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Autour de la vérité

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descriptionAutour de la vérité  EmptyAutour de la vérité

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Diverses acceptions de la vérité semblent coexister dans les usages courants. Je propose d'explorer dans ce blog ce que j'appelle la vérité d'engagement. "J'ai 33 ans" établi un fait. C'est vrai si c'est exact au sens de correct. "Je vais voir mon ami Imad" correspond à un engagement, sous deux rapports : il s'agit d'un projet, d'une action et, d'autre part, ce n'est pas vrai si c'est un mensonge, si c'est insincère, inauthentique. Autrement dit la vérité d'engagement a lieu entre des personnes que leurs paroles et leurs actes engagent dans une situation donnée où les uns et les autres se tiennent pour responsables de ce qu'ils disent et font. 
Les situations d'engagement telles que celles-là me semblent être la matrice ou en tout cas la colonne vertébrale d'où s'articulent les autres acceptions de la vérité. C'est du moins ce qu'il me semble considérant que la seule situation où un discours peut correspondre pleinement à son objet, c'est lorsque l'objet de ce discours est la décision-même de celui qui l'énonce. Ainsi lorsque ma compagne demande où je vais et que j'affirme aller voir mon ami, ce peut être parfaitement vrai - si ce n'est pas un mensonge et si ce n'est entaché d'aucune insincérité. Tandis qu'à savoir si la verité est que la terre est plate ou ronde,  elle n'est vraiment ni plate ni tout à fait ronde. 
La vérité d'engagement me semble liée intimement à la notion de responsabilité et de faute, donc à la morale, à la liberté et en définitive au droit. La question de la vérité ne se pose jamais avec autant de force que dans un procès. Qui a fait quoi, pourquoi, comment... j'essaie d'explorer les liens entre vérité et personne, vérité et institutions, vérité et raisons d'agir.

Dernière édition par Catt le Mar 29 Aoû 2023 - 9:53, édité 2 fois

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Le lien entre vérité et personne me semble être de la toute première importance. Le critère de vérité s'applique dans l'enfance de chaque individu à travers les innombrables situations où l'on se trouve à examiner le rapport entre des paroles et des actes. L'enfant apprend à aligner ses actes et ses paroles comme il découvre la responsabilité, donc la possibilité de la faute. Il apprend du même coup à confronter paroles et actes d'autrui, comme il intègre certaines normes, certaines valeurs, etc. Je pense que ce travail est décisif dans la constitution de la personne comme centre de décisions, capable de responsabilité. Qui puisse "répondre de", c'est-à-dire dont les actes soient motivés et ces motivations explicitées. Or cette explicitation passe par autrui, les dialogues que nous entretenons avec l'ensemble de notre environnement, depuis les proches jusqu'aux institutions au sens le plus large.
Il ne me semble pas du tout évident qu'en dehors de cette situation où je suis référé par mon environnement comme à un moi doté de raisons d'agir, capable de décisions et d'en rendre compte - il ne me semble pas du tout évident qu'il y ait un quelconque "moi". C'est une fiction, une légende dont on m'a affublé, un costume pratique que j'endosse en société mais rien de plus finalement. En dehors de ces relations, il ny a qu'un être dans sa plus stricte indetermination, comme un nourrisson sans conscience d'être "quelqu'un", de porter un nom et d'avoir une parole.
S'il est exact qu'un discours peut être parfaitement vrai s'il porte sur la décision même de celui qui l'énonce, les décisions ne sortent pas de nulle part non plus - nos décisions sont informées par quantité de jugements et reposent de long en large sur les conventions. "Je vais faire les courses" a beau être parfaitement vrai au moment où je l'énonce, cette décision, cette phrase et cette action s'enracinent dans un contexte qui ne tient pas, lui, d'une décision.

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Pour poser les termes du drame qui se noue autour de cette question de la "vérité d'engagement", j'imagine une situation dans laquelle un enfant gribouille avec des crayons sur une feuille et auquel je demande "que dessines-tu ?". La question n'est pas neutre puisque rien n'indique a priori qu'il dessine quelque-chose. Peut-etre n'agit-il que par imitation des plus grands qu'il a vus dessiner ; aucun projet ne guide particulièrement son gribouillage, il n'y a encore rien que la texture et les couleurs qu'il expérimente à mesure de l'arbitraire de ses mouvements. Partons du stade où ma question ne trouve aucun écho chez lui : non seulement il ne dessine rien, mais il ne comprend pas même le sens de la question. Et imaginons que l'on répète cette situation jusqu'à ce qu'un jour, l'enfant réponde : "je dessine... la maison !" Il y a entre ces deux moments un passage, un saut qu'à mes yeux rien ne permet d'expliquer. Pourquoi, à un moment, l'enfant non seulement comprend le sens de la question, mais encore se consulte et se détermine à donner une réponse ? Il y a au cœur de ce phénomène un mystère insondable, entre ce moment où la question tombe pour ainsi dire en l'enfant et cet instant où jaillit sa réponse.
La question d'abord est primordiale. Elle ne détermine pas le contenu de la réponse mais interpèle l'enfant sur ce qu'il fait, ce qu'il dessine, en supposant qu'il est en train de dessiner quelque-chose. L'enfant comprend qu'il peut dessiner quelque-chose. Que ce qu'il fait peut avoir un sens, un objet, une fin. Ceci déjà doit impliquer chez lui un trouble, le passage d'une suite de gestes arbitraires à la conception que cette suite de geste puisse être déterminée suivant une fin. Sans compter qu'on attend de lui qu'il décide de cette détermination. Autrement dit il est capable d'en décider. Tout cela est supposé par la question, sans ça elle n'a pas lieu d'être ou elle demeure incompréhensible. La question incite donc l'enfant à décider de ce qu'il dessine - il n'y a pas de raison de partir du principe qu'il dessinait déjà quelque-chose, c'est nous qui le mettons devant ce problème, et ce problème consiste pour lui en devoir choisir ce qu'il dessine. Et un jour sa réponse, une réponse jaillit. Là non plus, nous n'avons pas de raison de supposer qu'il se soit vraiment déterminé, je veux dire qu'il peut répondre "la maison" pour apaiser le trouble causé par la question, pour jouer le jeu mais que, par ailleurs, la suite de ses gestes continue d'être arbitraire ou guidée du dedans par la texture, les formes etc. Ceci semble d'autant plus probable qu'il n'a pas de raison de sacrifier un projet pour un autre, ou plus exactement de sacrifier l'indetermination où il se trouve pour l'inconfort d'une détermination quelconque. L'enfant nous donne une réponse parce qu'il a compris que nous attendions une réponse, sans plus. Mais il a donné une réponse. Une réponse à laquelle nous allons pouvoir confronter son dessin, la suite de ses gestes. Peut-etre pas tout de suite, mais imaginons que ce jeu se poursuive de jour en jour et que nous lui fassions sentir une attente grandissante entre ce qu'il dit dessiner et ce qu'il dessine en effet. L'enfant va constater que sa réponse l'engage d'une certaine façon. Il va être entraîné dans le jeu de la vérité consistant à mettre en adéquation ce qu'il dit et ce qu'il fait.

