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Le philosophe doit-il être irréligieux ?

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5 participants

descriptionLe philosophe doit-il être irréligieux ? - Page 5 EmptyRe: Le philosophe doit-il être irréligieux ?

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Il y a assurément une différence entre la volonté de conservation et la volonté d'un surcroît de vie, de puissance. La première est motivée par la crainte de la mort et recherche la sécurité. La seconde recherche le risque pour trouver, au sein de la lutte, en quelque sorte par la mort elle-même, le moyen de s'étendre et d'épancher sa soif insatiable d'activité et d'intensité. Ce serait comme comparer une eau croupie à un fleuve déchaîné vivant et grossi de mille altérations et rencontres. Mais peut-être la volonté de vie est-elle aussi une fuite : un divertissement au regard de la mort elle-même. Causé par la mort et l'ennui, le désir d'être plus que soi-même ou plus vivant n'est-il pas aussi le fait d'une insatisfaction à l'égard de ce qui est ? Ne traduit-il pas une dénégation de la fragilité humaine, là où la volonté de conservation mène à endurer ce qui nous limite, à accepter l'Autre et à la maîtrise de soi (en faisant que la force se retienne et se nourrisse d'elle-même) ?

Mais je me pose plusieurs questions : si l'homme est un animal irrationnel et passionné, doit-il suivre son animalité pour se réaliser comme homme ? Les animaux eux-mêmes, qui semblent ne pas faire preuve de raison, c'est-à-dire de calcul des risques, mettent-ils sans arrêt leur vie en jeu en vue d'être plus que ce qu'ils sont ? L'homme, qui n'a pas la perfection de l'animal, c'est-à-dire qui n'est pas auto-suffisant, doit-il suivre aveuglément le désir qui l'anime ou écouter une raison qui lui permettrait de juger de ce qui est bon pour lui ou non dans la prise en compte de la sociabilité (naturelle ou non) de l'homme ? Est-il rationnel, au regard de la vie qui veut plus d'elle-même, de risquer la mort ? La volonté de conservation exclut-elle toute possibilité d'émancipation individuelle ?

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Silentio a écrit:
Mais peut-être la volonté de vie est-elle aussi une fuite : un divertissement au regard de la mort elle-même. Causé par la mort et l'ennui, le désir d'être plus que soi-même ou plus vivant

Vous pensez ce désir comme quelque chose de conscient, de personnalisé. On ne choisit pas de vouloir vivre. Schopenhauer a cette phrase magnifique, qui dit que "l'homme peut faire ce qu'il veut, mais il ne peut pas vouloir ce qu'il veut". Une fois jeté dans le grand bain par notre mère, nous ne pouvons plus ne pas vouloir la vie. Même le suicide est une volonté de vivre :
Schopenhauer a écrit:
Bien loin d’être une négation de la Volonté, le suicide est une marque d’affirmation intense de la Volonté. Car la négation de la Volonté consiste non pas en ce qu’on a horreur des maux de la vie, mais en ce qu’on en déteste les jouissances. Celui qui se donne la mort voudrait vivre ; il n’est mécontent que des conditions dans lesquelles la vie lui est échue.


Est-il rationnel, au regard de la vie qui veut plus d'elle-même, de risquer la mort ? La volonté de conservation exclut-elle toute possibilité d'émancipation individuelle ?

Mais bien sûr que c'est rationnel. Tout progrès, c'est-à-dire, toute sécurisation de la vie, passe par une prise de risque. Je ne vous rappellerai pas Christophe Colomb, mais chaque jour, des milliers d'hommes risquent leur vie pour vous permettre de conserver la vôtre. Il n'y a guère qu'un philosophe terré dans sa chambre qui ne s'en rende pas compte. Même Pascal le disait (à propos de la chambre).

Dernière édition par Liber le Mer 14 Nov 2012 - 14:46, édité 2 fois

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Liber a écrit:
Vous pensez ce désir comme quelque chose de conscient, de personnalisé. On ne choisit pas de vouloir vivre. Schopenhauer a cette phrase magnifique, qui dit que "l'homme peut faire ce qu'il veut, mais il ne peut pas vouloir ce qu'il veut". Une fois jeté dans le grand bain par notre mère, nous ne pouvons plus ne pas vouloir la vie. Même le suicide est une volonté de vivre

