Cyr a écrit:
Par exemple, en cherchant à répondre à cette question : « qu'est-ce que l'amour ? ». Ne risque-t-on pas, par là-même, de changer sa « conception intime » de l'amour ? Il ne s'agit pas seulement de découvrir (ramener à la conscience) ce que l'on pourrait croire comme nous appartenant déjà, mais aussi d'intégrer peut-être des conceptions « nouvelles » du fait de la formulation. On a « ébranlé notre réalité », on l'a fissurée, on l'a fait autre.

Je comprends mieux... vous vouliez donc bien dire "ébranler notre réalité". Cela est plus clair pour moi, merci.
On est bien obligé de faire des choix, de favoriser un terrain devant un autre, c'est stabilisant. Rien ne se construit dans la folie, ou l'angoisse.

Vous touchez un problème assez conséquent, et ceci pour la philosophie mais aussi dans l'histoire de la philosophie. Au fond, l'erreur de Descartes (si on peut parler d'erreur... mon terme n'est peut-être pas le meilleur, aussi prenons-le dans un sens vague), c'est d'avoir pensé que tout devait et ne pouvait se construire que sur un sol stable. La philosophie/métaphysique, depuis Platon, passe son temps à chercher une stabilité (cf. Platon et le monde intelligible ; Descartes avec la raison, le cogito et sa méthode), une unité (cf. l'idéalisme allemand). Bref, la métaphysique occidentale est hantée par la question du fondement (cf. l'arbre de Descartes, avec les racines). Or, peut-être cette recherche de stabilité nous fait-elle errer. L'homme n'est-il pas en fait "fondamentalement instable". Vous remarquerez l'étrangeté de l'expression : un fondement instable. Mais c'est presque ça.
Je laisse de côté la question de la folie, puisqu'elle me semble plus équivoque pour ce dont vous parlez. Mais prenons l'angoisse... Rien ne se construit avec l'angoisse, dites-vous ? Mais regardez ce que vous fait l'angoisse... l'angoisse (qui n'a rien à voir avec la peur), c'est précisément la tonalité affective par laquelle le monde face à vous devient vide (de sens). C'est le monde mis à nu, plus présent à nous (Heidegger dit que c'est la fin du Vorhander, littéralement : à portée de main). L'angoisse nous fait faire l'expérience du monde comme étranger (et plus à portée de main), si bien qu'il ne faut pas confondre : l'angoisse ne nous coupe pas du monde, elle nous coupe de la familiarité avec le monde. C'est très différent !
L'angoisse nous permet de nous retrouver en nous perdant, et c'est par le vertige qu'elle entraîne que notre rapport à l'être devient plus authentique, pour parler en termes heideggeriens.
Je passe ici très vite et de manière assez abrupte sur l'angoisse, il y aurait évidemment des pages et des pages à faire dessus, mais je n'en ai pas le temps et vous ai juste donné quelques éléments à approfondir. Pour le faire, je vous conseille fortement de lire Kierkegaard et Heidegger. C'est le genre de lecture à ne pas manquer...