Liber a écrit: Vous réagissez comme un croyant dont on attaque le dogme.
Pourtant je ne suis pas un croyant et je n'ai aucun dogme. Cessez de projeter vos fantasmes sur moi. Ce n'est pas parce que je m'oppose à vous que je suis l'adversaire que vous visez dans le croyant. Vous ne me lisez pas. Je n'ai pas défendu Dieu et ne le défends pas, point.
Mon propos se trouve ailleurs. Je vous dis par exemple que les enseignements de la religion ne sont pas toujours faux et que ce n'est pas parce qu'ils sont religieux qu'ils sont nécessairement faux. Et soutenir certaines idées que promeut la religion ne fait pas de soi un croyant, un religieux et encore moins un dogmatique. Vous refusez tout de la religion
a priori, moi non. Mais ma position ne dit rien de Dieu. Je reste toutefois prudent et me permets d'examiner toutes les croyances et toutes les objections. J'attaque vos arguments, votre attitude, notamment à l'égard de Desassossego, et le fait que vous nous confondiez avec le religieux lui-même alors que nous nous en distinguons. La vérité, toutefois, n'est pas plus du côté de l'athéisme que de la religion, ce pourquoi le philosophe ferait bien de passer au crible de la raison tous les préjugés. Ceux dont vous faites preuve en caricaturant grossièrement nos propos, en nous faisant passer pour ce que nous ne sommes pas. Vous pouvez attaquer n'importe quel dogme mais faites-le correctement et n'imputez pas n'importe quoi à vos interlocuteurs.
Liber a écrit: En quoi la critique de Dieu, même caricaturale, devrait vous offenser ?
En rien, ce qui m'offense est la manière que vous avez de me prendre pour un abruti sur la base d'une position qui n'est pas la mienne. Vous qui d'habitude êtes si subtil en venez, par je ne sais quelle obsession, à déformer mes propos. Je vous le répète :
je n'ai jamais parlé de Dieu, je ne le défends pas. On peut tolérer la religion sans justifier ses dogmes et sans croire. La religiosité elle-même n'est pas honteuse, encore faut-il démontrer qu'on peut s'en passer pour comprendre la condition humaine. Le critique doit interroger les évidences, même celles qui sont communément admises dans la tradition critique. La religion peut, selon moi, être un objet d'étude digne d'intérêt.
Liber a écrit: En quoi le fait que vous souteniez l'intérêt de la religion pour la philosophie devrait m'obliger à en faire de même ?
Rien ne vous y oblige, mais il me paraît malhonnête de soupçonner ceux qui défendent cette position d'être partisans de l'Église et de ses dogmes.
Liber a écrit: Je suis libre de critiquer vos pensées. Vous n'auriez pas réagi de la sorte sur tout autre sujet.
Si, parce que je trouve insupportable que vous réduisiez ma pensée à ce qu'elle n'est pas et que vous en profitiez pour me ridiculiser en discréditant mes idées sur la base de fausses allégations.
Liber a écrit: Cela prouve bien qu'on ne peut toujours pas critiquer la religion, même au début du XXIe siècle, même sur un forum de philosophie. J'ai au contraire de très bons arguments contre la religion. Essayez donc d'y répondre en face, pas de biais.
J'ai aussi de très bons arguments contre la religion comme institution politique exerçant une domination sur les individus. Mes propos sont nuancés, ne faites pas comme si je défendais coûte que coûte la religion. Je dis que la religion est légitime dans certaines limites, sous certaines conditions, pas qu'elle contient toute la vérité et qu'elle devrait remplacer le sens critique et la philosophie. Je ne prescris pas non plus la religion. Je vous ai même dit que s'il y a du bon en elle elle ne produit en général, si elle est laissée à elle-même, que de l'hétéronomie et non une spiritualité authentique à même de permettre le développement de l'individu. Je considère encore plus que l'homme doit se prendre en charge lui-même mais qu'il n'est pas vrai pour autant qu'il faille éliminer tout ce qui vient de la religion (parce que ce serait religieux, donc mauvais, alors que ce n'est pas nécessairement vrai) et toute quête de sens passant par la spiritualité et le sentiment religieux (que je ne confonds pas avec l'obéissance aveugle à une Loi divine).
Liber a écrit: Pourquoi le philosophe devrait partir de la caverne pour ensuite y revenir ? Pourquoi se compliquer la vie ? Si l'impératif est de mener une vie bonne, alors autant commencer dès maintenant, sans avoir besoin d'un voyage dans l'au-delà.
