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Le philosophe doit-il être irréligieux ?

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5 participants

descriptionLe philosophe doit-il être irréligieux ? - Page 6 EmptyRe: Le philosophe doit-il être irréligieux ?

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Silentio a écrit:
Puis-je conseiller à tout homme de ne pas prendre en compte la réalité, de suivre tous ses désirs (ou caprices) et de faire maintenant ce qui plus tard pourra lui nuire ? Si, par exemple, je tue quelqu'un pour mon plaisir ou pour assouvir ma vengeance, n'est-il pas stupide de préférer ça alors même que je serai arrêté quelques heures plus tard par la police, puis jugé et enfermé pendant de nombreuses années (ma puissance d'agir étant alors extrêmement limitée), ou pire exécuté (dans certains États américains par exemple) ?

Stirner, que je viens de découvrir, vous donnerait une réponse simple : si cet homme est pris et exécuté, c'est qu'il était plus faible que la société. Mais nous n'avons pas à nous interdire quoi que ce soit. Voyez en Corse actuellement, seuls 5% des homicides sont résolus, et encore, de quels homicides parle-t-on ? De crimes passionnels sans doute. Les assassinats ciblés restent impunis. Assurément, vous ne conseilleriez pas à un mafieux corse de ne pas se venger par peur de la police. Il vous rirait au nez. Par contre, la philosophie de Stirner lui semblerait proche de son mode de vie.

Euterpe a écrit:
C'est pourquoi il n'y a pas de morale chez Kant : ce qu'on appelle "morale" chez lui est inconditionnel. "Elle" est bien destinée à l'action, mais ne prescrit aucune action en particulier...

Les critiques de Nietzsche et de Heine sont-elles donc illégitimes ?

Non, bien sûr. Exemple célèbre : pour Kant, le mensonge est interdit au nom du droit, c'est-à-dire que je ne peux pas mentir sans disqualifier le droit. Cela semble évident : mentir un jour, c'est suffisant pour ne plus être crédible. Quelle confiance accorder à une personne qui ne se sent obligée de dire la vérité que selon son bon plaisir ? Stirner au contraire pense que nous pouvons mentir, parce que les circonstances changent constamment. Nous ne sommes pas tenus par le respect du droit à dénoncer un homme à la Gestapo, alors qu'à la veille de la guerre, nous aurions pu dénoncer ce même homme à la police si nous l'avions surpris en train de voler. Les circonstances ne sont plus les mêmes, la police est devenue un instrument de mort au service de génocidaires. Je ne suis plus tenu de respecter mes devoirs de citoyen envers un État criminel (ce d'autant plus que chez Stirner, l'individu prime toujours, mais c'est une autre histoire).

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Liber a écrit:
Stirner, que je viens de découvrir, vous donnerait une réponse simple : si cet homme est pris et exécuté, c'est qu'il était plus faible que la société. Mais nous n'avons pas à nous interdire quoi que ce soit. Voyez en Corse actuellement, seuls 5% des homicides sont résolus, et encore, de quels homicides parle-t-on ? De crimes passionnels sans doute. Les assassinats ciblés restent impunis. Assurément, vous ne conseilleriez pas à un mafieux corse de ne pas se venger par peur de la police. Il vous rirait au nez. Par contre, la philosophie de Stirner lui semblerait proche de son mode de vie.

Mais qui est véritablement plus fort que la société ? Les histoires de mafieux ça finit souvent mal... (Cela dit, je crois que Stirner confond société et État, même si en tant que quasi-solipsiste, romantique idéaliste et individualiste, il s'oppose à tout ce qui ne relève pas du Moi.)

Liber a écrit:
Non, bien sûr. Exemple célèbre : pour Kant, le mensonge est interdit au nom du droit, c'est-à-dire que je ne peux pas mentir sans disqualifier le droit. Cela semble évident : mentir un jour, c'est suffisant pour ne plus être crédible. Quelle confiance accorder à une personne qui ne se sent obligée de dire la vérité que selon son bon plaisir ? Stirner au contraire pense que nous pouvons mentir, parce que les circonstances changent constamment. Nous ne sommes pas tenus par le respect du droit à dénoncer un homme à la Gestapo, alors qu'à la veille de la guerre, nous aurions pu dénoncer ce même homme à la police si nous l'avions surpris en train de voler. Les circonstances ne sont plus les mêmes, la police est devenue un instrument de mort au service de génocidaires. Je ne suis plus tenu de respecter mes devoirs de citoyen envers un État criminel (ce d'autant plus que chez Stirner, l'individu prime toujours, mais c'est une autre histoire).

