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Autour d'une pensée de l'existence

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descriptionAutour d'une pensée de l'existence - Page 22 EmptyRe: Autour d'une pensée de l'existence

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2°) Evolution du sens  exister.
Il faut attendre le XVIIème siècle pour que le verbe exister se vulgarise. Il va acquérir une fonction pragmatique puisque exister va signifier une certaine modalité pour l’être, d’être. Exister va permettre de mettre l’accent pour la première fois sur quelque chose  que le verbe être tout seul ne dit pas, à savoir une certaine modalité de l’être. Sur quel mode l’être est possible.
Exister signifiera donc à partir de ce moment-là, être réellement. L’accent se déplace maintenant sur la réalité.
Cet accent qui est mis sur la réalité de l’être [exister veut dire être dans le monde des choses réelles, donc sujettes à l’expérience et non plus seulement dans le monde des idées, de la pensée], se retrouverait chez Descartes qui, au terme du doute, est amené à découvrir cette première vérité fondamentale qu’est le cogito. Il va éprouver le besoin d’écrire « je suis, j’existe ». Il met bien l’accent sur le fait que son être s’inscrit aussi dans la réalité.
Cette émergence que nous constatons dans le terme exister, employé de plus en plus couramment, ne doit pas nous laisser croire que désormais l’existence devient une catégorie fondamentale, une catégorie première. Certes il y a une inflation au niveau du langage mais cela ne change rien fondamentalement puis que l’existence continue à exprimer une des modalités de l’être.
La catégorie qui reste malgré tout première est bien l’être par rapport à l’existence, qui, elle, est toujours seconde.
D’où l’idée de contingence qui va très vite être découverte, alors que ce terme est tout le temps présent, et qu’en même temps au niveau de la pensée, de la logique rien n’est modifié. L’être est toujours premier. Il semblerait que l’on ait  pressenti les enjeux.  Quels sont-ils ? Assurer la pérennité de la métaphysique.
Il faut bien comprendre le problème suivant : si (pure hypothèse puisque l’histoire montre que cela n’a pas eu lieu) l’existence était venue recouvrir l’être, c’est-à-dire que finalement elle devienne la catégorie première, que l’être soit non seulement recouvert par l’existence mais occulté, cela en aurait été fini de la métaphysique qui ne se fonde que comme science de l’être. La discipline première de l’être, et en même temps  la discipline la plus achevée, c’est l’ontologie, la science de l’être en tant qu’être.
Oui, l’existence est de plus en plus employé, mais d’une façon paradoxale elle ne modifie rien quant à la place de nos catégories de pensée. Il en va de la survie de la métaphysique.
Cela nous permet de souligner que toute la métaphysique occidentale (et en cela les occidentaux sont uniques, il n’y a pas d’équivalence dans d’autres systèmes de pensée, d’autres philosophies) est le produit de l’existence de ce verbe être dans la langue grecque qui a, grammaticalement parlant, été progressivement nominalisé.
Au lieu d’utiliser simplement « être » comme verbe, et particulièrement comme copule, c’est-à-dire servant à lier des éléments du discours, on a peu à peu distingué l’être en tant qu’être. Du verbe qu’il était, il est devenu véritablement un  substantif, et du verbe être on passe à l’être.
La discipline maîtresse qui va régner pendant 2500 ans en philosophie pour l’occident, la métaphysique, est construite autour de ce qui n’est qu’une particularité linguistique propre au grec ancien. On ne peut pas manipuler ces catégories. Il suffit de changer leur rapport mutuel, de permuter leur place pour que tout un domaine de la philosophie, ce domaine avec lequel la philosophie se confond pendant la totalité de son existence pour nous, s’effondre totalement. Si l’on se permettait une comparaison nous pourrions dire que l’emploi nominal du verbe être c’est notre « big-bang ». L’origine de la métaphysique c’est quelque chose qui est le produit d’une cristallisation autour des propriétés au fond d’un verre.

