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Corriger les idées reçues ?

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Geisterwelt
Thrasymaque
jem
Vangelis
JimmyB
Euterpe
Georges Réveillac
11 participants

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Geisterwelt a écrit:
Janus a écrit:
Êtes-vous bien sûr que Hegel ait dit cela ?

Pour Hegel, la raison d'être, c'est-à-dire "Dieu", est toujours un résultat, elle n'est pas un commencement. On a reproché à Hegel sa prétendue "téléologie" : pour lui, le but existe avant tout comme idée. L'histoire est une régression vers ce qui a servi de commencement. La pauvreté n'est pas au commencement de l'histoire. La pauvreté est un "résultat" de l'aliénation : aliénation de la richesse : il n'y a de rareté que de la richesse. Si ce monde est de plus en plus riche, les gens sont de plus en plus pauvres.
C'est surtout que vous interprétez Hegel en l'adaptant à vos propres cadres de pensée, alors qu'il s'agit essentiellement chez lui d'idéalisme, de liberté et de philosophie du Droit. J'en trouve des vertes et des pas mûres à son sujet, tellement il a fait l'objet d'interprétations fantaisistes (amplifiées par la difficulté de la traduction) et cela avait commencé par cette prétendue "fin de l'histoire", où le mot fin est réduit au sens de point final, c'est-à-dire dire remis dans une logique linéaire de simple causalité, où il n'y a plus rien après, etc...

On peut admettre effectivement que chez lui le "but existe comme Idée" ou qu'il est déjà inclus dans l'idée de départ (à l'état de germe, comme je disais) mais il n'y a pas cette idée de "régression" mais au contraire un processus de progression au cours du mouvement historique, comme l'indique cette célèbre catégorie de thèse-antithèse-synthèse qui est une des figures qui sert à illustrer sa conception dialectique du réel. La synthèse y est un résultat contenant une progression vers le Savoir (autant subjectif qu'objectif) qui va recommencer "inlassablement" un nouveau cycle, où le résultat prendra la place de la nouvelle thèse et ainsi de suite.
Quant à Dieu, il n'est pas un concept directement intégré dans sa métaphysique, en particulier la Logique ou la "phénoménologie de l'esprit". C'est la notion de religion qui est prise en compte dans sa philosophie, mais comme une étape, aussi historique que nécessaire, de la "représentation" (au même titre que l'Art) que l'Esprit se fait de lui-même, au niveau de la conscience, en transitant dans le monde par l'esprit des hommes doués de raison. Et donc si Dieu devait être comme vous dites la "raison d'être" de sa métaphysique, ce n'est en tout cas ni un commencement, ni une fin, pas plus qu'un but ou résultat au sens où on l'entendrait couramment.

De plus l'aliénation chez lui comporte une connotation à valeur positive : c'est en s'aliénant volontairement dans l'autre (pour le dire autrement s'affranchir de la matière) que l'Esprit humain (toujours considéré au plan de la conscience qui anime l'esprit du sujet) va retrouver la liberté dans sa propre substance, dans un Esprit "absolument" achevé. Il y a ici des conceptions très abstraites et on ne peut se permettre de les réutiliser de façon aussi méconnaissable, en faisant du mixage personnalisé entre idéalisme hégélien et matérialisme historique où l'aliénation a une tout autre signification avec une connotation négative totalement inverse.
Si vous voulez plaider comme vous le dites ici que "la richesse est mal répartie dans le monde" ou que la pauvreté est le "résultat de l'aliénation de la richesse", il vaudrait mieux éviter d'utiliser des concepts hégéliens autant défigurés, et qui doivent l'empêcher de reposer paisiblement dans sa tombe.

Kvothe a écrit:
Janus a écrit:
Pour Walras que je n'ai pas lu, je suis ravi de dire comme lui, preuve que les grands Esprits libres se rencontrent sans besoin de se rencontrer.

Vous m'êtes tout de même redevable d'une belle rencontre
Vous me direz combien je vous dois. ;)
Pour le reste, je pense que vous n'avez pas bien suivi mon raisonnement depuis le début.

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Par curiosité, vous vous appuyez sur une lecture des œuvres de Hegel ou sur des articles encyclopédiques ?

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Janus a écrit:
Comment la pensée (ou esprit) pourrait-elle être radicalement et totalement "séparée" du cerveau, qui en est le support "physique" et matériel ?