Dernière édition par Catt le Mar 29 Aoû 2023 - 12:00, édité 1 fois

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Considérons maintenant que le dessin de l'enfant, ce soit sa propre vie. Et qu'au lieu de moi, ce soit tout son environnement qui ne cesse de demander, à travers mille figures plus insistantes de jour en jour, "que dessines-tu ?".
Ce processus arrive à son paroxysme, il me semble, aujourd'hui, dans la crise d'adolescence. L'enfant n'est le plus souvent que très tardivement, chez nous, mis en demeure de choisir, de se déterminer, le parcours scolaire le portant jusqu'à un certain point où les réponses qu'il peut donner à la question du sens de sa vie (au sens d'un faire : que faire ?) ne portent pas à conséquence. L'adolescence correspond à ce moment de bascule et donc aussi d'angoisse.

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Bonjour Catt.

Ce que vous dites est fort intéressant. En effet, vous abandonnez les sentiers battus d'une conception de la vérité qui soit simplement le constat d'une supposée "correspondance" d'un état de fait avec une soi-disant "réalité" indépendante du constat qu'on en fait (conception "journalistique" naïve et simpliste de la vérité). Contre quoi vous semblez privilégier une approche non pas constative mais performative de la vérité. "Performative", c'est-à-dire qui consiste non pas à constater quelque chose mais à "faire quelque chose" (en anglais to perform, qui a donné "performance"). 

En ce sens, vous avez une conception clairement éthique de la vérité qui rappelle un peu celle que Paul Ricœur développe dans Soi-même comme un Autre, à savoir celle d'un "engagement" de celui qui dit en tant que ce qu'il dit ne "décrit" pas simplement le passé ("voilà ce que j'ai vu") ou le présent ("voilà ce que je vois") mais "engage" le futur, c'est-à-dire pose littéralement des jalons pour le construire. C'est évidemment cet "engagement" qui est performatif en ce que celui qui dit fait quelque chose en le disant, en l'occurrence, il "produit" du futur. L'exemple que vous donnez du gribouillage enfantin auquel l'adulte donne le nom de "dessin" est tout à fait significatif et tout à fait juste : l'enfant apprend à "nommer" les choses qu'il perçoit en entendant les adultes nommer les mêmes choses. En ce sens, ce que fait l'adulte en nommant "dessin" le gribouillage de l'enfant, consiste à construire son futur en lui proposant (imposant ?) des normes du "bien-dire". D'où, la dimension éthique du dialogue qu'il établit avec l'enfant, et, évidemment, le problème de l'adolescence que vous abordez in fine  : que peut-il se passer d'autre que le conflit lorsque l'"enfant", se sentant devenir adulte, se sait lui-même accéder au statut de "producteur de normes" ?

Donc tout cela est fort riche et, encore une fois, très intéressant. Je relève néanmoins une petite difficulté dans ce que vous dites : le fait de "dire la vérité" (de ne pas la dissimuler, d'être sincère avec soi-même comme avec autrui lorsqu'on dit), cela ne relève-t-il pas comme le dit Paul Ricœur, de "la question de la véracité, distincte de celle de la vérité, [...] d'une problématique plus générale de l'attestation, elle-même appropriée à la question [éthique] : mensonge, tromperie, méprise, illusion, ressortiraient à ce registre"(Ricœur, soi-même comme un Autre, v, 2) ? Autrement dit, ne sont-ce pas plutôt les conditions pragmatiques (ici et maintenant) de ce que Paul Ricœur nomme "l'attestation" (du latin testis, "témoin", cf. l'allusion que vous faites vous-même à la procédure juridique) que vous posez et qui dépasse très largement le cadre étroit de la notion de "vérité", obsession occidentale s'il en est (en chinois, il n'existe pas de mot équivalant à "vérité" mais des tas d'expressions très fines, très subtiles évoquant la justesse, la pertinence, l'exactitude, la précision, etc.) ?

Au plaisir.

PS : pourquoi n'avez-vous pas posté vos messages plutôt dans la rubrique "questions morales et sociétales" ?
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