Dernière édition par Vangelis le Mar 21 Juin 2016 - 15:11, édité 1 fois (Raison : Mise en forme.)

descriptionAutour d'une pensée de l'existence - Page 22 EmptyRe: Autour d'une pensée de l'existence

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Arcturus a écrit:

Ce n'est pas cela que l'on appelle contresens. L'opposé, en logique de "fuir ses responsabilités est le fait du salaud" est "fuir ses responsabilité n'est pas le fait du salaud". Or si, c'est bien le fait du salaud. Il ne s'agit pas d'un contresens mais d'un défaut de précisions, car il fallait ajouter, à salaud, le lâche. Ne cédez pas si facilement au désir de décrédibiliser votre interlocutrice.

Loin de moi l'idée de décrédibiliser qui que ce soit.
Votre raisonnement est logique et je dois  préciser une chose. Il s'agit dans les deux cas de fuir la liberté et je ne me satisfais même pas de  "ce n'est pas l'apanage du salaud ". J'aurais dû aller encore plus loin dans l'explication, surtout concernant la responsabilité. Mais si vous saviez le temps que l'on passe à administrer un forum... ( Voyez, là je suis le lâche Sartrien dans le sens où je fuis ma liberté en me cherchant des excuses).
Arcturus a écrit:
Vous croyez sérieusement que Sartre se classait parmi les lâches ou les salauds, vous croyez sérieusement qu'il classait Simone de Beauvoir  parmi les lâches et les salauds? Quand on connaît ses engagements politiques, vous croyez qu'il classait sérieusement les révolutionnaires  de 1968 parmi les lâches et les salauds ? ou encore les Juifs de la Shoah parmi les lâches et les salauds ? Non ça ne tient pas la route votre assertion. Il y a  bien un troisième homme. C'est une question de bon sens.

Juste un complément parce que je crois savoir où vous achoppez. (Et là je suis le salaud Sartrien dans le sens où je fuis ma liberté en considèrant mon intervention comme nécessaire, et mon existence de même).
Il ne faut pas prendre le lâche et le salaud Sartrien dans leur sens commun. C'est un concept Sartrien qui n'a rien à voir avec un attitude qui se rapporterait à une valeur établie. C'est uniquement un jugement par rapport à la possibilité du choix, et non pas par rapport au choix lui-même. Dans ce concept, Sartre ne juge pas les actes mais la prise de position par rapport au choix. Plus loin dans L'existentialisme est un humanisme, et juste après la fameuse sentence sur le lâche et le salaud il précise son concept :
Sartre, L'existentialisme est un humanisme, Édit Tel, p70 a écrit:

Lâches et salauds ne peuvent être jugés que sur le plan de la stricte authenticité.

L'authenticité est à prendre ici comme  liberté ontologique, et donc que la porte de sortie ou le troisième homme, ne peut être dans l'être mais dans le faire. C'est plus clair dans Cahiers pour une morale où il la définit ainsi :
Sartre, Cahiers pour une morale, Édit. Gallimard, p 490. a écrit:

Saisie thématique de la liberté, de la gratuité, de l’injustifiabilité.

Ainsi les malheureuses victimes que vous convoquez ( méthode que je réprouve, soit dit en passant ) peuvent reposer en paix. Sartre ne parle pas du lâche et du salaud au sens trivial.

Et chose aussi importante, nous sommes tour à tour, soit lâche, soit salaud comme je viens de le démontrer pour ma propre personne. J'espère que mon explication vous permettra d'en finir avec ces deux termes péjoratifs qui ont une toute autre définition chez Sartre.

descriptionAutour d'une pensée de l'existence - Page 22 EmptyRe: Autour d'une pensée de l'existence

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Je vous répondrai plus tard Vangelis. Mais je vous répondrai, c'est sûr.
Dans ma nouvelle publication je cite à nouveau Sartre. Nul doute que vos compétences avérées en la matière vous conduiront à me répondre à nouveau. Si vous décelez une possibilité de contester, de modifier, de corriger, j'en serai bien sûr heureuse.