La question du droit de mentir montre bien en quoi la soi-disant morale kantienne n'en est pas une puisque, formelle, elle ne coïncide pas du tout avec les faits.

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Silentio a écrit:
Mais qui est véritablement plus fort que la société ? Les histoires de mafieux ça finit souvent mal...

En Corse, l'État est inexistant. Si le mafieux finit mal, c'est par la main d'un autre mafieux. Et il n'y a pas qu'en Corse que les choses se passent ainsi. Stirner n'y trouverait rien à redire.

(Cela dit, je crois que Stirner confond société et État, même si en tant que quasi-solipsiste, romantique idéaliste et individualiste, il s'oppose à tout ce qui ne relève pas du Moi.)

En effet, Stirner pense que l'individu est souverain, nous sommes seuls à décider de ce qui nous convient ou pas. Si je veux vraiment trucider quelqu'un, je ne dois pas hésiter par peur des représailles. Ainsi, un stirnérien serait parfaitement à l'aise en Corse, où il aurait à lutter contre d'autres individus, non contre un État ou une société (mais ce serait possible aussi, quoique cela demanderait de s'associer). Si ces mafieux étaient animés des mêmes idéaux que les Florentins, nous ne serions pas loin de l'idéal nietzschéen : des individus libres aux idéaux élevés, qui se battent entre eux, mènent une vie dangereuse, ont besoin de l'art pour assouvir leurs désirs de puissance, d'éclat, de grandeur.

La question du droit de mentir montre bien en quoi la soi-disant morale kantienne n'en est pas une puisque, formelle, elle ne coïncide pas du tout avec les faits.

C'est une morale de bibliothèque, elle fait bien dans les livres. Ne pas considérer la finalité d'une action pour décider si elle est morale ou pas, rend très compliqué l'établissement d'une morale, surtout parce qu'on ne peut plus décider de son comportement en fonction des circonstances. L'État vous donne un certificat de bravoure quand vous tuez un soldat sur le champ de bataille, mais il vous fait pendre si vous tuez un concitoyen. Comment alors comprendre des maximes universelles telles que : "Tu ne tueras point" ? Vous mentez à la Gestapo, vous êtes un héros, sauf pour Kant, parce que vous avez désobéi à votre devoir. Schopenhauer avait raison de comparer la morale kantienne à la morale judaïque. Toutes les deux sont sans application pratique possible, sauf à les contourner, ce qui en rend le principe d'universalité caduque. Cela dit, il me semble, comme le dit son épitaphe, que Kant souhaitait juste contempler la loi morale, comme il s'émerveillait du ciel étoilé. C'était une façon de retrouver la foi chrétienne, quand on n'a plus la certitude de l'existence de Dieu, on a encore celle de la morale, la morale des chrétiens étant intimement liée à leur Dieu.

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Liber a écrit:
En effet, Stirner pense que l'individu est souverain, nous sommes seuls à décider de ce qui nous convient ou pas. Si je veux vraiment trucider quelqu'un, je ne dois pas hésiter par peur des représailles. Ainsi, un stirnérien serait parfaitement à l'aise en Corse, où il aurait à lutter contre d'autres individus, non contre un État ou une société (mais ce serait possible aussi, quoique cela demanderait de s'associer). Si ces mafieux étaient animés des mêmes idéaux que les Florentins, nous ne serions pas loin de l'idéal nietzschéen : des individus libres aux idéaux élevés, qui se battent entre eux, mènent une vie dangereuse, ont besoin de l'art pour assouvir leurs désirs de puissance, d'éclat, de grandeur.

