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Philippe Bénéton - Les fers de l'opinion (2000)

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descriptionPhilippe Bénéton - Les fers de l'opinion (2000) - Page 9 EmptyRe: Philippe Bénéton - Les fers de l'opinion (2000)

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Invité a écrit:
1 / Ce diagnostic vous semble-t-il contestable, voire erroné ? Et si oui, pourquoi ?

Le monde de la pensée n’est pas celui dans lequel nous vivons. A quoi sert-il ? Pour schématiser il sert à décider, soit par la prévision (ce qui s’apparente à la science), soit par les opinions lorsque nous ne savons pas prévoir. Nous faisons rarement la différence, avec un coup de vent, ce pot de fleur va tomber est une pensée scientifique, la croissance va ramener le plein emploi est une opinion. D’où viennent les pensées ? Elles ne sont pas innées (je ne développe pas ici) mais proviennent plutôt de notre enseignement (dans un sens très large). Notre apprentissage est corrélé à nos activités, incluant celles intellectuelles. Ce qui signifie que nos pensées sont dérivées de ce que nous vivons, ce qui existe en même temps que nous. Le téléphone est bien parce qu’il existe, que je l’utilise et que je ne sais pas m’en passer, j’apprends à l’utiliser par des pensées scientifiques (quand j’appuie sur tel bouton, il se passe ceci). Pour autant je ne connais pas les opinions qui ont permis de diffuser cet appareil inventé il y a plus d’un siècle, ce n’était pas mon époque. De la même façon j’apprends à raisonner à produire des pensées, en particulier des opinions, selon des schèmes, les races humaines n’existent pas, la vie est importante, la réalité est indépendante de moi… Ces opinions servent à valoriser des choses, telle chose (la vie) est bien ou mieux que telle autre (la maladie) qui est mal ou moins bien. Mais nous ne savons pas d’où elles proviennent, car nous apprenons nos schèmes de pensées par rapport à ce que nous vivons, à produire les bonnes opinions pour être acceptées par les autres (nos parents, nos enseignants) et par là-même par la société. La thèse selon laquelle les opinions pourraient être promues par de malins génies sous-entend qu’eux-mêmes connaîtraient les schèmes de raisonnement, comment nous les apprenons, comment nous pouvons convaincre les parents et les enseignants de les enseigner à la place des leurs, quelles opinions ils vont produire… Autant la thèse de Chomsky qui pense que les gouvernements promeuvent leurs opinions est plausible, autant l’idée que ces opinions sont différentes de celles que nous serions capables de produire par nous-mêmes est… une opinion.
 
A quoi servent les opinions ? Nous vivons en communauté, une opinion permet d’aller tous dans le même sens pour la préserver, mais cela n’est possible que lorsqu’elle est homogène, ce qui est impossible dans une société par essence complexe, qu’il s’agisse d’une cité ou d’un pays. Dans une communauté, il est naturel de promouvoir les opinions afin qu’elles soient enseignées, dans nos sociétés basée sur le pouvoir d’un dictateur, du peuple ou de ce que vous voulez, il est donc tout aussi naturel de faire la promotion des opinions… Mais puisqu’elles servent à décider, les promouvoir c’est justifier une décision qui valorise une chose par rapport à d’autres. Dans une société complexe, c’est donc favoriser un groupe social (celui qui utilise cette chose) par rapport aux autres, c’est donc chercher à soumettre une population en considérant que cette chose est bien ou mieux que les autres. C’est la base même du racisme, nous sommes racistes vis-à-vis de ceux qui n’ont pas les mêmes opinions, le problème n’est pas de l’accepter (par les pensées) mais que cela peut provoquer des conflits (dans nos activités journalières).
Bénéton a écrit:
L'égalité substantielle dit que les hommes sont semblables par-delà leurs différences. L'égalité par défaut dit que les hommes sont semblables parce qu'il n'y a pas de différences significatives. Cette seconde idée de l'égalité s'est affirmée ou développée progressivement ou par à-coups au long de l'histoire moderne. Le nouveau ici tend à gommer l'ancien. Nul héritage mais des fondations nouvelles. Il s'ensuit que les deux versions modernes de l'égalité ne se distinguent pas par une seule question de mesure ou de degré. Ce sont deux interprétations séparées par une ligne de fracture : ou bien l'égalité s'appuie sur un donné qui contient du sens, ou bien elle s'appuie sur une liberté dépourvue de sens ; ou bien ma liberté se déploie dans le cadre de questions et d'exigences objectives qui définissent des « horizons de signification » (Charles Taylor), ou bien ma liberté signifie que je suis souverain au même titre que tout autre et que je suis pour moi-même le maître du sens. Voilà pour la distinction théorique. Vues de plus près, les choses se mêlent et se compliquent.

