait ce qui "est" par ce qu'il "a"(1), car toutes les parties additionnelles du corps (croissance, régénérescence cellulaire etc...) et de la mémoire (synthétisation des sensibles propres en sensibles commun, recoupement d'informations pour l'anticipation de l'intelligence etc...) sont reliées entres elles dans une même dynamique, donc, tant que l'organisation corporelle se maintient dans l'équilibre de la perception et de la sensation, elle s'emploi à fournir des informations à l'actualisation psychique, mais toutes deux (1) sont nécessairement dépendantes de la conscience proprement dite, et son acte premier nous la désigne (pour le moment) comme permanence de la fin en acte de réalisationἐντελέχεια



(1 ) voir G.Simondon  : "l'individuation à la lumière des notions de forme et d'information" 
chapitre II section II premier paragraphe
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