Parce qu'il s'agit de trouver les principes qui permettent une connaissance du monde sensible, or le seul sensible ne peut fonder cette connaissance. Le philosophe raisonnant grâce à la dialectique s'élève au-dessus des contradictions du sensible et remonte jusqu'aux Formes et jusqu'à l'Idée du Bien qui lui permettront ensuite de comprendre quels principes appliquer à une science du politique en vue de fonder une cité juste et une vie éthique (caractérisées par la justice, c'est-à-dire la recherche de la bonne mesure).
Liber a écrit: C'est amusant, parce que sur ce forum, on met dans la Charte qu'on ne doit pas se contenter d'opinions, et vous, vous soutenez que le philosophe doit défendre l'opinion.
D'une part il s'agit du domaine précis de la politique, d'autre part permettre la pluralité des opinions n'empêche pas la réflexion critique, celle-ci n'en est justement que plus nécessaire dans la conflictualité de ces opinions. Reste qu'il ne faut pas s'illusionner : il ne peut y avoir de vérité en politique, du fait même de ce qu'est la politique. Le peuple se donne sa propre loi, ce n'est pas le philosophe qui impose sa vérité fondée sur un prétendu droit naturel. Il est tout de même amusant de constater qu'en dépit de cette critique du platonisme vous demandiez encore qu'il y ait une vérité absolue et transcendante pour nous dicter nos conduites.
Liber a écrit: Est-il pour autant universel ? Seriez-vous prêt à le décréter clairement ici ? De face ! Jésus est-il l'Homme ? Un type décharné cloué sur une croix ?
Je ne sais pas ce que vous voulez dire par là. Mais pour moi, oui, Jésus symbolise la condition humaine, l'ex-istence, c'est-à-dire l'incarnation, l'individuation de l'être indifférencié qui est jeté dans le temps et l'espace, qui a des coordonnées (mise en croix). C'est la seule manière d'être au monde, un monde pluriel, ce qui permet de désirer, d'affecter et d'être affecté, voire de pâtir. Jésus représente la nature devenue conscience (l'homme-Dieu, Dieu fait homme), qui se scinde en elle-même et se produit comme un être divisé et séparé de l'être auquel il se rapporte. C'est l'existant qui peut jouir du monde en étant en même temps tiraillé dans sa chair et sa conscience par l'espace et le temps, par la rencontre de l'Autre, donc par ce qui le dépasse, toute forme de transcendance. C'est l'Un éclaté qu'est la réalité. Et ce qui vise à se réconcilier avec l'être (amour) tout en assumant cette chute dans l'existence, ce "mal" qu'est la division qu'opère l'existence.
Liber a écrit: Restons un peu dans ce monde, surtout quand nous avons si peu de temps à y passer. Voilà ce que tout homme sensé devrait se dire, et non pas : "Fuyons !".
Voilà ce que vous répondez à ce que je dis, pourtant il n'y a nulle part dans ce que je dis une injonction à fuir. La religion donne une compréhension du mal ordinaire, éventuellement console, et permet de s'accrocher à la vie malgré la souffrance. Elle peut être l'occasion de fuir du monde. Mais je combats cette fuite. Nous avons justement à endurer l'existence, à nous y maintenir, ce monde étant le seul auquel nous ayons accès et n'en étant pas pour autant accueillant, il est même profondément hostile (comme le montre Schopenhauer par exemple). La religion donne en exemple des hommes qui font l'épreuve de l'existence.
Liber a écrit: Pourquoi parlez-vous d'un besoin de Dieu ? Comme si croire en Dieu était aussi nécessaire que manger ou boire. C'est là qu'il vous faudrait relire Épicure.
Je conteste le fait que ce besoin ne soit dû qu'à la crainte. Vous-même nous parlez d'une mystique de la nature, d'une religiosité tournée vers le monde. Il ne s'agit pas forcément de fuir ce qu'on craint.
Liber a écrit: Tenter de comprendre le monde par l'intuition ne fait pas de nous des êtres religieux. Un poète, un peintre, un musicien, ne sont pas obligatoirement religieux parce qu'ils ne passent pas par le monde des concepts.
Bergson retrouve chez les mystiques l'intuition de la durée. L'intuition lui permet de viser l'absolu logé au cœur du réel, ce qui l'anime. C'est compatible avec une certaine compréhension du christianisme pour Bergson.
Liber a écrit: Du désir d'un autre monde, c'est-à-dire de la négation de ce monde. La vie qui veut plus ? Mais quoi ? La mort ? Qu'espère trouver le croyant dans la mort, quelque chose que la vie ne lui donne pas ?