La question est de définir ce qu’est l’homme… Est-ce que j’existe parce que je fais partie de l’espèce humaine ou parce que je fais partie d’une communauté qui m’a enseigné à produire des pensées, donc par rapport aux autres individus que je fréquente, dit autrement, mes semblables. Nous sommes ici dans un mode de pensées qui considère que l’homme existe en tant que telle, que la réalité est indépendante de lui, que nous avons tous une âme qui différencie ce qui est bien et mal… Alors que je ne suis qu’un membre de ma communauté. Est-ce que je pourrais dire que les cultures sont semblables par-delà leurs différences ou encore que les cultures sont semblables parce qu'il n'y a pas de différences significatives… sans chercher à faire du prosélytisme ?

Bénéton a écrit:
Dans un monde soumis de part en part à la volonté humaine, le mal implique un méchant. A côté de l'humanité intégralement innocente, il y a nécessairement des hommes intégralement coupables. Ces méchants, qui sont-ils ? La nouvelle morale pointe dans leur direction : ce sont ceux qui refusent les nouveaux dogmes, ceux qui ont l'impudence de ne pas opiner. Le monde se scinde. La ligne de partage entre le bien et le mal oppose deux types d'hommes. La révolte contre la condition humaine conduit à la division morale du monde et au mécanisme du bouc émissaire. Au terme du chemin qui part de l'affirmation de l'égale autonomie, règnent les préjugés et la contrainte.

Pour être soumis à la volonté humaine, faudrait-il encore que nous maîtrisions nos schèmes de pensées et que nous sachions influencer nos sociétés. Savons-nous le faire ? Quand quelqu’un a inventé l’automobile, pouvait-il prévoir qu’il menait nos sociétés à l’asphyxie, que cela allait provoquer des guerres pour le carburant, des guerres commerciales entre les fabricants, les pays, des milliers de morts sur les routes ? Nous ne faisons que réutiliser un schème de pensée millénaire, que le bien et le mal existe, c’était bien de l’inventer mais c’est mal d’en produire des millions par an. Oui, le mal implique un méchant, un responsable puisqu’il dispose d’un libre-arbitre, à l’égal des autres. Tout cela existe depuis des millénaires, nous n’avons fait qu’hériter de la culture des vainqueurs (les romains influencés par les grecs), et nous continuons à soumettre les autres cultures, celles du mal (des barbares).
Invité a écrit:
2 / Cette analyse s'applique-t-elle uniquement à l'Occident ? Ou bien s'applique-t-elle seulement à certains pays occidentaux (dont la France) ?

Elle s’applique à la culture dominante occidentale (dans quelle mesure la France a-t-elle encore sa propre culture), mais nous devons noter qu’elle n’est probablement pas étrangère aux autres cultures soient parce que nous l’exportons (la Chine, la Russie), soit parce que nous avons les mêmes bases religieuses (les pays musulmans). Établir les écarts est sans doute un exercice ardu.
Invité a écrit:
3 / Ce processus, tel que décrit par l'auteur, est-il irréversible ?

Ce processus a plusieurs milliers d’années… Cela montre son irréversibilité, nous ne pouvons pas revenir en arrière. Nous pouvons sans doute le changer, mais comment changer les schèmes de pensée ? Mais peut-être est-ce en train de changer… et nous ne le savons pas :-).
Invité a écrit:
4 / Les forums, "philosophiques" ou non, sont-ils épargnés par l'opinion ?

Bien-sûr que non, les forums sont là pour échanger des opinions, et celles des philosophes sont bien ancrées dans ce schème de pensée. Nous ne faisons que produire les opinions dominantes et déterminer dans quel camp nous serons en cas de conflit entre nous.

Invité a écrit:
5 / Les années 1960 constituent-elles vraiment le moment de basculement, d'après vous ? N'est-il pas antérieur ?


