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Corps et philosophie.

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3 participants

descriptionCorps et philosophie. - Page 2 EmptyRe: Corps et philosophie.

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Zingaro a écrit:
le corps est omniprésent, particulièrement en Occident

En quoi l'y est-il plus qu'ailleurs ?

Parce que l'Occident est la plus iconolâtre de toutes les aires culturelles ayant existé depuis les origines. Les Grecs vouaient un culte à la beauté du corps masculin, qui représentait un instrument de mesure du monde (nombres, proportions, canons, repris et modernisés par les académiciens) :
https://books.google.fr/books?id=RK360ZNdYmQC&lpg=PA1&hl=fr&pg=PA1#v=onepage&q&f=true
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k503843t
Quels que soient les arts visuels envisagés, qu'il s'agisse des beaux-arts, des arts appliqués, du cinéma, de la BD, etc., le corps est unité de mesure. Mais même sans recourir aux questions artistiques, si vous considérez les anciennes unités de mesure élémentaires (le pouce, le pied, etc.), vous les trouvez appliquées à la plupart des activités humaines. Nous sommes, par excellence, l'aire culturelle de l'incarnation.

Dernière édition par Euterpe le Ven 22 Juil 2022 - 2:41, édité 4 fois

descriptionCorps et philosophie. - Page 2 EmptyRe: Corps et philosophie.

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Voici quelques éléments qui retiennent mon attention, reprenez-moi si je glisse :
La plus vieille évocation d'un canon (système de proportions) en histoire de l'art nous vient d’Égypte ancienne. Il correspond à un modèle extérieur à l’œuvre comme une règle systématiquement appliquée au travail des "artistes" (ouvriers ?), et le calcul des proportions y procède par division d'un tout, en quoi il est particulièrement adapté à la représentation d'un corps de profil en deux dimensions. La grande nouveauté introduite par les Grecs est la pensée et la représentation d'un corps dont les proportions s'élaborent "de l'intérieur" : les proportions des doigts entraînent celles de la main puis du bras et du torse jusqu'au plein aboutissement du corps (on retrouve l'idée de symmetria développée par Aristote, où les rapports entre les parties partent d'un plus petit dénominateur commun). De Vinci semble poursuivre la tendance grecque lorsqu'il se mesure aux limites de l'élaboration d'un canon en étudiant mouvements et torsions du corps. D'ailleurs, il opte pour une méthode où la règle générale intègre la subjectivité de l'artiste dans la sélection des individus qui serviront de modèles.
D'où vient cette spécificité grecque ? Les œuvres des Grecs sont tellement libres et légères comparées à celles des Égyptiens ! Faut-il chercher du côté des langues ? Les Grecs semblent les virtuoses de l'histoire, surdoués dont on a tenté d'égaler le naturel et la puissance pendant des siècles. Je pense à Nietzsche, au thème du dionysiaque, mais crains d'écraser trop d'étapes... Que s'est-il précisément libéré en Grèce à cette époque, à quoi correspond l'incarnation ?

Par ailleurs (un peu du coq à l'âne), les réflexions de W. Benjamin dans The work of art in the age of its technical reproducibility s'appuient-elles sur des connaissances historiques fiables, ou disons complètes ? J'ai été frappé, notamment, par l'interprétation des peintures préhistoriques qu'il y donne. Elle alimente le développement quant aux racines de l'art dans la magie et la fonction originellement rituelle des œuvres (en quoi repose en partie son concept d'aura au centre de l'analyse critique des productions artistiques modernes). Il la présente comme un fait historique, pourtant l'interprétation ne peut dériver que d'hypothèses d'ordre anthropologique, auxquelles, je suppose, peuvent conduire les données historiques...

descriptionCorps et philosophie. - Page 2 EmptyRe: Corps et philosophie.

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Zingaro a écrit:
D'où vient cette spécificité grecque ? Les œuvres des Grecs sont tellement libres et légères comparées à celles des Égyptiens !

