Bonjour Kersetimes,
Dans la préface de son essai-séminaire "S/Z" Roland Barthes s’interrogeait sur la possibilité d’un discours "blanc", qui ne dit que le pur littéralisme. Pour lui, le principal obstacle c’est qu’il est impossible à un humain d’évacuer toute autre référence qu’elle soit contextuelle, littéraire ou symbolique, tout soupçon d’arrière-pensée ou de non-dit, etc.
Son exemple était la lettre de condoléances qui rien que par sa sobriété ou par sa profusion dit plus que son signifié littéral.
Le sens littéral relève de la même gageure.
Il faut déjà un peu se forcer pour poser que le rédacteur ait une pleine conscience de ses intentions. Puis il faut qu’il ait les moyens intellectuels pour composer un message fidèle à ses intentions. La question du littéralisme se pose donc déjà au moment de l’émission du message.
Quant à la réception, je prendrais l’exemple des modes d’emploi, notices ou instructions de montage qui laissent souvent les lecteurs perplexes : « que dois-je comprendre ici ? »
Mais auparavant il faut s’interroger sur ce que pourrait être le sens littéral en raison de la polysémie de la plupart des mots, du flou qui entoure leur signifié, des expressions toute faites lexicalisées, etc. Les expressions lexicalisées sont souvent énigmatiques, il faudrait une note explicative, il en est de même des jeux de mots sous-jacents. On ne peut échapper à la quête de sens, on ne peut lire qu'en faisant marcher la machine à fabriquer du sens.
Tout ceci pour poser la question « À quel moment arrête-t-on la machine à fabriquer du sens ? »
Par exemple en français la position de l’adjectif épithète est souvent porteuse d’une nuance, l’inclut-on dans le sens littéral ? il y a des cas évidents et d’autres…
De même, il est courant de remplacer un verbe assez banal par une locution verbale qui peut n’être qu’un effet stylistique ou un effet de mode, mais parfois introduit une nuance.
Le style est-il purement esthétique ? la rhétorique est-elle purement formelle ?
Dans des formulations banales nous rencontrons des biais notamment avec la négation qui hésite entre différentes valeurs (cf. la litote) et qui peut porter autre part que littéralement. Par exemple : « Tu ne dois pas mentir » signifie en réalité « Tu dois ne pas mentir »
Le sens littéral est-il celui qui est le plus proche des intentions de l’émetteur ? auquel cas il est hors de notre portée en raison de ce que j'ai évoqué plus haut.
Est-il le sens qui serait produit par un automate interpréteur capable de ne subir aucune influence, c’est-à-dire qui ne peut être influencé ni par le texte lui-même ni par sa culture ni par son vécu. Un sens purement interne au texte, objectivable de façon univoque.
Voilà beaucoup de questions qui suggèrent que le sens littéral ressemble à un vœux pieux.
Très cordialement vôtre
pauline