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La religion est-elle une philosophie ? La philosophie s'oppose-t-elle à la religion ?

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descriptionLa religion est-elle une philosophie ? La philosophie s'oppose-t-elle à la religion ? EmptyLa religion est-elle une philosophie ? La philosophie s'oppose-t-elle à la religion ?

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Bonjour

Je suis en pleine relecture studieuse de Apprendre à Vivre de Luc Ferry, et je constate que celui-ci oppose véritablement philosophie et religion, sans pour autant omettre de préciser leurs convergences...
D'après ce que j'ai compris, selon lui, la philosophie et la religion ont pour même objectif l'évanouissement des angoisses liées à la finitude humaine (est-ce là ce que l'on appelle essence ?) mais les voies empruntées sont contraires (ou est-ce cela l'essence ?)... En effet, la philosophie use uniquement de la raison, c'est l'Homme qui réussit par lui-même à calmer ses angoisses, tandis que la religion s'appuie sur le principe de foi, de confiance, qui se distancie fortement d'une quelconque rationalisation... Ainsi la philosophie, ou le "penser par soi-même" se distinguerait de la religion, ou "penser par un Autre".
M. Ferry nuance bien sûr son propos, notamment sur l'opposition entre religion et raison, en soulignant la présence d'intellectualisation (de la parole divine et du monde) au sein de celles-ci, mais il insiste sur la position subalterne, sur l'asservissement de la raison au profit de la confiance et de l'humilité.

Je n'ai pas de lectures véritablement philosophiques pour pouvoir comparer les points de vue et saisir ainsi toutes les subtilités du raisonnement, mais je me pose la question : la philosophie est-elle vraiment à distancier de la religion ? Qu'en est-il de la philosophie chrétienne ? De saint Thomas d'Aquin ? De Pascal ?

Si vous avez des conseils de lecture pour comprendre véritablement la question, je suis preneuse. Et n'hésitez pas à me faire découvrir les théories d'autres philosophes !

Merci d'avance !
Cordialement.

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La lecture de ce fil vous permettra de nourrir votre questionnement.

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Merci à vous ! N'avez vous pas une opinion sur le sujet ?

Cordialement.

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Remarque préliminaire : je n’ai pas lu Apprendre à Vivre de Luc Ferry, je ne pourrai donc pas vous répondre par rapport au contenu de ce livre.

Par contre, avec Thomas d’Aquin et Pascal, vous citez précisément deux penseurs chrétiens qui ont une vision radicalement différente l’un de l’autre sur ce sujet :
• Pour Thomas d’Aquin, la raison et la foi aboutissent toutes deux à la vérité ;
• Pour Pascal, la raison et la foi se situent dans des ordres différents et ne peuvent légitimement interférer l’une avec l’autre.

Prenons quelques citations de Thomas d’Aquin pour mieux comprendre sont point de vue sur ce sujet :

Thomas d'Aquin - Somme contre les gentils, Introduction générale §7 a écrit:
La vérité de la foi chrétienne ne contredit pas la vérité de la raison
[…]
Si la vérité de la foi chrétienne dépasse les capacités de la raison humaine, les principes innés naturellement à la raison ne peuvent contredire cependant cette vérité.
[…]
On en conclura nettement que quels que soient les arguments que l'on avance contre l'enseignement de la foi, ils ne procèdent pas droitement des premiers principes innés à la nature, et connus par soi. Ils n'ont donc pas valeur de démonstration; ils ne sont que des raisons probables ou sophistiques. Il y a place ainsi pour les réfuter.


La raison peut donc être utilisée afin de découvrir la vérité. Bien sûr, si nous parvenons par la raison à contredire les textes sacrés, c’est que nous avons commis une erreur de raisonnement, le dogme reste premier. À l’inverse, la théologie reste nécessaire (sujet traité dans l’article 1 de la question 1 de la Somme Théologique prima pars : texte ici)

Pour Pascal, par contre, cette convergence entre la raison et la foi est beaucoup trop dangereuse pour la seconde. Si, comme le propose Thomas d’Aquin, la raison peut permettre de confirmer les vérités que l’on trouve dans les Écritures, l’inverse est également possible. C’est ce que fera Hobbes, par exemple, au chapitre IV du De cive intitulé « Que la loi de nature est une loi divine » (texte ici) et c’est parfaitement inacceptable pour Pascal. À confirmer les lois découvertes par la raison à l’aide des lois disponibles dans les Écritures, il n’y a qu’un pas pour se passer totalement de ces dernières. Il y a là un danger que les précautions de Thomas d’Aquin ne désarment pas.

Pascal va alors réfuter toute possibilité d’une morale et d’une justice rationnellement établie et va séparer totalement le domaine de la raison et celui de la foi avec le concept des trois ordres :

Pascal, Pensées, début du fragment 339 (édition Sellier) a écrit:
La distance infinie des corps aux esprits, figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité car elle est surnaturelle.
Tout l’éclat des grandeurs n’a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l’esprit.
La grandeur des gens d’esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair.
La grandeur de la sagesse, qui n’est nulle sinon de Dieu, est invisible aux charnels et aux gens d’esprit. Ce sont trois ordres différents. De genre.


La raison fait partie de l’ordre de l’esprit et la foi de l’ordre de la charité et aucune interférence légitime ne peut exister entre les deux. Ce faisant, il va d’ailleurs ouvrir la voie à un ensemble de théories de la justice assez intéressant (cf. Michael Walzer, Sphères de justice par exemple).