Je continue l'étude.

3°) Ce n’est qu’au XXème siècle, et notamment à partir de la réflexion de Heidegger, que le terme existence accueillera un sens nouveau, attesté et repris par l’ensemble des existentialistes. C’est le mouvement par lequel l’homme s’arrache en permanence à lui-même, mouvement de sortie de soi. Cette sortie de soi se fera soit sur le mode de l’intentionnalité, soit sur le mode de la transcendance.
(Ek-sistenz : il s’agit de séparer les deux éléments constitutifs du terme pour insister et nous rappeler qu’il y a enfoui à l’intérieur cette idée de mise à l’extérieur, d’une sortie de quelque chose et particulièrement de soi)
Ek-sistenz…..sortie (de soi)….intentionnalité (phénoménologie)
Ek-sistenz…..sortie (de soi)….transcendance.
Essayer de penser l’existence correspond à ce projet de la saisir, de la comprendre, de trouver sa vérité, de la diriger. Dans cette évolution du terme existence, nous allons de plus en plus prendre conscience du sens que Heidegger lui donnera. Dans l’existence il y a toujours cette idée de sortie de soi. Il y a une quête intérieure, la quête de la vérité de soi en supposant bien évidemment qu’elle existe.

La vérité de soi est bien le projet avoué ou non avoué d’une réflexion sur l’existence. Avec les philosophies de l’existence peu à peu va tomber une certaine illusion qui consiste à renoncer progressivement à l’idée qu’il suffit d’ouvrir une boîte pour y trouver la vérité. Nous avons tous été formés avec l’idée que la vérité est immanente, inhérente à quelque chose. Il suffit d’étudier la chose, d’ouvrir la boîte et la vérité se révèle, qu’il y ait des emboitements ou pas. Ce grand schéma avoué ou non avoué de la vérité c’est celui que nous avons porté quasiment jusqu’à la fin du XIXème siècle.

L’intérêt des philosophies de l’existence, à partir de Heidegger, va être de nous contraindre à renoncer à ce schéma. S’il existe une vérité de nous, ce n’est pas sur ce mode que nous pourrons envisager de la trouver, mais au contraire, c’est dans le mouvement même qui me porte à chercher, à poser quelque chose que j’apprends de ma vérité. Il n’y a pas moi d’un côté, et la vérité de l’autre, ou ma vérité à l’intérieur de moi dont je serais absolument coupé, mais je suis moi-même une sorte de démiurge qui enfante sans arrêt ma vérité. Ma vérité est liée aux modalités que je choisis pour la chercher.

Peu à peu l’espace se réduit entre la conception métaphysique de la vérité, et la conception scientifique. L’explosion des sciences et particulièrement les grandes mutations, révolutions de la nature à la fin du XIXème siècle, la découverte du monde infiniment petit, les premiers calculs faits en microphysique attirent l’attention sur une chose, totalement nouvelle, on ne peut observer le réel sans induire des effets sur le réel. L’observateur perturbe l’objet observé. Cette découverte qui semble très ponctuelle, n’affectait que les sciences de la nature. En définitive, sur le plan épistémologique elle va affecter la philosophie, notre façon de penser. Nous allons changer peu à peu le schéma, nous allons peu à peu découvrir que c’est nous qui sommes désireux de posséder une vérité sur le monde des choses, des autres, nous-mêmes.

C’est notre projet, la vérité n’est pas dans les choses. Les choses sont (da sein), c’est nous qui avons besoin qu’elles soient vraies. C’est nous qui fabriquons cette valeur, nous qui nous arrangeons pour qu’en l’appliquant sur le réel, comme toute application, nous modifions le réel. Et ce que nous trouvons contient forcément ce que nous y avons mis.
Cet ultime sens qui va tellement enrichir les philosophies de l’existence, qui va même leur donner leur soubassement, c’est-à-dire cette idée que l’existence nous confronte à quelque chose d’ouvert, qui va s'opposer d’ailleurs à l’essence, qui, elle, est nécessairement fermée, croise une idée que Bergson a soutenue.

