Geisterwelt a écrit:Le but n'est pas de vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais d'utiliser mes propres conceptions pour vous répondre, dans le but de converger au maximum, autant que faire se peut.Janus a écrit:Comment la pensée (ou esprit) pourrait-elle être radicalement et totalement "séparée" du cerveau, qui en est le support "physique" et matériel ?
Entre cerveau et pensée, ne cherchez pas la signification, cherchez l’usage. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas écrit. Je n'ai pas employé l'idée de "séparation", mais bien celle de "distinction", tant je me plaçais au point de vue de la déconstruction philosophique plutôt que de l'ontologie. Le mot "cerveau" est le terme employé par la "science" : "cerveau" est une vue de l'esprit scientifique ; la neurobiologie ne recherche pas des "représentations" dans le cerveau, ni des mots (vous cherchez vos mots) mais des connexions physiques, des fonctionnements. Le "cerveau" n'est pas la "pensée" simplement parce qu'il n'y a pas de langage dans le cerveau, mais, tout au plus, ce que nous appelons de la mémoire. C'est une sorte de monisme ontologique que de dire que les représentations sont produites dans/par le "cerveau" : c'est le cas des animaux, si l'on veut, mais point de l'homme. Elles ne sont pas produites par un "cerveau" mais par/dans un monde. Vous nous proposez donc une conception réductionniste de la pensée (et de la vie, par la même). Vous proposez le mythe de l'intériorité de la métaphysique traditionnelle. Voyons ce que dit Peirce à ce propos, car c'est avec des personnes comme lui (et Wittgenstein) que nous pourrons en finir avec ce mythe de l'intériorité (une idée reçues de plus) :....../....
Votre terme d'"usage" je ne le trouve pas adéquat dans ce cas particulier où je dirais plutôt que le cerveau est un "organe" et que sa "fonction" est, à partir de la simple perception jusqu'à la pensée plus élaborée, de se "représenter" sa propre vision du monde, sur la base de "dit" comme de "non dit".
Ensuite je trouve également inappropriée l'expression "vue de l'esprit scientifique" à propos de la science, car sa vocation est d'observer les phénomènes de la nature qu'elle décrit et explique de façon objective sur la base de "raison pure", d'entendement et de lois universelles, et dont les applications offrent des débouchés concrets.
Ensuite l'expression "mythe de l'intériorité de la métaphysique traditionnelle" ne me convient pas non plus, une approche des choses comme la mienne restant pragmatique, a fortiori en référence à une métaphysique comme celle d'Hegel (système qui intègre une démarche dite phénoménologique) et chez qui subjectivité et objectivité font front commun. Autrement dit contrairement à Kant qui limitait la connaissance objective au "noumène" (chose en soi) puis s'en remettait à la foi religieuse (d'origine introspective, révélée) pour passer directement de "raison pure" à "raison pratique", Hegel intègre dans son système la connaissance objective (scientifique) aussi bien que les représentations subjectives, par le moyen du concept (qui a vocation à désigner la réalité dans une orientation autant réelle qu'universelle).
Quant à Peirce ou Wittgenstein, ils ne font que moderniser de vieilles querelles du même style que celle autrefois dite des "universaux", mais ce n'est pas l'intervention de l'analyse linguistique (ou positivisme logique, ou empirisme logique etc..) qui pourra changera quoi que ce soit à la raison d'être de la métaphysique. Pour moi soit on se limite à ce qui, avant Kant, était désigné par "empirisme" – et c'est cela que j'appellerais volontiers du "réductionnisme mental" et solution de facilité - soit on a vocation à chercher plus loin : simple question de "sensibilité" et de capacité réflexive.
Ce que vous dites par ailleurs n'est pas toujours très limpide à ma compréhension des choses, c'est pourquoi je ne réagis que sur ces points qui ont retenu mon attention :
Je vois donc que vous avez une conception économique (utilitariste donc) de la richesse, puisque lorsque je parle d'aliénation de la richesse, je l'entend dans la perspective hégélienne, positive. Je parle d'un "résultat". A ce titre, Richesse et Puissance de Fourquet est un bel ouvrage. Vous réduisez la richesse au capital : à l'origine, comme le note très bien Marx, l'économie pouvait se payer le luxe d'être une honnête théorie de la richesse, quand elle pouvait avouer sa vraie nature de modeste science au service d'une classe prête à triompher.
Comme le note André Orléan dans L'empire de la valeur, l'économie est en train d'être critiquée, elle perd de sa légitimité à parler de richesse. Il n'y a pas de richesse qu'économique. Pour la première fois dans le monde, l'économie posa théoriquement, il y a de cela trois siècles, la question de la richesse. C'est là sa grandeur. Mais très vite elle dut renoncer à son objet et à son but. Aussi vite que la classe qui la commandite dut renoncer à se proclamer ouvertement la classe de la richesse universelle. Si l'économie posa théoriquement la question de la richesse, elle ne la posa que pour la falsifier, pour ne pas y répondre et surtout pour empêcher que d'autres ne puissent y répondre, tant théoriquement que pratiquement.