Nietzsche aurait donc aimé les westerns ! Je préfère considérer Clint Eastwood, dans la trilogie des dollars, comme l'Etranger, le dialecticien indépendant et solitaire débarquant en ville et réglant ses comptes avec l'adversité par la dialectique (qui peut casser des briques). :lol:
Liber a écrit:
Comment alors comprendre des maximes universelles telles que "Tu ne tueras point" ?

Chez Hobbes, par exemple, je ne dois pas tuer tant que la loi permet ma sécurité. Si ce n'est pas le cas, je peux me rebeller et reprendre mon droit de nature et chercher tout moyen que je juge bon et nécessaire pour me conserver. Et en cas de guerre entre Léviathans, je suis obligé de me battre contre ceux qui menacent la communauté qui garantit mon intérêt. Peut-être peut-on réinterpréter les commandements divins comme des lois de nature (des préceptes dictés par la raison) comme normes des lois civiles à venir. Mais c'est la communauté politique seule qui peut garantir ces lois, les faire être de vraies lois, en assurant l'obéissance de tous les sujets. Ce sont les hommes qui par les conventions passées entre eux et la loi émanant du pouvoir souverain (représentant leurs intérêts) qui définissent le bien et le mal, la justice, etc., tandis que dans la nature chacun est juge de ce qui est bon ou non pour lui-même. En ce sens, le "tu ne tueras point" est conditionnel. S'il est préférable de ne pas tuer dans l'état de nature, parce que l'égalité naturelle mène à la destruction mutuelle, il est cependant préférable, en société (qui de fait nous préexiste, tandis que l'état de nature est fictif), de ne pas tuer car en tuant on outrepasse notre liberté (ou plutôt ses conditions de possibilité), laquelle est permise par l'état de droit (lui-même nécessaire à toute liberté et à toute subsistance par le vivre-ensemble - qui s'il s'effondre mène à la violence). Hobbes me semble plus subtil et conscient du réel que Kant.
Liber a écrit:
Schopenhauer avait raison de comparer la morale kantienne à la morale judaïque. Toutes les deux sont sans application pratique possible, sauf à les contourner, ce qui en rend le principe d'universalité caduque.

Au contraire, le judaïsme serait bien plus l'antithèse de la morale kantienne : l'une est pure et ne correspond pas à l'existence humaine concrète, l'autre est certes dure mais toute orientée vers la pratique (rites et cérémonies sont plus déterminants dans la moralité que la réflexion sur les intentions). On ne comprendrait pas, sinon, comment le judaïsme peut être une religion (elle est effectivement pratiquée). Je vous mets au défi, au contraire, de me montrer un kantien : ça n'existe pas. (A noter que dans le judaïsme, les commandements sont donnés à un peuple, élu, à une communauté politique, dont Moïse est le législateur, tandis que la prétention à l'universalité, qui pourrait être vue comme un impérialisme, ne vient qu'avec le christianisme.)
Liber a écrit:
Cela dit, il me semble, comme le dit son épitaphe, que Kant souhaitait juste contempler la loi morale, comme il s'émerveillait du ciel étoilé. C'était une façon de retrouver la foi chrétienne, quand on n'a plus la certitude de l'existence de Dieu, on a encore celle de la morale, la morale des chrétiens étant intimement liée à leur Dieu.

Kant a tendance, me semble-t-il, à chercher des idéaux qui, paradoxalement, requièrent qu'ils soient inaccessibles, inatteignables, pour être visés et servir de points de repère à l'homme perdu dans le monde et confronté au déterminisme du monde phénoménal (si nous sommes des animaux alors entretuons-nous, mais est-ce que nous voulons ? Comment devenir libres - et ne pas nous entredévorer ? Les commandements donnés à Moïse ne sont-ils pas le premier pas vers l'état de droit limitant les désirs, la bestialité banale de l'animal humain, vers son humanisation, la civilisation, et la liberté ?). Maintenant que nous savons avec Kant ce qu'est une morale idéale, qui ne concerne pas les hommes, qui n'est que perfection du devoir-être, il faudrait penser une morale à hauteur d'homme, prenant en compte l'imperfection relative de l'être. Est-ce qu'à ce titre la morale de Schopenhauer n'est pas, même si vous la trouverez d'inspiration chrétienne, une tentative de prendre en compte la vulnérabilité de la condition humaine, sa faillibilité, dans un monde absurde et hostile, en privilégiant la pitié face à la souffrance (qui n'est pas niée mais compensée en vue de vivre malgré tout) ? (Soit dit en passant, il faudrait vraiment que je lise Schopenhauer, je crois que c'est par certains aspects un des philosophes qui devraient le plus me correspondre.)