Entre cerveau et pensée, ne cherchez pas la signification, cherchez l’usage. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas écrit. Je n'ai pas employé l'idée de "séparation", mais bien celle de "distinction", tant je me plaçais au point de vue de la déconstruction philosophique plutôt que de l'ontologie. Le mot "cerveau" est le terme employé par la "science" : "cerveau" est une vue de l'esprit scientifique ; la neurobiologie ne recherche pas des "représentations" dans le cerveau, ni des mots (vous cherchez vos mots) mais des connexions physiques, des fonctionnements. Le "cerveau" n'est pas la "pensée" simplement parce qu'il n'y a pas de langage dans le cerveau, mais, tout au plus, ce que nous appelons de la mémoire. C'est une sorte de monisme ontologique que de dire que les représentations sont produites dans/par le "cerveau" : c'est le cas des animaux, si l'on veut, mais point de l'homme. Elles ne sont pas produites par un "cerveau" mais par/dans un monde. Vous nous proposez donc une conception réductionniste de la pensée (et de la vie, par la même). Vous proposez le mythe de l'intériorité de la métaphysique traditionnelle. Voyons ce que dit Peirce à ce propos, car c'est avec des personnes comme lui (et Wittgenstein) que nous pourrons en finir avec ce mythe de l'intériorité (une idée reçues de plus) :
Certains considèrent que la faculté de langage réside dans un certain lobe ; mais je crois qu’il serait plus vrai de dire que le langage réside dans la langue (tongue). A mon avis, il est bien plus vrai de dire que les pensées d’un auteur vivant sont dans les exemplaires de son livre plutôt que dans son cerveau.
(...)
Si j’avais renversé mon encrier, je n’aurais pas pu continuer ma discussion jusqu’à ce que j’en aie un autre. Oui, les pensées elles-mêmes ne me seraient pas venues. Aussi ma faculté de discussion est-elle également localisée dans mon encrier.
(...)
On dit d’un homme qu’il connaît une langue étrangère. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Seulement que si l’occasion se présente, les mots de ce langage lui viendront à l’esprit, non pas qu’ils sont actuellement et tout le temps dans son esprit. Pourtant, nous ne disons pas qu’il ne connaît la langue qu’au moment où lui viennent les mots particuliers qu’il a à dire ; auquel cas il ne pourrait jamais être sûr de connaître toute la langue, s’il ne connaissait que le mot particulier nécessaire sur le coup. Ainsi son savoir de la chose, qui existe tout le temps, n’existe qu’en vertu du fait qu’à une certaine occasion, une certaine idée lui viendra à l’esprit

Peirce nous propose ici un anti-psychologisme. Demandez-vous donc ce que cela signifie : "chercher ses mots", on ne cherche jamais ses mots que "dans" un monde, pas dans une tête. Lorsque nous disons : "j'ai une idée", c'est tout au plus un jeu de langage.
Wittgenstein, Cahier bleu, P.43 a écrit:
Si d’ailleurs nous parlons du lieu où la pensée se déroule, nous sommes fondés à dire que ce lieu est le papier sur lequel nous écrivons, ou la bouche qui parle. Et si nous disons de la tête ou du cerveau qu’ils sont le lieu de la pensée, c’est en utilisant l’expression “lieu de la pensée” en un sens différent


Janus a écrit:
La pensée émane d'un sujet qui se représente cette réalité

Non, la pensée provient d'un monde, un monde qui donne incontestablement tort aux sujets qui tentent de le penser.

Janus a écrit:
La science observe la réalité physique des phénomènes et en déduit des lois "universelles" par définition objectives

C'est une conception de la science que tous les scientifiques ne partagent pas.

Vangelis a écrit:
Je ne fais pas du tout du travail l'essence de l'homme. Je dis simplement que la rareté est un pratico-inerte, consubstantiel au monde dans lequel nous vivons, et qui a demandé à l'homme de trouver une stratégie pour y remédier.

Vous définissez la "rareté" comme un pratico-inerte, c'est ce que je me tue à vous dire, vous définissez la rareté en bon matérialiste (contre le matérialisme d'ailleurs), comme Sartre. Pour vous, la rareté existe tant que l'homme existe (le pratico-inerte désigne tout ce qui est est produit par la praxis-humaine) : l'homme existe, il doit trouver une stratégie pour contrer l'existence de la rareté qui sera tant que l'homme est. Dans cette conception, la "matière" et la "rareté" ne sont pas séparables (consubstantiels dites-vous) et, pour le dire avec Sartre, "chacun intériorise cette structure en ce sens qu'il se fait par ses comportements l'homme de la rareté". La Terre devient "l'enfer pratico-interne".