Bénéton a écrit:
De lui-même ou sous influence, le common man a été de plus en plus tenté de penser ou de réagir ainsi : aucun chemin n'est balisé, nul n'est plus éclairé que moi, je détermine moi-même ce qui donne du sens, mon jugement vaut celui de tout autre. La logique de l'opinion suit.

Le bien et le mal qui induit la guerre contre les autres cultures est inhérent à nos modes de pensées, mais nous l’avons importé dans nos sociétés. A partir de quand, la question me semble dépourvue de sens, c’est à partir du moment où la communauté se transforme en société que commence à se poser la question de l’individualité, le fait que la société ne peut plus adhérer à des opinions car tout le monde n’a plus les mêmes puisqu’elles impactent les groupes sociaux différemment. Nous avons alors transposé les guerres en luttes sociales assorties de répression. C’est Durkheim qui commence à en parler (début du XXème) car c’est une période où les activités se multiplient. Peut-être les années 60 sont effectivement primordiales, mais c’est corrélé à l’apparition de toutes les technologies que nous connaissons qui nous transforment en des êtres uniques… je n’appartiens plus à une communauté, mais à une multitude de groupes sociaux que je ne sais même pas énumérer. Les opinions communes peuvent m’être néfastes à moi personnellement, sans que cela ne soit admis car il n’y a que moi qui peux le savoir…

C'est peut-être plus construit ici.


Dernière édition par Vangelis le Mer 22 Juin 2016 - 17:54, édité 1 fois (Raison : Mise en forme.)

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1 / Ce diagnostic vous semble-t-il contestable, voire erroné ? Et si oui, pourquoi ?


Le diagnostic est évidemment correct quand il dénonce le relativisme ambiant et l'intrusion de l'idéal politique de l'égalité dans les discours.

Cependant, il y a des aspects contestables.

Bénéton semble ne distinguer que trois types de propositions : les savoirs, les témoignages (qui sont en fait des savoirs sur des expériences vécues) et les opinions (où l'énonciateur, plutôt que le contenu, est au centre). La dérive accusée est la supplantation des savoirs par les opinions.

Mais dans un tel tableau, toute affirmation qui n'a pas la forme d'un savoir peut-être accusée d'être une méprisable opinion. Il y a pourtant bien d'autres types d'affirmations, et parmi elles figurent les hypothèses.

Une hypothèse est quelque chose que l'on croit être un savoir, mais pour laquelle on reconnaît ne pas avoir de justification. Ce qui prime dans une hypothèse est son contenu (ce n'est donc pas une opinion) mais ce qui explique sa présence est la conviction de l'énonciateur qu'elle est peut-être vraie.

Dans le système de Bénéton, toute hypothèse pourrait être écartée car considérée comme une simple opinion. Or, aucun savoir ne peut se construire sans hypothèses.

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AntiSubjectiviste a écrit:
Bénéton semble ne distinguer que trois types de propositions : les savoirs, les témoignages (qui sont en fait des savoirs sur des expériences vécues) et les opinions (où l'énonciateur, plutôt que le contenu, est au centre). La dérive accusée est la supplantation des savoirs par les opinions.

Mais dans un tel tableau, toute affirmation qui n'a pas la forme d'un savoir peut être accusée d'être une méprisable opinion.

Absolument pas. Les critères de Bénéton ne sont pas strictement "formels", au sens vague et vulgaire que d'aucuns donnent à ce terme. A ce compte-là, autant supprimer la question du prédicat et de l'attribut, et avec eux la grammaire et la syntaxe... Ce que vous appelez « forme d'un savoir », en l'état, ne désigne rigoureusement rien.

AntiSubjectiviste a écrit:
Il y a pourtant bien d'autres types d'affirmations, et parmi elles figurent les hypothèses.

Une hypothèse est quelque chose que l'on croit être un savoir, mais pour laquelle on reconnaît ne pas avoir de justification. Ce qui prime dans une hypothèse est son contenu (ce n'est donc pas une opinion) mais ce qui explique sa présence est la conviction de l'énonciateur qu'elle est peut-être vraie.

Dans le système de Bénéton, toute hypothèse pourrait être écartée car considérée comme une simple opinion. Or, aucun savoir ne peut se construire sans hypothèses.

Vous oubliez qu'une hypothèse, par définition, se signale comme telle. Aucune confusion n'est possible, précisément parce qu'une hypothèse se rapporte... hypothétiquement au contenu qu'elle interroge.
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