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Silentio a écrit:
Nietzsche aurait donc aimé les westerns !

Il aimait déjà l'Afrique. Par contre, il n'y a pas dans l'Ouest américain la douceur de vivre méditerranéenne qu'il affectionnait.

Liber a écrit:
Schopenhauer avait raison de comparer la morale kantienne à la morale judaïque. Toutes les deux sont sans application pratique possible, sauf à les contourner, ce qui en rend le principe d'universalité caduque.

Au contraire, le judaïsme serait bien plus l'antithèse de la morale kantienne : l'une est pure et ne correspond pas à l'existence humaine concrète, l'autre est certes dure mais toute orientée vers la pratique (rites et cérémonies sont plus déterminants dans la moralité que la réflexion sur les intentions). On ne comprendrait pas, sinon, comment le judaïsme peut être une religion (elle est effectivement pratiquée). Je vous mets au défi, au contraire, de me montrer un kantien : ça n'existe pas.

L'une et l'autre sortent d'un chapeau. Kant ne nous dit jamais pourquoi il ne faut pas tuer. Toute la force d'un commandement provient de la force de celui qui commande, Yahvé le tout puissant ou la Raison.

A noter que dans le judaïsme, les commandements sont donnés à un peuple, élu, à une communauté politique, dont Moïse est le législateur, tandis que la prétention à l'universalité, qui pourrait être vue comme un impérialisme, ne vient qu'avec le christianisme.

Je ne parlais pas d'une maxime applicable à l'ensemble de l'humanité (c'est encore autre chose, le niveau supérieur si je puis dire), mais d'une interdiction totale de tuer. Une maxime comme : "Tu ne tueras point" est valable en tous lieux et en tous temps. Sinon Moïse aurait dit : "Tu ne tueras point sauf si...", ce qui est la morale courante à peu près partout dans le monde, et dieu sait si les dérogations sont nombreuses.

Kant a tendance, me semble-t-il, à chercher des idéaux qui, paradoxalement, requièrent qu'ils soient inaccessibles, inatteignables, pour être visés et servir de points de repère à l'homme perdu dans le monde et confronté au déterminisme du monde phénoménal

C'est le principe de son traité Vers la paix perpétuelle. Pour sa morale, je ne sais pas. Est-ce que viser la perfection de l'impératif catégorique me permet de mieux me comporter dans la vie ?

Les commandements donnés à Moïse ne sont-ils pas le premier pas vers l'état de droit limitant les désirs, la bestialité banale de l'animal humain, vers son humanisation, la civilisation, et la liberté ?

Pourquoi les premiers pas ? Notre morale n'est-elle pas encore infondée, plus de 3000 ans après Moïse ?

Est-ce qu'à ce titre la morale de Schopenhauer n'est pas, même si vous la trouverez d'inspiration chrétienne, une tentative de prendre en compte la vulnérabilité de la condition humaine, sa faillibilité, dans un monde absurde et hostile, en privilégiant la pitié face à la souffrance

Pourquoi la pitié chez Schopenhauer ? Parce qu'elle permet d'abolir la barrière entre les individus, elle n'est pas une réaction à la souffrance, comme vous le pensez, mais constitue le point de départ d'une ascèse vers la suppression de la Volonté, au même titre que la sexualité me permet de faire l'expérience de la Volonté à travers mon corps.

Soit dit en passant, il faudrait vraiment que je lise Schopenhauer, je crois que c'est par certains aspects un des philosophes qui devraient le plus me correspondre.

Sur tous ces sujets dont nous parlons, vous pouvez lire Le fondement de la morale. C'est dans ce livre que se trouve la critique que Schopenhauer adresse à Kant sur l'arrière-fond judaïque de sa morale.
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