Vangelis a écrit:
Si l'on parle du nomadisme il n'est pas apparu par le goût du voyage, mais bien par choix face à un besoin.

L'homme face à ses besoins... l'homme face à la nature... Vous supposez donc que les chasseurs-cueilleurs ont décidé que le nomadisme était le meilleur moyen (en attendant l'agro-industrie sans doute) de faire face à leur besoin. Vous supposez donc qu'ils pensaient le nomadisme en tant que tel, ce qui, d'un point de vue de méthode en anthropologie, est une ineptie.

Vangelis a écrit:
Puisque mon propos s'inscrivait dans les origines du conflit

Voilà, vous recherchez les "origines".

Vangelis a écrit:
Je considère que la rareté a commencé bien avant le travail institué

Considérez ce que vous voudrez. La rareté n'a pas "commencé", elle a résulté. Je ne reviendrai pas sur ce point, désolé, vraiment, mais je perds patience.

Janus a écrit:
"la richesse est mal répartie dans le monde"

Non, ce n'est pas moi qui le dit, ni qui le pense. C'est Mélanchon.

Janus a écrit:
On peut admettre effectivement que chez lui le "but existe comme Idée" ou qu'il est déjà inclus dans l'idée de départ

Je sais bien que Hegel aimait le mot Ziel, mais il ne disait pas que le monde était "but" lui même. Ce n'est pas parce que le monde contient des "buts" qu'il l'est lui-même.

Janus a écrit:
De plus l'aliénation chez lui comporte une connotation à valeur positive

Je vois donc que vous avez une conception économique (utilitariste donc) de la richesse, puisque lorsque je parle d'aliénation de la richesse, je l'entends dans la perspective hégélienne, positive. Je parle d'un "résultat". A ce titre, Richesse et Puissance de Fourquet est un bel ouvrage. Vous réduisez la richesse au capital : à l'origine, comme le note très bien Marx, l'éco­nomie pouvait se payer le luxe d'être une honnête théorie de la richesse, quand elle pouvait avouer sa vraie nature de modeste science au service d'une classe prête à triompher. Comme le note André Orléan dans L'empire de la valeur, l'économie est en train d'être critiquée, elle perd de sa légitimité à parler de richesse. Il n'y a pas de richesse qu'économique. Pour la première fois dans le monde, l'économie posa théoriquement, il y a de cela trois siècles, la question de la richesse. C'est là sa grandeur. Mais très vite elle dut renoncer à son objet et à son but. Aussi vite que la classe qui la commandite dut renoncer à se proclamer ouver­tement la classe de la richesse universelle. Si l'éco­nomie posa théoriquement la question de la richesse, elle ne la posa que pour la falsifier, pour ne pas y répondre et surtout pour empêcher que d'autres ne puissent y répondre, tant théoriquement que prati­quement.

Janus a écrit:
et donc si Dieu devait être comme vous dites la "raison d'être" de sa métaphysique

Là encore, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Dieu n'est pas la raison d'être de sa métaphysique, je ne dis pas cela. Je dis que "Dieu" est une raison d'être du monde, mais qu'il s'agit d'une raison d'être du monde en tant que "résultat" de l'aliénation qui a lieu dans le monde. Citons Hegel dans le texte, de mémoire, je suis désolé :
l'histoire est une régression vers ce qui a servi de commencement

Je vais développer, et, puisqu'il me l'a été demandé (lectures de Hegel ou encyclopédiques ?), cela, à partir de mes lectures de Hegel, à savoir La Phénoménologie de l'esprit, La raison dans l'histoire, et La première philosophie de l'esprit, des lectures que je n'ai pas mené seul, isolé, mais en compagnie d'un fin connaisseur de l'œuvre de Hegel, et aussi ami. Je développe aussi à partir de l'Introduction à la science de la publicité, de J-P Voyer. Le commencement n'avait strictement aucun sens. Ce sens advient dans l'histoire. C'est seulement le résultat qui a un sens, c'est-à-dire, en l'occurrence, Dieu (ce sens, la critique de Feuerbach et de Marx de la religion l'a bien démontré). Le commencement, chez Hegel, n'est pas synonyme de début, ni d'origine : le commencement est réconciliation (entre ce que l'on était immédiatement et ce que l'on est devenu sans le savoir). Il est auto-fondation, implique le fait d'aller avec soi-même et non celui d'être à côté de la plaque parce que l'on n'est pas formé, fini, encore à se rechercher soi-même, adolescent ou stade anal, à se demander ce que l'on fait sur cette planète.

