Crosswind a écrit:aliochaverkiev a écrit:Page 59 (Kant de M. Luc Ferry) M. Ferry écrit ainsi : " la chose en soi ne devra plus être comprise comme une réalité extérieure à la représentation, comme une cause des représentations, mais comme le fait même de la représentation...la chose en soi n'est dès lors pas différente du phénomène". Mais page 125 de la Critique, Kant écrit que "la chose en soi n'est aucunement connue, ni ne peut l'être" (fin de page).
Ce qu'écrit Ferry ne peut être aussi rapidement rangé dans la case de l'erreur. Chez Kant, la chose en soi n'est en effet rien de substantiel, rien d'extérieur, pas plus que la cause des représentations. Si l'on pousse le raisonnement à fond, la chose en soi joue le [i]rôle[/] de milieu indéterminé, entièrement immanent, à partir duquel la polarité objet-sujet peut se faire jour. l'origine de ce milieu indéterminé que l'on pourrait, je dis bien pourrais et ce avec d'énormes pincettes, rapprocher du fait conscient primaire, du fait qu'il "y a" expérience, n'est pas explicité par Kant.
Si je pense qu'il s'agit d'une erreur c'est que je me place toujours à la place du mathématicien ou du physicien (ma formation de base est telle). c'est-à-dire que je vais réfléchir un peu comme un laboureur, un homme de la terre, je vais réfléchir donc en restant terre à terre; et ce que je vois c'est qu'effectivement la sensation n'est autre qu'une mise en relation de l'un de mes sens avec quelque chose qui me "choque", qui opère un choc avec le sens considéré; or le "choc" n'est pas la chose qui me choque; je vais essayer d'être très précis. Si je ferme les yeux et qu'un objet me touche, je vais avoir une sensation, mais le choc même tel que je le ressens n'est pas la chose qui me "touche". Si je ne vois pas le doigt qui me touche, si je n'ai que la sensation du doigt sur ma peau, il m'est impossible se savoir par la sensation, que ce qui m'a touché ressemble à un doigt. Mais mon esprit va sans doute à partir de la sensation, le toucher, construire un modèle de l'objet qui m' a touché, dont il est peu probable qu'il ressemble à un doigt surtout si je ne possède pas d'images en moi (si je suis privé de tout sens visuel"); j'aurais alors une représentation structurée en sensations "toucher" diverses et construites selon des modèles idoines.
La sensation, telle qu'elle se développe en moi n'est donc pas identique à la chose qui produit la sensation; or mon esprit (aujourd'hui nous disons le cerveau) ne peut traiter que la sensation et, à partir de la sensation, il ne peut que créer des modèles de la "chose" qui a provoqué la sensation. Mais rien ne peut nous affirmer que le modèle est la chose qui a provoqué la sensation, que le modèle est identique à la chose...en soi. En plus le modèle créé par l'esprit (le cerveau) est créé en fonction de ma nature, de mon corps, de ce que je suis! si je suis une particule dotée d'un cerveau aussi puissant que celui d'un homme (d'un esprit aussi puissant dirait kant) il est peu probable que je crée un modèle du mur qui me fait face identique à celui que je crée en étant un homme; si je suis une particule il est en effet problable que le modèle que j'aurais du mur sera très, très lacunaire, avec des "espaces" vides un peu partout, qui me permettra en tant que particule de passer au travers du mur. Je ne peux absolument pas avoir la connaissance de la chose qui me touche par le seul fait d'être touché (nous tombons parfois dans l'illusion du sens "vision" qui nous fait croire que :" Ah oui la chose qui m'a touché je peux savoir ce qu'elle est parce que je peux la voir", mais pas du tout, car la vision est encore un choc de "quelque chose" avec ma rétine, et la seule sensation visuelle, le choc qui est opéré avec ma rétine n'est pas la chose qui a provoqué le choc, elle ne lui est pas identique).
Je vais citer Chris Frith , "Comment le cerveau crée notre univers mental" page 63 : "Nous n'avons pas accès direct au monde physique"; je pense que ce monde physique auquel nous n'avons pas accès est le lieu de la chose en soi, et que les sensations qui ensuite se développent dans l'intuition sont la source du phénomène, lequel est objet pour nous de connaissance; bien sûr l'adéquation entre le phénomène (traité ensuite par l'entendement, nous verrons cela plus tard) et la réalité dite non accessible nous permet de nous affranchir de cette distinction. Au fond pourquoi ne pas identifier phénomène et chose en soi puisque ça marche! oui, ça marche, mais ça marche jusqu'à un certain point! car il arrive un moment où, pour progresser en physique il faut casser toutes nos intuitions, casser cette idée que le phénomène en nous est identique au réel, sinon il est impossible de continuer de progresser dans des branches aussi peu intuitives que la mécanique quantique; garder dans l'esprit l'idée que la chose en soi n'est pas identique au phénomène tel qu'il apparait, permet au scientifique (mais aussi aux artistes!) de rester sur leur garde, de ne pas choisir de toujours croire en ce qu'ils perçoivent et donc d'avoir toujours l'audace d'imaginer d'autres modèles. La distinction phénomène/chose en soi est donc l'une des sources de la capacité à CREER, à oser créer.