Pourquoi pas au contraire un surplus de vie, de puissance ? C'est bien de cela qu'il s'agit dans la visée d'un absolu, ça permet de compenser une faiblesse primordiale. Mais on peut aussi bien dire, avec Nietzsche ou Marx, que la religion est justement symptomatique de cette faiblesse et qu'elle produit des illusions. Pour autant ces illusions peuvent être vitales. Elles peuvent donner confiance dans un monde hostile, qui ne se prête pas aux désirs humains. Tant mieux si on peut s'en passer, si on devient adulte et autonome en assumant sa liberté dans l'Autre et en déboulonnant nos idoles. Mais je pense que les religions primitives et antiques savaient réconcilier l'homme et son monde. Les religions traduisent la créativité humaine, l'emprise de l'homme sur son monde qu'il peuple de sens, elles montrent que la vie vise à se dépasser, à créer des buts qui dépassent la simple mécanique visant à assurer les besoins biologiques. Ce qui est très intéressant c'est que dès le début, comme le rapporte Cassirer, la pensée mythique puis religieuse dépasse la crainte de la mort par la conviction que la vie est partout dans ce tout où tout communique, que la mort n'est qu'accidentelle, que comme les stoïciens on peut avoir une intuition de la sympathie du tout. Face à la crainte de la mort, l'homme s'est affirmé et a affirmé une force en lui capable de résister, il a opposé "sa confiance en la solidarité de la vie, en l'unité indestructible et sans faille de la vie". La mort est niée dans cette solidarité de la vie qui traverse le tout. La religion chrétienne correspond plutôt au développement du sentiment de l'individualité conçue comme privation, c'est-à-dire séparée de l'infini. Mais face aux religions statiques, la religion dynamique vise la liberté individuelle en retrouvant en soi-même ce sentiment de l'infini s'exprimant comme force morale et idéal éthique de liberté.
Liber a écrit: Ce qui est inconnu est du domaine de la foi.
Non, et la foi n'a d'intérêt que pour la raison pratique, non pour la raison théorétique (du moins c'est ce que je comprends du kantisme, je peux me tromper). Là où il n'y a pas de connaissance possible et nécessité de faire des choix il est possible de parier sur un mode d'existence. D'où l'intérêt de la religion. Mais disant cela, une fois de plus, je ne défends pas moi-même la religion. Je suis plutôt d'avis de ne pas s'avancer sur ce qu'on ne peut prouver et que la décision de soi relève de la raison et de l'intime. En l'absence de toute vérité je ne suis pas choqué si quelqu'un fait le saut de la foi. Mais pour moi ce choix existentiel n'est pas une preuve suffisante et nécessaire de l'existence de ce à quoi ce mode d'existence prétend. Dieu ne fait pas partie de mon expérience, donc je fais sans. Mais je ne suis pas persuadé non plus qu'il n'existe pas. En attendant je trouve que cette absence de Dieu ne supprime pas toute morale ou toute responsabilité : l'athéisme radical de Sartre poursuit la morale kantienne, justement parce qu'il n'y a pas de Dieu et que nous sommes responsables pour les valeurs que nous créons. Sartre n'en est pas pour autant religieux...
Liber a écrit: D'abord c'est faux, heureusement qu'on fait des choses qu'on ne voudrait pas qu'on nous fasse, par exemple, mon dentiste. Comment justifiez-vous ensuite la punition, qui est la négation de cette maxime ? Le bourreau n'a certes pas envie qu'on lui tranche la tête ! Et pour finir, parce que vous n'avez que la négative dans cette maxime. "Fais à autrui ce que tu voudrais qu'on te fasse", voilà qui est mieux. On appelle cela l'amour. Imaginez-vous séduire une femme en lui disant ne pas vous faire ce que vous ne voulez pas qu'elle vous fasse ?
Dans un de mes messages précédents j'ai affirmé que la morale kantienne était inapplicable. Il est clair que la morale ne peut être inconditionnelle. Mais on peut la viser dans la mesure du possible. Enfin je ne souligne pas le caractère impératif du dogme mais l'importance de la reconnaissance d'autrui (et de soi-même comme autrui potentiel) qui me semble indispensable à la société et à l'individu. De toute façon vous connaissez Paul : je vois le bien que je veux faire et je fais le mal que je ne veux pas. Le réel n'est pas rationnel, on se débrouille avec. Mais on peut tenter de ne pas trop faire mal et de ne pas défaire les conditions de l'entente, laquelle est nécessaire si nous ne voulons pas pâtir de ce réel qui est suffisamment conflictuel à la base.