Maintenons cette analogie hégélienne entre le parcours d'un individu et celui de l'être collectif  :
1 - le début est la naissance, l'enfance
2 - le commencement est la fin de la jeunesse, vers le passage à l'âge adulte
Dans un langage hégélien, ce commencement, c'est-à-dire ce passage à l'âge où l'on a le droit de boire de l'alcool est : automédiation par la suppression de l'indépendance de la médiation et donc fin de l'aliénation inévitable et nécessaire, transfiguration de l'individu "irresponsable" qui devient individu "responsable", autonome, selbtständig.
Bien sûr, l'être collectif n'est pas un individu, et inversement : l'analogie s'arrête là. En tant qu'individus, on peut vouloir faire partie de la génération qui accomplira la fin de l'histoire, du processus historique ou préhistorique de la collectivité humaine. Cette "fin", je suis bien d'accord avec vous, ne signifie pas qu'après, il y a rien, mais justement que "tout" existe enfin. La fin de la jeunesse de l'humanité n'est pas la fin de l'humanité : cette "fin" est, chez Hegel, commencement de l'humanité. La réconciliation existe de toute éternité, disait-il. C'est la réconciliation de l'éthique et du politique. Cette fin est le véritable commencement de l'humanité, sa réconciliation effective où l'individu développe librement ses facultés. Catéchétique dirait Euterpe, je crois comprendre. Cette fin implique la création d'une structure sociale, d'une "façon" d'opérer, de coopérer, d'une éducation et formation qui fassent que chaque nouvel arrivant sache ce qu'il est très vite et puisse choisir son destin et ensuite participer librement à un grand œuvre collectif qui ne fait que commencer à ce moment-là de façon consciente, justement.

Cette fin implique plusieurs choses, à mon avis : critique de l'État et de l'argent, réfutation de la religion et de l'économie politique, la négation de l'existence d'un "déterminant en dernière instance" de nature divine ou d'origine économique, la compréhension de la hiérarchie et du commerce en tant que modes de structuration sociale résultant précisément de la non-existence et donc de l'absence, que nous ressentons tous, d'une conception de l'opération humaine par elle-même.

C'est donc le sot (au sens de Baltasar Gracian) qui comprend la "fin" hégélienne comme "fin temporelle" de l'humanité, qui fait coïncider le commencement véritable de l'humanité avec sa fin temporelle, la mort des petits humains.

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Geisterwelt a écrit:
L'homme face à ses besoins... l'homme face à la nature... Vous supposez donc que les chasseurs-cueilleurs ont décidés que le nomadisme était le meilleur moyen (en attendant l'agro-industrie sans doutes) de faire face à leur besoin. Vous supposez donc qu'ils pensaient le nomadisme en tant que tel, ce qui, d'un point de vue de méthode en anthropologie, est une ineptie.

Ne prenez pas les gens pour plus bêtes qu'ils ne sont. Quand à un endroit les ressources ne suffisent plus et que l'on n'a ni les outils, ni les techniques pour rester sur place, alors on change d'endroit. C'est aussi simple que ça.
Et oui, on emploie des mots d'aujourd'hui pour parler des hommes d'hier. Ce qui ne veut pas dire qu'on leur prête ni notre vocabulaire ni nos concepts.
Et si j'étais moins avenant je vous ferais remarquer que ni la dialectique Hégélienne ou Marxiste n'étaient de leurs préoccupations. (Je sais, c'est un style).

Geisterwelt a écrit:
Considérez ce que vous voudrez. La rareté n'a pas "commencé", elle a résulté. Je ne reviendrai pas sur ce point, désolé, vraiment, mais je perds patience.

La patience de quoi ? Qu'attendez-vous donc, que l'on se range de votre côté ? Mis à part le côté égotique de la chose, quel est l'intérêt ? Personnellement j'ai encore de la patience parce que je considère vos propos et que je n'ai nulle intention de convaincre qui que ce soit.