Cette idée bergsonnienne est l’idée que, au fond, on ne peut découvrir la vérité que dans un mouvement rétrograde du vrai. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que c’est toujours dans un mouvement rétroactif que nous découvrons la vérité des choses. Par exemple, si nous prenons le temps, c’est toujours du présent que nous nous tournons vers notre passé. Ce mouvement rétroactif produit une illusion nécessaire. Cette illusion nécessaire nous porte à attribuer aux choses, au passé, des qualités, des déterminations qui ne lui appartiennent pas mais que nous rétro-projetons sur eux.

Cela donnera chez Bergson une célèbre méditation sur « Le possible et le réel » (coll. Quadrige. PUF). Bergson démontrera que nous sommes habitués à penser le possible avant le réel, et bien, par ce mouvement rétrograde du vrai, il faut inverser les choses. Ce que nous connaissons, enfin le moins mal, c’est le réel. C’est à partir du réel que nous échafaudons un possible, mouvement rétroactif du vrai.

Si nous revenons à l’existence, nous pouvons dire que ce mouvement de sortie de soi, constitutif de la conscience ou de l’être conscient, va nous enfermer dans le même type d’illusion. Nous en voyons les effets d’une façon existentielle lorsque nous réfléchissons à nos existences et que nous nous désolons de ne pas avoir su prendre telle décision, ou trop tardé à la prendre. Finalement toutes les philosophies existentielles vont s’employer, chacune avec un biais particulier, à nous décaler. Cette façon-là est inappropriée, inadéquate. Pourquoi?

Pace que là justement, nous sommes pris dans ce mouvement rétroactif du vrai, c’est-à-dire nous projetons un savoir qui est le nôtre ici, maintenant, qui n’était certainement pas le nôtre au moment où nous vivions ces événements, et qui projette une lumière sur ces événements qui va déclencher des jugements, en général moraux, va produire de la souffrance, du remords, de la culpabilité, de la perte de l’estime de soi…, et qui est bien le produit de ce mouvement relativement perverti.

Il convient bien de comprendre l’importance de cette idée de sortie de soi, échappée de soi que l’ensemble des philosophies existentielles posent. La proposition de départ est qu’il ne saurait y avoir véritablement de contrôle de soi, de maitrise de soi. Prétendre le contraire serait, comme le dit Sartre, nier notre transcendance, serait se réfugier dans la facticité. Cela voudrait dire renoncer à notre liberté parce que nous ne voulons pas en assumer la responsabilité et donc nous nous transformons en choses.

Cette attitude est l’attitude que décrira Sartre comme l’attitude de la mauvaise foi. Mais parce que nous avons recours à la mauvaise foi, nous démontrons notre condition d’être transcendants. Nous avons également ce curieux paradoxe de l’existence qui est tout et rien comme le dit Sartre. Tout puisque je tiens intégralement dans mon existence. En même temps l’existence ne se laisse pas saisir, ne se laisse pas déterminer, ne se laisse pas définir, tout le temps me dépasse et me condamne à un mode de vie que d’aucuns jugeront défaillant. D’où la tentation de la foi pour la partie chrétienne, en tout cas quelque chose qui ne peut se dérouler que sur le mode de l’angoisse, puisque je cours désespérément après un être dont je sais bien qu’à chaque domaine de ma vie je ne possède pas. D’où le thème de l’angoisse qui devient tout à fait central à commencer par Kierkegaard.

