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Quand la littérature a une portée philosophique.

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JimmyB
invité1899
Nash
Desassocega
8 participants

descriptionQuand la littérature a une portée philosophique. - Page 7 EmptyRe: Quand la littérature a une portée philosophique.

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Peut-on connaître le roman par sa seule lecture ? Autrement dit : le roman se pense-t-il lui-même, ou faut-il nécessairement en passer par la critique ? Tout écrivain est-il d'ailleurs un critique ? Enfin, quel est justement le rôle de la critique, comment la penser (entre roman et philosophie) ? Est-elle une extension du roman, un organisme parasite, une forme de légitimation, etc. ?

Par ailleurs, arrive-t-il que de grands écrivains se soient fixés un programme et ne réussissent pas à l'accomplir dans leur œuvre (jusqu'à accoucher de tout l'opposé) ?

descriptionQuand la littérature a une portée philosophique. - Page 7 EmptyRe: Quand la littérature a une portée philosophique.

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Silentio a écrit:
Peut-on connaître le roman par sa seule lecture ?

Oui, mais c'est à la condition de savoir lire ce qu'un roman dit, non seulement de lui-même, mais du roman en général (si l'auteur estime avoir quelque chose à en dire, certes, mais pas nécessairement). Un roman, c'est un narrateur plus encore qu'un auteur. Pas de narrateur : pas de roman, par définition. Au théâtre, on assiste directement à la fiction qui se joue sur scène, il n'y a aucun intermédiaire. La vérité théâtrale n'est pas comparable à la vérité romanesque, indirecte, implicite, licencieuse, libertine. Les sous-entendus et les présupposés sont, dans un roman, autrement plus redoutables à détecter que dans un dialogue entre acteurs, parce que c'est le narrateur qui se mêle de raconter quelque chose à quelqu'un qui, pas plus que lui, n'est facilement identifiable. C'est quoi un narrateur ? Une fiction. Mais il faut quelqu'un pour tirer les ficelles. Et à qui s'adresse un narrateur ? Au lecteur ? Mais c'est quoi un lecteur, sinon tout le monde et personne à la fois ; qui existe mais qui n'est jamais en présence ; à la fois l'autre de la critique (le narrateur veut échapper aux normes et à l'autorité de la critique) et la critique elle-même ?

Or la critique a toujours contraint le roman à se penser lui-même (toute l'histoire du roman n'est qu'une tentative de définir un genre indéfinissable). Pas de "théorie du roman" : pas de roman. Même chez les moins théoriciens. Le roman avance toujours masqué.

Tout romancier est toujours au moins potentiellement critique. C'est le cas de Paul Scarron avec Le Roman comique (je ne m'étendrai pas sur le choix révélateur du titre), dont l'incipit est très intéressant. Tout romancier est toujours au moins potentiellement pour ou contre une norme, une autorité morale (cf. la critique), et doit trouver un peu plus que des expédients pour justifier son œuvre. La Princesse de Clèves entretient un rapport étroit avec l'art des portraits, et les portraits que le roman propose sont aussi faits pour satisfaire une mode, une norme. Dès le départ, le roman a été sommé de se justifier comme tel (genre littéraire ? etc.) face à l'indétrônable poésie (je rappelle que le théâtre ne fut pas d'abord un genre distinct, mais de la poésie dramatique).