Je suis tout à fait d'accord avec Schopenhauer sur le suicide. Mais je ne pense pas ce désir comme quelque chose de conscient. Je ne choisis ni de vivre ni de désirer. La seule chose que je peux choisir c'est ma conduite de vie, d'après ce qui m'est donné (ma puissance et ma situation dans le monde), et de suivre mon désir ou non. Je pense que le désir vise la toute-puissance si on le laisse faire, c'est dans sa nature. Mais là où il y a conscience, et donc choix, c'est dans l'alternative entre une attitude raisonnable et une autre qui suit ce désir et essaye de le satisfaire jusqu'à cette limite que représente le risque de la mort. Vouloir vivre et vouloir se conserver sont naturels, de même que la volonté d'accroître sa puissance, mais je ne crois pas qu'il soit bon pour l'homme de chercher à accroître sa puissance, de satisfaire son désir pour exister plus intensément, au-delà de certaines limites. C'est d'ailleurs lorsque ces limites n'existent plus que l'individu, lorsqu'il est délaissé par tous et n'a plus les moyens de pérenniser son désir ou de le compenser, est amené à se suicider. Tout résiste à son désir qui dans sa quête de toute-puissance, d'absolu, réclame à manger selon sa faim. Or plus rien dans le monde ne peut le satisfaire et la vie préfère quitter ce monde. La psyché préfère la mort, l'état d'indissociabilité, de non existence au monde, elle se replie sur elle-même : la monade psychique veut se remplir d'elle-même, elle croit trouver dans la mort ce qui la remplira d'être, d'une jouissance infinie d'elle-même hors de l'intrusion de l'Autre. Mais la sphère d'être parménidéenne, l'Un, n'est pas le bonheur dont une existence pourrait jouir, c'est au contraire le Néant. C'est le bonheur négatif, le malheur d'un désir enfin contenté puisque fini, inexistant. Sans objet il n'est plus, et il n'y a plus de sujet. On touche enfin à l'illimité, au rien abyssal. Alors qu'exister, au contraire, c'est être en relation à l'Autre, et par cet écartèlement même désirer : je ne suis pas tout et mon désir trouve autant d'obstacles à sa réalisation qui en même temps le suscitent. En termes freudiens, le principe de plaisir voudrait que la réalité réponde aux désirs du sujet, tandis que le principe de réalité doit s'imposer car l'existant, le désirant, qui vise toujours à être plus que ce qu'il n'est, trouve que le monde lui résiste. Vivre en homme c'est donc comprendre que nos désirs doivent être limités, qu'on ne peut pas tout (vouloir), que le désir ne peut s'exprimer qu'à condition de ne pas le laisser porter avec lui ses excès.[/color]

Liber a écrit:
Mais bien sûr que c'est rationnel. Tout progrès, c'est-à-dire, toute sécurisation de la vie, passe par une prise de risque. Je ne vous rappellerais pas Christophe Colomb, mais chaque jour, des milliers d'hommes risquent leur vie pour vous permettre de conserver la vôtre. Il n'y a guère qu'un philosophe terré dans sa chambre qui ne s'en rende pas compte. Même Pascal le disait (à propos de la chambre).

Mais ce que vous dites alors, c'est que la volonté de puissance est subordonnée à la volonté de conservation. La vie veut plus d'elle-même afin d'agir en vue de sa propre pérennisation. Ce qui peut prendre différentes formes puisque chacun est juge de ce qui est bon pour lui-même. Cependant, je ne crois pas que tout soit bon : il y a des maux universels qui nous menacent tous et tous calculent leurs actions à entreprendre ou non en fonction de la fin désirée. Il peut être rationnel de laisser place à une part de risque, surtout lorsque ce risque est nécessaire si l'on ne peut se passer ou si l'on est forcé (par exemple pour survivre) de le prendre. Mais il y a des situations où ce que l'on fait contredit notre volonté. Ça arrive au quotidien : on ne fait pas ce que l'on veut, on fait ce que l'on ne veut pas, suivant les événements, etc. Mais il y a surtout des situations où il apparaît absurde de faire ce qui est contraire à notre vie ou à notre bien recherché. Nous pouvons chercher à nous faire peur, pour l'intensité qu'elle procure, ou la gloire d'une action risquée par exemple. Nous pouvons faire des choses alors que nous savons qu'il y a de fortes chances que ça ne marche pas et que ça nous blesse. Nous pouvons déclarer notre flamme à une femme alors que nous savons que nous prenons un risque, parce que nous nous exposons aussi bien au ridicule qu'à l'échec. Il y a plein de situations quotidiennes qui font que nous prenons des risques. Ou bien il y a des situations de survie où l'on tente le tout pour le tout, c'est quitte ou double, puisque l'on est dans la nécessité de faire quelque chose contre la mort qui menace. Pour autant, puis-je généraliser le risque et légitimer la prise de risque ? Vais-je, dans mon commerce avec les hommes, me permettre, et permettre à autrui par la même occasion, de menacer les autres ? Vais-je céder à mon envie de casser le nez de cet abruti qui se moque de moi ? Est-ce que ça vaut le coup, par exemple pour éprouver une satisfaction instantanée, de me mettre en danger et de craindre la réaction d'autrui ? Puis-je conseiller à tout homme de ne pas prendre en compte la réalité, de suivre tous ses désirs (ou caprices) et de faire maintenant ce qui plus tard pourra lui nuire ? Si, par exemple, je tue quelqu'un pour mon plaisir ou pour assouvir ma vengeance, n'est-il pas stupide de préférer ça alors même que je serai arrêté quelques heures plus tard par la police, puis jugé et enfermé pendant de nombreuses années (ma puissance d'agir étant alors extrêmement limitée), ou pire exécuté (dans certains États américains par exemple) ?