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Vous supposez que les chasseurs-cueilleurs ont choisi le nomadisme en tant que tel :  en tant que tel ne signifie pas "employant le même concept". Je voulais dire que vous imaginez cette société placée devant ce que vous appelez des besoins, ses besoins. Or les chasseurs-cueilleurs, je sais que c'est difficile à entendre, ne vivaient pas "dans le besoin". Cela, c'est le cas de la civilisation occidentale, moderne, marchande, mondiale. Les chasseurs cueilleurs ne vivaient pas dans le besoin, mais dans la pleine humanité : rites de partage, code d'honneur, absence de la notion de gain. Vous l'avez bien dit, le nomadisme n'est pas un choix, mais vous prétendez qu'on ne pouvait pas faire autrement à ce stade de l'humanité. Vous parlez bien de "ressources", "d'outils", de "technique" : et pourquoi pas de technologie ? C'est donc qu'il y a, selon vous, une nature difficile à affronter tant que l'homme ne peut l'affronter. Or les chasseurs cueilleurs vivaient dans l'abondance.

L'empire de la valeur, André Orléan a écrit:
Marshall-Salalins le décrit merveilleusement dans un ouvrage admirable. Étudiant les peuples de chasseurs-cueilleurs, c’est-à-dire une des sociétés les plus anciennes du globe puisqu’elle  remonte au paléolithique, il montre que ces sociétés, paradoxalement, connaissent l’abondance. Certes le niveau de vie y est très modeste mais personne n’y meurt de faim, car la coutume du partage et de l’entraide y domine la vie sociale. Dans ces sociétés, « aucune relation entre l’accumulation de biens matériels et le statut social n’a été instituée ». On peut même dire que toute l’organisation communautaire vise à « limiter la propriété des biens matériels ». C’est dans nos sociétés que la rareté s’impose comme une puissance autonome, sans appel, qui règle la vie des individus, sans considération pour leur dignité sociale :
« C’est nous et nous seuls qui avons été condamnés aux travaux forcés à perpétuité. La rareté est la sentence portée par notre économie et c’est aussi l’axiome de notre économie politique... L’homo œconomicus est une invention bourgeoise ; il n’est pas derrière nous, disait Mauss, mais devant nous comme l’homme moral. Les chasseurs-collecteurs n’ont pas bridé leurs instincts matérialistes ; ils n’en ont simplement pas fait une institution. »

A ce titre, je vous recommande aussi La Grande transformation de Polanyi, vous pourrez trouver un chapitre parlant de : La véritable invention du besoin.  
Le besoin n'advient pas face à des conditions de vie très rudes. D'ailleurs, selon l'agronome Claude Bourguignon, il reste encore 1 hectare par individu sur la planète pour que celui-ci puisse manger, boire, dormir. Ce n'est pas la nature qui pose problème, qui invente le besoin, qui n'est pas un pratico-inerte. Sartre ne faisait pas d'anthropologie. C'est la société qui invente le "besoin". La production de la rareté n'est autre que la production du besoin. Rareté et besoin existent parce que le salariat et l'argent existent.

Vangelis a écrit:
Et oui, on emploie des mots d'aujourd'hui pour parler des hommes d'hier. Ce qui ne veut pas dire qu'on leur prête ni notre vocabulaire ni nos concepts.

Ce n'est donc pas ce que je vous reprochais. Mais vous placez une conception moderne de la vie dans leur société : le besoin. Or la société des chasseurs cueilleurs maintenait les besoins au plus bas, leur culture, c'est-à-dire leur milieu intérieur, maintenait, dans l’équilibre, ces besoins au plus bas, et pas en connaissance de cause. L'arrivée du déséquilibre est marquée par un saut quantitatif dans la densité des groupes. Or ces sauts démographiques impliquaient, à chaque fois, une nouvelle manière de cohabiter et de vivre les rapports intersubjectifs, donc une aptitude à répondre en quelque sorte "du dedans" aux tensions psychiques qui accompagnent toujours le remaniement des structures d’un groupe. C'est bien la "culture" qui avait pour rôle de façonner cette aptitude : tout un faisceau d’innovations sans finalité concrète (culte du Taureau, apparition de la Déesse, nouvelles manières, très conditionnées psychiquement, de façonner la matière de façon purement symbolique). Bien sûr, on assiste à l'apparition de nouvelles techniques : chasse du bœuf, haches polies, plus tard céramique d’usage. Mais ces inventions techniques sont très nettement déterminées par des clivages psychologiques déjà expérimentés dans un contexte non matériel. La division du travail est sujet. Les rapports sociaux sont sujet. Ils sont immédiatement l’activité de la pensée dans ce qui existe. Ils produisent les systèmes des professeurs, ce ne sont pas les systèmes des professeurs qui les produisent. De même que la " population " du célèbre exemple de Marx dans les Grundrisse repris dans la Contribution à la critique de l’économie politique, la production est une pure abstraction, une pure idée. Le besoin aussi. Le besoin est une institution.
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