Voyez l'incipit du Roman comique :
Paul Scarron, Le Roman Comique a écrit:
Le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course et son char, ayant attrapé le penchant du monde, roulait plus vite qu'il ne voulait. Si ses chevaux eussent voulu profiter de la pente du chemin, ils eussent achevé ce qui restait du jour en moins d'un demi-quart d'heure ; mais, au lieu de tirer de toute leur force ils ne s'amusaient qu'à faire des courbettes, respirant un air marin qui les faisait hennir et les avertissait que la mer était proche, où l'on dit que leur maître se couche toutes les nuits. Pour parler plus humainement et plus intelligiblement, il était entre cinq et six quand une charrette entra dans les halles du Mans. Cette charrette était attelée de quatre bœufs fort maigres, conduits par une jument poulinière dont le poulain allait et venait à l'entour de la charrette comme un petit fou qu'il était. La charrette était pleine de coffres, de malles et de gros paquets de toiles peintes qui faisaient comme une pyramide au haut de laquelle paraissait une demoiselle habillée moitié ville, moitié campagne. Un jeune homme, aussi pauvre d'habits que riche de mine, marchait à côté de la charrette. Il avait un grand emplâtre sur le visage, qui lui couvrait un œil et la moitié de la joue, et portait un grand fusil sur son épaule, dont il avait assassiné plusieurs pies, geais et corneilles, qui lui faisaient comme une bandoulière au bas de laquelle pendaient par les pieds une poule et un oison qui avaient bien la mine d'avoir été pris à la petite guerre. Au lieu de chapeau, il n'avait qu'un bonnet de nuit entortillé de jarretières de différentes couleurs, et cet habillement de tête était une manière de turban qui n'était encore qu'ébauché et auquel on n'avait pas encore donné la dernière main. Son pourpoint était une casaque de grisette ceinte avec une courroie, laquelle lui servait aussi à soutenir une épée qui était aussi longue qu'on ne s'en pouvait aider adroitement sans fourchette. Il portait des chausses troussées à bas d'attache, comme celles des comédiens quand ils représentent un héros de l'Antiquité, et il avait, au lieu de souliers, des brodequins à l'antique que les boues avaient gâtés jusqu'à la cheville du pied. Un vieillard vêtu plus régulièrement, quoique très mal, marchait à côté de lui. Il portait sur ses épaules une basse de viole et, parce qu'il se courbait un peu en marchant, on l'eût pris de loin pour une grosse tortue qui marchait sur les jambes de derrière. Quelque critique murmurera de la comparaison, à cause du peu de proportion qu'il y a d'une tortue à un homme ; mais j'entends parler des grandes tortues qui se trouvent dans les Indes et, de plus, je m'en sers de ma seule autorité. Revenons à notre caravane.

Cet incipit, souvent étudié, est intéressant dans la mesure où l'histoire n'en finit pas de commencer, parce que le narrateur y confronte directement deux manières de la raconter. Il prend évidemment parti pour la deuxième, qui appartient au genre comique et populaire. Enfin, il ne se contente pas de réclamer le droit de dire ce qu'il veut : il dit ce qu'il veut, ne se préoccupant pas de la critique (on la détecte ici avec la question du vraisemblable, qui occupa, parfois violemment, tout le XVIIe siècle avant que Boileau ne referme le couvercle).

Dernière édition par Euterpe le Lun 24 Juil 2017 - 8:53, édité 1 fois

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J'ajoute à vos conseils L'Art du roman de Milan Kundera.

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Je vous invite à lire cet entretien avec Alain Badiou, et je vous remercie par avance de me dire ce que vous en pensez :

- Commençons par ce paradoxe : en tant que philosophe, vous vous réclamez de Platon, dont le geste fondateur fut de bannir les poètes et les artistes hors de la Cité ; mais en tant qu'auteur, le premier livre que vous avez publié s'intitulait Almagestes (Seuil, 1964), et c'était un roman. Comment comprendre cette tension ?

- Dans les années 1950-1960, mon maître absolu, c'est Sartre. Et à travers lui, la grande tradition française de l'écrivain-philosophe. Or, dans Les Mots, l'écrivain est premier, la philosophie est une sorte de pis-aller. A l'époque, je fais des études de philosophie, mais mon ambition est littéraire, et mon premier passage à la télé, chez Pierre Dumayet, c'est pour Almagestes. Au fond, il y a cette idée française que la vraie gloire est littéraire. La gloire philosophique est allemande, ou académique. C'est pourquoi Merleau-Ponty n'a jamais pu prétendre à la puissance de rayonnement de Sartre.

Alain Badiou, "En tant que philosophe, je ne peux rendre raison du roman", LE MONDE DES LIVRES | 25.05.2009 à 09h19 | Propos recueillis par Jean Birnbaum

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On peut dire, en effet, que le roman, le théâtre, la poésie expriment des connaissances scientifiques, philosophiques, politiques, mais ils contribuent également à ces connaissances, ils produisent des connaissances. La littérature peut avoir une fonction d'expérimentation et d'évaluation d'idées par leur mise en scène de façon réaliste ou fictionnelle.

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