Ce mouvement rétrograde du vrai va nous permettre de comprendre que c’est en se projetant hors de lui constamment et plus précisément en se projetant sur cet horizon propre à l’homme, à l’humain que constituent le temps, l’histoire et la mort qui forment une triade. C’est bien en se projetant sur cet horizon propre à l’homme que constituent le temps, l’histoire et la mort qu’il peut se ressaisir comme être pour le temps et être pour la mort. Cela n’est qu’en se vivant comme tel, en se ressaisissant comme tel qu’il s’accomplit précisément comme homme.

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Vangelis a écrit:
 J'aurais dû aller encore plus loin dans l'explication, surtout concernant la responsabilité. Mais si vous saviez le temps que l'on passe à administrer un forum... ( Voyez, là je suis le lâche Sartrien dans le sens où je fuis ma liberté en me cherchant des excuses).

Juste un complément parce que je crois savoir où vous achoppez. (Et là je suis le salaud Sartrien dans le sens où je fuis ma liberté en considèrant mon intervention comme nécessaire, et mon existence de même).
Il ne faut pas prendre le lâche et le salaud Sartrien dans leur sens commun. C'est un concept Sartrien qui n'a rien à voir avec un attitude qui se rapporterait à une valeur établie. C'est uniquement un jugement par rapport à la possibilité du choix, et non pas par rapport au choix lui-même. Dans ce concept, Sartre ne juge pas les actes mais la prise de position par rapport au choix. Plus loin dans L'existentialisme est un humanisme, et juste après la fameuse sentence sur le lâche et le salaud il précise son concept :
Sartre, L'existentialisme est un humanisme, Édit Tel, p70 a écrit:

Lâches et salauds ne peuvent être jugés que sur le plan de la stricte authenticité.

L'authenticité est à prendre ici comme  liberté ontologique, et donc que la porte de sortie ou le troisième homme, ne peut être dans l'être mais dans le faire. C'est plus clair dans Cahiers pour une morale où il la définit ainsi :
Sartre, Cahiers pour une morale, Édit. Gallimard, p 490. a écrit:

Saisie thématique de la liberté, de la gratuité, de l’injustifiabilité.

Ainsi les malheureuses victimes que vous convoquez ( méthode que je réprouve, soit dit en passant ) peuvent reposer en paix. Sartre ne parle pas du lâche et du salaud au sens trivial.

Et chose aussi importante, nous sommes tour à tour, soit lâche, soit salaud comme je viens de le démontrer pour ma propre personne. J'espère que mon explication vous permettra d'en finir avec ces deux termes péjoratifs qui ont une toute autre définition chez Sartre.



Oui je comprends ce que vous voulez dire, je comprends l'interprétation que vous faites des positions de Sartre.

Pourtant il y a quelque chose d'agaçant, quelque chose qui engendre en moi une certaine méfiance. Et je ne parle pas là seulement de Sartre (dans le cadre de cette méfiance) mais de beaucoup d'autres penseurs. Ce qui engendre une certaine méfiance, pas seulement en moi mais en beaucoup d'autres lecteurs, c'est que l'emploi de certains mots ne sont pas indifférents. Quand vous baignez dans une culture donnée, au sein de laquelle certains mots désignent des comportements socialement réprouvés, vous ne pouvez pas nier cette ambiance générale existante dans laquelle ces mots vont être reçus.

Quand Sartre emploie les mots "lâche" ou "salaud",  quand Freud par exemple, emploie des mots comme "régression" ou "perversion", ces auteurs là ne sont plus dans l'objectivité. Ils savent que ces mots vont engendrer un rejet, un dégoût chez le lecteur, une réprobation quant aux "coupables" d'être ceci ou cela.

C'est cette ambiguité-là qui me gêne.

Cela dit vous présentez Sartre d'une autre manière, d'une manière qui le rend en effet beaucoup plus humain (pour moi).

Non je ne me rends pas compte du tout du travail que cela représente : la gestion d'un forum !