Ça suppose de comparer des époques trop éloignées les unes des autres. L'influence de la statuaire égyptienne sur la Grèce archaïque, malgré l'absence de sources, semble bien établie. Voici ce que raconte Diodore de Sicile :
Diodore, Bibliothèque historique, I, 98 a écrit:
Lycurgue, Platon et Solon ont emprunté aux Égyptiens la plupart de leurs institutions. Pythagore a, dit-on, appris chez ces mêmes Égyptiens ses doctrines concernant la divinité, la géométrie, les nombres et la transmigration de l'âme dans le corps de toutes sortes d'animaux. Ils prétendent aussi que Démocrite a séjourné cinq ans chez eux et qu'il leur est redevable de beaucoup de ses connaissances astrologiques. Oenopide passe également pour avoir vécu avec les prêtres et les astrologues égyptiens et pour avoir appris d'eux, entre autres choses, l'orbite que le soleil parcourt, son inclinaison, et son mouvement opposé à celui des autres astres. Ils disent la même chose d'Eudoxe, qui s'acquit beaucoup de gloire en introduisant en Grèce l'astrologie et beaucoup d'autres connaissances utiles. Ils vont plus loin, et réclament comme leurs disciples les plus anciens sculpteurs grecs, surtout Téléclès et Théodore, tous deux fils de Rhœcus, qui exécutèrent pour les habitants de Samos la statue d'Apollon le Pythien. La moitié de cette statue fut, disent-ils, faite à Samos par Téléclès, et l'autre moitié fut achevée à Éphèse par Théodore, et ces deux parties s'adaptèrent si bien ensemble que la statue entière semblait être l'œuvre d'un seul artiste. Or, cette manière de travailler n'est nullement en usage chez les Grecs, tandis qu'elle est très commune chez les Égyptiens. Ceux-ci ne conçoivent pas comme les Grecs le plan de leurs statues d'après les vues de leur imagination ; car, après avoir arrangé et taillé leur pierre, ils exécutent leur ouvrage de manière que toutes les parties s'adaptent les unes aux autres jusque dans les moindres détails. C'est pourquoi ils divisent le corps humain en vingt et une parties un quart, et règlent là-dessus toute la symétrie de l'œuvre. Ainsi, après que les ouvriers sont convenus entre eux de la hauteur de la statue, ils vont faire chacun chez soi les parties qu'ils ont choisies ; et ils les mettent tellement d'accord avec les autres, qu'on en est tout étonné. C'est ainsi que la statue d'Apollon à Samos fut exécutée conformément à la méthode égyptienne ; car elle est divisée en deux moitiés depuis le sommet de la tête jusqu'aux parties génitales et ces deux moitiés sont exactement égales. Ils soutiennent aussi que cette statue, représentant Apollon les mains étendues et les jambes écartées comme dans l'action de marcher, rappelle tout à fait le goût égyptien

Cela vous donne des éléments de réponse. Ce n'est pas du côté des langues qu'il faut chercher, mais du côté des mathématiques. En outre, le style des kouroi rappelle nettement la statuaire égyptienne :
Corps et philosophie. - Page 2 Memysa10 Corps et philosophie. - Page 2 Couros10

Zingaro a écrit:
Que s'est-il précisément libéré en Grèce à cette époque, à quoi correspond l'incarnation ?

Les Grecs célébraient l'individu, non au sens moderne, mais au sens où est un individu celui qui se distingue des autres. Sans compter toute la question de la conception grecque de l'apparence. Mais l'art grec n'est pas naturel, sa période classique n'est pas à proprement parler "réaliste", mais "idéaliste" (le canon à 8 têtes ne se rencontre pas dans la nature, contrairement au canon de 7 et demi...). On peut, en revanche, parler d'un véritable réalisme égyptien, et d'une grande élégance :

Corps et philosophie. - Page 2 Img-8 Corps et philosophie. - Page 2 Declin-lage-dor-egypte-ancienne-L-p3QACK
Corps et philosophie. - Page 2 0510

Zingaro a écrit:
Par ailleurs (un peu du coq à l'âne), les réflexions de W. Benjamin dans The work of art in the age of its technical reproductibility s'appuient-elles sur des connaissances historiques fiables, ou disons complètes ?

Je ne suis pas un adepte de la thèse de Benjamin, trop conjecturale à mon sens. Ça reste de la philosophie, pas de l'histoire de l'art. Ça ne vaut pas Focillon, Huyghe, Malraux ou Pierre Daix, qui ont beaucoup mieux compris l'impact de la technique sur la production artistique. D'une manière générale, les philosophes ou penseurs allemands me paraissent d'une faiblesse inquiétante quant à la pensée de la technique. Si c'est ce point qui vous intéresse plus particulièrement, Jacques Ellul et Jean Clair sont autrement plus instructifs et éclairants.