Concernant l'aliénation hégélienne (à connotation positive), la comparaison la plus simple que j'avais à l'esprit c'est l'aliénation que subit par exemple une mère dans l'amour et dans la part d'elle-même qu'elle consent volontairement à sacrifier pour son enfant, au point de préférer donner sa propre vie pour sauvegarder celle de sa progéniture. On reconnaît d'ailleurs ce sens donné à "aliénation" dans l'expression du langage courant consistant à dire de quelqu'un qu'il est tombé amoureux. L'acception du concept d'aliénation chez Hegel ne saurait être réduite ainsi au domaine économique, s'agissant de la relation entre deux consciences. Chacune s'y soumet à l'autre, de façon réciproque et corrélative entre sujet et objet. Dans le même ordre d'idée on trouve le jeu des relations "maître et esclave" qui unit ces deux consciences, et suit lui-même tout un processus d'évolution, qui se "termine" par une égalité, lorsque les deux consciences se sont totalement reconnues comme égales dans ce qu'elles ont de commun ou "universel".
Nous sommes donc loin ici d'une considération des richesses au plan économique, à moins de passer par les nombreuses médiations qui interviennent d'ailleurs dans sa philosophie, depuis la conscience jusqu'à la réalité politico-économique. Mais le chemin des médiations qui, dans sa réflexion, séparent ces deux domaines, est très long.
PS : un lien concernant les confusions possibles sur cette question d'aliénation : http://rgi.revues.org/377
../...Le commencement n'avait strictement aucun sens. Ce sens advient dans l'histoire. C'est seulement le résultat qui a un sens, c'est-à-dire, en l'occurrence, Dieu (ce sens, la critique de Feuerbach et de Marx de la religion l'a bien démontré). Le commencement, chez Hegel, n'est pas synonyme de début, ni d'origine : le commencement est réconciliation (entre ce que l'on était immédiatement et ce que l'on est devenu sans le savoir). Il est auto-fondation, implique le fait d'aller avec soi-même et non celui d'être à coté de la plaque parce que l'on n'est pas formé, fini, encore à se rechercher soi-même, adolescent ou stade anal, à se demander ce que l'on fait sur cette planète.
Maintenons cette analogie hégélienne entre le parcours d'un individu et celui de l'être collectif :
1 - le début est la naissance, l'enfance
2 - le commencement est la fin de la jeunesse, vers le passage à l'âge adulte
Dans un langage hégélien, ce commencement, c'est-à-dire ce passage à l'âge où l'on a le droit de boire de l'alcool est : automédiation par la suppression de l'indépendance de la médiation et donc fin de l'aliénation inévitable et nécessaire, transfiguration de l'individu "irresponsable" qui devient individu "responsable", autonome, selbtständig.
Bien sûr, l'être collectif n'est pas un individu, et inversement : l'analogie s'arrête là. En tant qu'individus, on peut vouloir faire partie de la génération qui accomplira la fin de l'histoire, du processus historique ou préhistorique de la collectivité humaine. Cette "fin", je suis bien d'accord avec vous, ne signifie pas qu'après, il y a rien, mais justement que "tout" existe enfin. La fin de la jeunesse de l'humanité n'est pas la fin de l'humanité : cette "fin" est, chez Hegel, commencement de l'humanité. La réconciliation existe de toute éternité, disait-il. C'est la réconciliation de l'éthique et du politique. Cette fin est le véritable commencement de l'humanité, sa réconciliation effective où l'individu développe librement ses facultés. Catéchétique dirait Euterpe, je crois comprendre. Cette fin implique la création d'une structure sociale, d'une "façon" d'opérer, de coopérer, d'une éducation et formation qui fassent que chaque nouvel arrivant sache ce qu'il est très vite et puisse choisir son destin et ensuite participer librement à un grand œuvre collectif qui ne fait que commencer à ce moment-là de façon consciente, justement.
Jusque là je ne trouve pas vraiment de trahison de sa pensée dans vos commentaires, mais c'est après ce passage que ça ne colle plus. Il ne faut pas perdre de vue sa philosophie du Droit qui reflète une vision libérale (il y mentionne souvent la notion de "société civile") et en parfait accord avec le libéralisme (autant politique qu'économique – ainsi qu'avec la démocratie) et ne va pas du tout dans le sens d'un dirigisme étatique qui serait censé corriger les "réalités historiques" (effectivement découvertes et comprises après coup, justement parce que soumises à des aléas imprévisibles autant que non maîtrisables).
Mais cela ne signifie pas qu'il conteste le rôle essentiel de l'État, qui est dans sa métaphysique perçu comme l'une des formes que prend l'Esprit au cours de ces processus cycliques de l'Histoire qui est une marche pour ainsi dire "forcée" vers le Savoir Absolu et la Liberté. D'ailleurs c'est cet "étatisme" que lui reprochent certains libéraux qui en font une interprétation trop restrictive je pense, et surtout sortie de son contexte historique. Alors que l'État est plutôt chez lui le garant du DROIT qui est lui-même le garant des libertés. Faut dire qu'à cette époque napoléonienne, l'institution d'un État de droit ne pouvait être perçue que comme très prometteuse et un net progrès pour les libertés. Napoléon lui-même contribua d'ailleurs à cette époque à instaurer le Code Civil.
Hegel pouvait-il supposer à quel point l'État idéal auquel il aspirait allait devenir plus tard aussi perverti (et endetté !) qu'il l'est concrètement aujourd'hui, surtout dans notre pays où il sert surtout les privilèges des apparatchiks étatistes et du fonctionnariat ?
Oh mais si vous les enviez, il n'en tient qu'à vous, il y a encore plein d'endroits vierges sur la planète.Or les chasseurs cueilleurs vivaient dans l'abondance.