Bonne journée et merci pour votre générosité.

descriptionAutour d'une pensée de l'existence - Page 22 EmptyRe: Autour d'une pensée de l'existence

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Nous comprenons pourquoi toutes les philosophies existentielles vont poser la question du temps (être, étant, Heidegger). L’existence est à la fois ce qui se tisse à partir d’un mouvement d’ouverture, intentionnalité, transcendance qui engage le devenir, mais aussi cette présence à soi qui doit s’éprouver au présent. Or, justement, force est de constater que nous sommes au creux même de l’existence dans une contradiction insoluble. Chaque aventure existentielle peut de ce point de vue représenter une tentative désespérée pour résoudre, ou en tout cas supporter cette contradiction sur une modalité particulière.

Quelle est cette contradiction?

C’est le fait que par mon existence je m’échappe à moi-même, grand thème sartrien, je ne puis donc ni la comprendre, ni la ressaisir. Je suis contraint à la vivre, mais toujours dans une situation partiellement aveugle. La philosophie est ce qui, par le souci de soi, la réflexion sur certaines choses, nous aide à ne pas faire n’importe quoi. Il y a un grand pessimisme dans ces philosophies. Nous nous éprouvons comme être existant mais l’existence elle-même, qui constituerait ce que dans la métaphysique nous aurions appelé notre essence, nous échappe. Cette existence je suis amené à la dérouler dans mon présent. Il y a deux idées :

1) être présent à soi-même,

2) si l’on découpe le présent en instant, il y a dans « instant » l’idée d’une instance, d’un appel qui déclenche le jugement.

Cette nécessité pour moi de vivre et dans mon présent et chaque instant où je rencontre le statut général de l’existence aboutit au fait que je déserte mon présent. Il y a un paradoxe que souligne Pascal dans les « Pensées » (Grandeur et misère de l’homme), personne ne soutient un seul instant, l’instant. Nous passons notre temps à nous réfugier dans le passé, c’est la nostalgie. Le reste du temps nous le passons à faire des projets, c’est-à-dire à nous précipiter dans l’avenir, nous ne pouvons renoncer à cela. Que ce soit notre retour plus ou moins joyeux, plus ou moins douloureux sur notre passé, que ce soit l’anticipation, le projet qui est aussi l’espoir, nous est nécessaire, espérer c’est se projeter, c’est poser par définition qu’il existe un futur, et que dans ce futur il y a des possibles qui s’ouvrent pour nous. Nous ne pouvons renoncer à cela. Quand nous mixons passé et futur nous aboutissons, avec toutes les variantes possibles, puisque nous sommes des êtres inconstants, à la conclusion pascalienne que nous ne vivons jamais l’instant.

Ceci conduit déjà chez Pascal à l’idée d’une méprise de soi. Nous nous déprenons de nous-mêmes, nous fuyons. Nous trouvons cela analysé, thématisé dans les philosophies existentialistes (Sartre-Camus). Nous nous perdons dans les autres, dans les rapports de séduction par exemple. Sartre montre que la séduction est jeu sur les apparences, que la personne qui séduit et la personne qui se laisse séduire se comprend comme le seul plaisir que nous puissions donner. Il va nous falloir abandonner l’être, l’existence n’étant qu’un mode tout à fait défaillant. Puisqu’il n’y a plus d’être, puisque nous ne pouvons plus saisir des essences, que nous n’avons plus affaire à des essences permanentes, mais à de purs mouvements transcendants qui visent les choses, nous sommes ramenés à ce chatoiement des apparences. C’est pour cela qu’il y a une main tendue entre la phénoménologie qui nous demande d’analyser comment les choses apparaissent à la conscience, et de l’autre côté les grandes analyses existentielles particulièrement sartriennes.