Dernière édition par Euterpe le Ven 22 Juil 2022 - 2:42, édité 1 fois

descriptionCorps et philosophie. - Page 2 EmptyRe: Corps et philosophie.

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... la pensée de la technique. Si c'est ce point qui vous intéresse plus particulièrement, Jacques Ellul et Jean Clair sont autrement plus instructifs et éclairants.

Il s'agissait plutôt des liens entre l'art et le rituel, à travers la magie et la religion (toujours dans la continuité du "corps-sens" nécessitant d'être incarné, pour que la cohérence soit maintenue entre le "cosmos" et la matière). Benjamin présente les peintures comme des ponts jetés par les vivants jusqu'aux esprits, elles auraient été sacrées et plus ou moins secrètes, réservées à une "élite". Sur quoi se base cette interprétation, est-ce qu'elle dérive de principes solidement établis par l'anthropologie et/ou l'histoire ?


Du reste, il ressort des documents que les auteurs considèrent que les Égyptiens eurent ce genre de relation au(x) canon(s) qui réglaient leur art statuaire. Mégret va jusqu'à envisager que la fraction rapportée par Diodore est fausse parce que les Égyptiens l'auraient volontairement induit en erreur en modifiant la formule, par souci d'en garder le secret.

Est-ce l'idée d'un principe organisateur qui s'exprime dans la recherche de canons et dans le recours aux mathématiques ? Ces dernières ne sont-elles pas, tout comme le langage, affaire de syntaxe ? Dans http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k503843t, Mégret semble faire un lien direct entre, Dieu ("le divin Architecte") et la division par 64 de la hauteur du corps,
Corps et philosophie. - Page 2 F51.
Il écrit à la fin du 19ème...

Dernière édition par Zingaro le Sam 7 Nov 2015 - 10:57, édité 1 fois

descriptionCorps et philosophie. - Page 2 EmptyRe: Corps et philosophie.

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Zingaro a écrit:
Benjamin présente les peintures comme des ponts jetés par les vivants jusqu'aux esprits, elles auraient été sacrées et plus ou moins secrètes, réservées à une "élite". Sur quoi se base cette interprétation

Que l'art ait des origines sacrées, c'est ce qu'on savait depuis un moment. Qu'il ait été réservé à des élites, quand dans le même temps tout le monde pouvait les voir, c'est du délire.  

Zingaro a écrit:
les Égyptiens l'auraient volontairement induit en erreur en modifiant la formule, par souci d'en garder le secret.

Ce qui ne fait pas de l'art égyptien, pas plus que de la conception supposée que s'en faisaient les Égyptiens eux-mêmes, une pratique ésotérique.

Zingaro a écrit:
Est-ce l'idée d'un principe organisateur qui s'exprime dans la recherche de canons et dans le recours aux mathématiques ?

Bien sûr. Cosmos signifie monde et beauté, en grec, c'est-à-dire ordre, "arrangement", composition. On doit à Paul Valéry une remarque très éclairante :
Paul Valéry a écrit:
Aux Anciens, le monde céleste apparaissait plus ordonné qu’il ne le semble à nous, et par là, totalement distinct du nôtre ; et dans les rapports de ces mondes, ils ne concevaient point de réciprocité.
   Le monde terrestre leur apparaissait fort peu réglé.
   Ce qui les frappait, c’était le hasard, la liberté, le caprice (car le hasard est la liberté des choses, l’impression que nous avons de la pluralité et de l’indifférence des solutions).
   Le Fatum était chose vague, qui l’emportait sans doute à la longue et dans l’ensemble (comme la loi des grands nombres), mais prières, sacrifices, pratiques, étaient possibles.
   L’homme avait encore quelque pouvoir dans les occurrences où son action directe est inapplicable.
   Et donc, mettre de l’ordre lui paraissait divin.
   Ce qui distingue l’art grec de l’art oriental, c’est que celui-ci ne s’occupe que de donner du plaisir, le grec cherchant à rejoindre la beauté, c’est-à-dire à donner une forme aux choses qui fît songer à l’ordre universel, à la sagesse divine, à la domination par l’intellect, toutes choses qui n’existent pas dans la nature proche, tangible, donnée, toute faite d’accidents.


Dernière édition par Euterpe le Ven 14 Fév 2014 - 12:52, édité 1 fois
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