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Silentio a écrit:
Mais ce que vous dites alors, c'est que la volonté de puissance est subordonnée à la volonté de conservation. La vie veut plus d'elle-même afin d'agir en vue de sa propre pérennisation.

Ce qui est certain, dans la pensée de Schopenhauer, de Nietzsche et de Darwin, c'est que la vie ne veut pas la mort, elle en a horreur. Dans l'Antiquité, on parlait d'acmé, pour signifier la fin d'une période de croissance. Quelle que soit la grandeur atteinte par un être vivant, il ne peut la conserver, il ne peut que transmettre la vie pendant qu'il en est encore temps. D'où l'importance cruciale dans la philosophie nietzschéenne de l'hérédité.

Est-ce que ça vaut le coup, par exemple pour éprouver une satisfaction instantanée, de me mettre en danger et de craindre la réaction d'autrui ?

Ce que je peux vous dire de sûr, c'est que ça ne vaut jamais le coup d'avoir peur des autres. Comme tout animal, vous évaluez la dose de danger que vous êtes prêt à supporter, et ce sans considération du but à atteindre, simplement parce que, sans conscience du danger, vous oseriez tout.

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La peur de l'autre a la vertu de me faire reconnaître l'autre et mes limites. Mais vivre dans la crainte permanente n'est pas une bonne façon de vivre, c'est même elle qui suscite le conflit car alors on se soupçonne et on se menace. Il s'agit au contraire d'accepter l'autre et de pouvoir vivre avec, plutôt que contre. Je ne nie pas le caractère conflictuel du réel, mais c'est justement pour cela, parce que nous sommes fragiles et menacés, peut-être avant tout par nous-mêmes, par notre présomption, que nous devons apprendre à être chez nous dans l'Autre, c'est-à-dire à être libres suivant la formule de Hegel. Et puis, si je suis vraiment si fort, je dois pouvoir me maîtriser moi-même, m'autolimiter, sinon je suis l'esclave de mes désirs et je m'expose à la violence de l'Autre. Je comprends le malaise qu'il y a à dire que l'homme est faible et qu'il doit prendre en compte l'Autre. Mais je ne dis pas qu'il doit se soumettre à l'Autre et s'oublier en lui. Bien au contraire, il faut assumer la subjectivité, intermédiaire entre les exigences du désir, infra-individuel, et celles de la société, parce que la psyché ne peut survivre qu'en société et qu'elle ne peut pas non plus être sa servante. Il faut réussir à s'assumer en n'ayant pas peur de l'autre, mais en même temps je ne suis rien sans l'autre. Et si nous allons dans le même sens notre puissance est redoublée. Spinoza montre justement comment la joie crée un cercle vertueux, comment mon environnement me procure en retour encore plus de joie. Il n'y a donc pas nécessairement de la domination, on peut trouver des rapports aux autres qui nous soient favorables. Je dépends toujours de l'autre parce que je me détermine par rapport à lui, parce qu'il permet le désir, parce qu'il est l'objet de mon désir ou encore parce qu'il peut m'aider ou me permet d'être libre en ne me menaçant pas (sinon il constitue un obstacle et les deux absolus qui prétendent à la liberté et désirent la même chose s'anéantissent : c'est la guerre).
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