C’est seulement de nos actes soit en train de se faire, soit sur le point de se faire (soit futur immédiat, soit passé immédiat, soit présent) que nous apprenons ce que nous sommes. C’est du futur dit saint Augustin de ce temps qui n’est pas encore, qui n’a donc pas d’être véritable, que je tente de construire mon être. C’est, dira Sartre, non seulement mon futur qui détermine mon présent mais c’est mon futur qui détermine mon passé. Mouvement rétroactif du vrai. Quel événement de mon passé va me conférer un sens ? Ce n’est pas mon passé en tant que tel puisqu’il est révolu. C’est de mon présent que je me penche sur mon passé (Bergson). Réponse logique, c’est de mon présent que je confère un sens à mon passé. Sartre nous fait découvrir que mon présent n’est pas fermé. Forcément, il ouvre constamment sur un futur. Même si je ne suis pas dans mon esprit en train de faire des projets très explicites et très précis, une partie de mon être a déjà déserté le présent, il est tourné vers l’avenir qui m’attend.

C’est tout ce qui se joue dans ce futur, à commencer par le futur immédiat, jusqu’au futur le plus lointain avec des projets très précis, c’est de tout cela que rétroactivement je peux conférer un sens non seulement à mon présent, mais à mon passé lui-même. Qu’est-ce qui va décider, dit Sartre, que la crise de mysticisme que j’ai eu à 15 ans était prémonitoire par rapport à mes convictions religieuses ? C’est moi et personne d’autre, mais c’est à moi de mon présent actuel, c’est moi en fonction de mes projets intéressant la religion, qui me permettent d’évaluer, à cette aune-là, tout ce qui s’est passé antérieurement. Selon que j’ai le projet de continuer mes actes de religiosités extrêmes, que j’ai le projet de développer ma curiosité, que j’ai le projet d’y renoncer, cet événement du passé qui a eu lieu, c’est un fait, va recevoir une coloration. Donc il deviendra soit événement prémonitoire, soit un accident lié à la puberté.

Ces analyses permettent de comprendre que sur le plan ontologique force est de constater que notre existence procède de notre impossibilité à être. Cette impossibilité à être fera que je vais tenter d’être, cette tentation d’être est ce qu’on appelle l’existence. Cette impossibilité à être se marque par notre déportation sur l’avoir. C’est parce que nous ne sommes jamais que nous sommes tant intéressés par la possession. A défaut d’être, nous avons, nous cherchons à avoir, nous cherchons à posséder.

Pourquoi sommes-nous tellement intéressés à des possessions diverses, d’abord de biens matériels, de richesse, puis des choses plus symboliques comme le pouvoir, la puissance, jusqu’à des fantasmes de possession des autres, l’emprise des autres et des choses qui ne peuvent que semer la destruction, l’aliénation, la mort ?

Réponse. Parce que justement nous transférons dans le domaine de l’avoir nos tentatives d’être.
Les philosophies existentielles ont bien compris que nous ne pouvions pas être. Elles vont donc nous proposer une réflexion, qui ne va pas bien sûr nous apporter une réponse à tous nos soucis existentiels, mais nous apporter des questions nouvelles que la philosophie dans son histoire, puisque plombée par la métaphysique, n’avait pas eu le temps ni la possibilité logique d’élaborer.

Déjà ces questions nouvelles, parce que la réponse c’est à nous de la trouver, vont nous servir de main courante pour éviter que nous chutions dans le vide. Ce n’est pas un hasard si dans « L’être et le néant » il y a un chapitre sur Faire et Avoir : la possession. Analyse remarquable sur les paradoxes amoureux, les fantasmes de possession de l’autre dans l’amour. Sartre démonte tous ces mécanismes, et en fait jaillir à chaque fois les contradictions que nous ne soupçonnons pas parce que nous sommes portés par nos passions au sens traditionnel et philosophique du terme, c’est-à-dire des choses que nous subissons complètement. Nous sommes agis par la passion. Comme nous sommes agis par la passion, nous ne réfléchissons pas.

Sartre montre que le désir de la possession de l’autre le conduit à vouloir posséder une transcendance, une liberté. Par définition on ne possède pas la liberté. Il faut revoir « faire et avoir » et bien définir l’extension de ces deux champs, le champ de l’être et le champ de l’avoir. Nous ne pouvons compenser l’un par l’autre. Ce sont des catégories qui sont ontologiquement irréductibles. Impossibilité de l’être.

