C'est assez difficile. Nietzsche semble parfois aller dans le sens de Machiavel, parfois de Hobbes. Mais il est un virulent critique de l'Etat moderne et de Hegel, ainsi que de la démocratie, du socialisme, de la bourgeoisie et de l'anarchisme. Il critique aussi la culture allemande qui est synonyme de décadence. Quant à la grande politique, il est difficile de dire ce que c'est précisément, même si le politique est étendu à la civilisation, à la culture, etc. Ce n'est pas une politique de gestion d'un Etat mais celle d'une réforme des conduites, de la morale, une politique de l'élevage, de l'incorporation de l'éternel retour, de la production de grands hommes dont la hiérarchie nouvelle des instincts pourrait supporter de nouvelles valeurs dont le "sens de la terre", l'amour du monde et du destin, etc. Bref, Nietzsche n'est plus dans la cité ou alors moins dans la politeia que dans la dunasteia (la puissance, la force et comment les forces composent entre elles des formes de vie) qui parcourt l'ensemble du corps social. En même temps, il est proche de Platon et de sa République. Nietzsche veut éduquer ou rééduquer l'humanité (c'est donc un pédagogue, en plus d'être un médecin), pour cela il faut un type supérieur d'homme qui sache légiférer, vouloir, créer des valeurs, et commander aux autres (par le savoir, la volonté et la maîtrise de soi). C'est le philosophe-roi qui n'hésite pas à employer un double discours (d'ailleurs, si Nietzsche veut changer la face du monde, ne doit-il pas le faire en secret ? Sa morale aristocratique vise les élites intellectuelles, il lui faudra maintenir le christianisme à l'usage du peuple, de ceux qui fournissent la force de travail pour libérer les grands hommes de leurs entraves). Dans la cité c'était le politique qui permettait au citoyen de se réaliser dans son excellence. Avec la modernité, peut-être faut-il être souverain aux frontières du politique, pour y échapper, et l'ascèse du philosophe reste le meilleur moyen de viser une vie supérieure au travers d'une vie bonne. En ce qui concerne la religion, je pense que Nietzsche a compris qu'il devait jouer au prophète pour surmonter le christianisme, et lui-même a fini par croire en ses propres idées (à Dionysos, par exemple), par les incorporer pour se transformer, transformer son goût, ses sens, son appréciation des choses, etc. Mais c'est plus une mystique ou une nouvelle spiritualité qu'une religion comme institution et corpus doctrinal accompagné d'une morale. Nietzsche nous enseigne une éthique qui est en premier lieu une façon d'adopter un autre mode d'existence. Il faudrait aussi étudier la figure du poète et du philosophe-poète, en tant que le poète chante l'être, il est en quelque sorte le prêtre de l'être (au contraire du prêtre chrétien, qui fait les louanges du néant) et a toujours eu une place spécifique au regard de la cité ou de la nation (lui-même étant l'incarnation la plus haute d'une culture, de forces faites instincts - en ce sens, Goethe est le génie allemand à son point culminant). Par ailleurs, la question politique pourrait être celle de l'action, de la volonté et de la transcendance de soi que la modernité empêche ou limite, mais d'une certaine manière le politique se superpose à l'ontologique, à la façon dont le réel se constitue et s'agence alors qu'il est principalement polémique et rapport de force (on va donc hiérarchiser, c'est-à-dire viser à ordonner le chaos, à constituer des corps qui puissent déployer leur puissance et qui soient constitués de telle façon qu'ils fonctionnent correctement, si je puis dire, afin d'accepter le monde, de faire preuve de plasticité et de force, d'endurance pour supporter la souffrance, contrairement au corps chrétien souffrant de son mauvais ajustement à lui-même et au monde et faisant que l'on choisit une vie médiocre, aliénée et aliénante - aliénée au bien-être par exemple, alors que celui qui commande fait toujours l'effort d'être au-dessus de lui-même et des autres).