Voici ce qu’écrit Kierkegaard dans Post-scriptum définitif aux miettes philosophiques : « L’homme pense et existe, et la pensée sépare la pensée de l’être ; elle les tient séparés l’un de l’autre dans la succession ». On ne saurait mieux dire et résumer cette antinomie à laquelle nous voue l’existence. Nous sommes des êtres pensants et existants, mais le propre de la pensée est de disjoindre, de séparer pensée et être. En définitive cette séparation va me faire rater l’être en tant que tel. Je ne pourrai jamais comme dira Sartre, coïncider avec l’être mais j’ai besoin de l’être pour penser. C’est ce rapport qu’il nous faut analyser.

Jean Beaufret rappelle que le terme existence va être appelé à se spécifier au regard de l’évolution du terme essence. Ousia-essentia-essence. L’essence en effet est ce qu’est la chose, c’est-à-dire sa nature. La tâche de l’essence c’est de dire ce qu’est la chose, l’être de la chose, par opposition au fait que la chose soit, c’est-à-dire qu’elle existe dans la réalité. Savoir ce qu’est la chose, quelle est son essence, quelle est sa nature ne nous dit rien de son existence. De sorte que par l’examen du sens du terme existence, par la comparaison rapide « être-existence, essence-existence », nous pouvons conclure qu’il y a une véritable défaillance ontologique de l’existence par rapport à l’être, et que ce moindre être qu’est l’existence, cette défaillance ontologique de l’existence est littéralement inscrite dans le sens premier du terme lui-même, dans sa construction. C’est par rapport à ce constat, très lourd de conséquences qui va peser sur toutes les autres questions, que nous pourrons nous poser deux questions plus générales.

Première question.

Puisque l’existence n’a pas d’autonomie, qu’il faut toujours la référer à l’être, est-ce que l’existentialisme constitue une sortie de la métaphysique, est-ce qu'il propose une façon de penser autre, ou est-ce au contraire une prolongation de la métaphysique, un chapitre nouveau de la métaphysique qui s’inscrit ?

Deuxième question.

Si nous regardons le titre du manifeste de Sartre « L’existentialisme est un humanisme » nous pourrions nous demander quel sens conférer à l’humanisme si par définition il n’existe pas d’essence générique propre à l’humanité. Si l’existence précède l’essence cela veut dire que ceci intéresse aussi bien le sort de l’individu que le sort des hommes, c’est-à-dire de l’humanité en tant que telle. S’il n’y a pas d’être, s’il n’y a pas d’essence propre à l’humanité, thèse sartrienne, si celle-ci n’est jamais que ce qu’elle se fait exactement comme chacun et chacune d’entre nous se font, est-ce qu’il ne faudra pas comprendre l’être-même, l’être comme ce qui est, le masque de la valeur ?

Il y a une possibilité de croiser le chemin de Nietzsche. Ainsi Heidegger dans sa propre démarche consacre un énorme texte à Nietzsche. Pour Nietzsche, il n’y a pas d’être. L’être est dénoncé comme une sorte de simulacre qui renvoie à la valeur. Nous avons nous les êtres humains besoin d’évaluer, dire si les choses sont belles, laides, bonnes ou mauvaises, utiles, inutiles…Nous proférons sans cesse des jugements. Nous ne pouvons exister sans juger, et juger c’est peser. Cet acte est au fondement de notre existence.

Le vrai cela n’existe pas, ce qui existe c’est du vrai comme valeur. Cette valeur il convient de se demander comment je la pose, à partir de quoi et sur quel critère je m’appuie pour juger. C’est ce que Nietzsche appelle la généalogie des valeurs.

Toutes ces questions forment une énorme problématique et formulent la richesse de ce terme existence sur le plan philosophique.
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