En définitive, deux problèmes se posent aux deux courants qui sont censés permettre à l’homme d’atteindre les « vérités premières » :
• La théologie pose le problème de l’interprétation des textes sacrés
• La philosophie pose le problème de la régression à l’infini des questionnements

Par ailleurs, cette distinction entre le « penser par soi-même » et le « penser par un autre » peut elle-même être questionnée comme le fait Tocqueville par exemple (texte ici) :

Tocqueville, De la démocratie en Amérique II.1.I a écrit:
Echapper à l'esprit de système, au joug des habitudes, aux maximes de famille, aux opinions de classe, et, jusqu'à un certain point, aux préjugés de nation; ne prendre la tradition que comme un renseignement, et les faits présents que comme une utile étude pour faire autrement et mieux; chercher par soi-même et en soi seul la raison des choses, tendre au résultat sans se laisser enchaîner au moyen, et viser au fond à travers la forme: tels sont les principaux traits qui caractérisent ce que j'appellerai la méthode philosophique des Américains.


Tocqueville, De la démocratie en Amérique II.1.II a écrit:
Les croyances dogmatiques sont plus ou moins nombreuses, suivant les temps. Elles naissent de différentes manières et peuvent changer de forme et d'objet; mais on ne saurait faire qu'il n'y ait pas de croyances dogmatiques, c'est-à-dire d'opinions que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter. Si chacun entreprenait lui-même de former toutes ses opinions et de poursuivre isolément la vérité dans des chemins frayés par lui seul, il n'est pas probable qu'un grand nombre d'hommes dût jamais se réunir dans aucune croyance commune.

Or, il est facile de voir qu'il n'y a pas de société qui puisse prospérer sans croyances semblables, ou plutôt il n'y en a point qui subsistent ainsi ; car, sans idées communes, il n'y a pas d'action commune, et, sans action commune, il existe encore des hommes, mais non un corps social. Pour qu'il y ait société, et, à plus forte raison, pour que cette société prospère, il faut donc que tous les esprits des citoyens soient toujours rassemblés et tenus ensemble par quelques idées principales ; et cela ne saurait être, à moins que chacun d'eux ne vienne quelquefois puiser ses opinions à une même source et ne consente à recevoir un certain nombre de croyances toutes faites.

Si je considère maintenant l'homme à part, je trouve que les croyances dogmatiques ne lui sont pas moins indispensables pour vivre seul que pour agir en commun avec ses semblables.
Si l'homme était forcé de se prouver à lui-même toutes les vérités dont il se sert chaque jour, il n'en finirait point ; il s'épuiserait en démonstrations préliminaires sans avancer ; comme il n'a pas le temps, à cause du court espace de la vie, ni la faculté, à cause des bornes de son esprit, d'en agir ainsi, il en est réduit à tenir pour assurés une foule de faits et d'opinions qu'il n'a eu ni le loisir ni le pouvoir d'examiner et de vérifier par lui-même, mais que de plus habiles ont trouvés ou que la foule adopte. C'est sur ce premier fondement qu'il élève lui-même l'édifice de ses propres pensées. Ce n'est pas sa volonté qui l'amène à procéder de cette manière ; la loi inflexible de sa condition l'y contraint.

Il n'y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d'autrui, et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu'il n'en établit.


Ces deux premiers chapitres de la première partie du livre deux devraient vous intéresser…

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apprentiphilo99 a écrit:
Je n'ai pas de lectures véritablement philosophiques pour pouvoir comparer les points de vue et saisir ainsi toutes les subtilités du raisonnement, mais je me pose la question : la philosophie est-elle vraiment à distancier de la religion ?

Faguet voit dans les philosophies stoïcienne et épicurienne l'expression d'une opposition - et d'une tentative de substitution - aux religions antiques (bien que, d'après lui, philosophie et religion soient d'essence différente) :

Émile Faguet - La démission de la morale (1910) - p.11-18 a écrit:
Quoiqu'il en soit du plus ou du moins, les morales stoïcienne et épicurienne sont persuasives et non impératives ; sont hypothétiques et non catégoriques. Pourquoi ? Parce qu'elles sont humaines, strictement humaines. Elles ne sont pas, - je crois bien qu'elles le sont un peu, quoi que je dise, mais enfin il est plus juste de dire qu'elles ne le sont pas qu'il ne le serait de dire qu'elles le sont, - elles ne sont pas des débris, des restes, des souvenirs inconscients de religions passées. Bien plutôt elles sont en réaction et en sourde révolte contre les religions de l'ancienne Grèce. Plus ou moins formellement elles accusent ces religions d'immoralité et la morale grecque existe, au fond, et se sent exister, surtout pour que les vieilles religions n'existent plus. Elle se sent exister et elle veut exister comme remplaçant les anciennes religions et surtout comme prenant une place que les anciennes religions n'avaient pas remplie. Elles sont, relativement aux anciennes religions, d'essence presque absolument différente. Il est donc très naturel qu'elles n'aient pas le caractère impératif, dominateur, conquérant, pour ainsi parler, et envahisseur, que les religions ont d'ordinaire. Elles ne sont pas des morales détachées d'anciennes religions et qui se souviennent inconsciemment d'avoir été des religions et qui en ont gardé comme le caractère et comme le pli. Elles ne sont pas des morales à air et à geste religieux. Remarquez du reste, pour tout dire, ou plutôt pour tout indiquer brièvement, que les religions anciennes elles-mêmes n'ont pas beaucoup, n'ont pas violemment, pour ainsi dire, le caractère impératif. Elles commandent, c'est incontestable, et elles promettent des récompenses et elles menacent de châtiments. Elles sont donc, il faut le reconnaître, des systèmes religieux complets. Complets, oui, mais peu définis et peu rigoureux ; parce qu'ils sont extrêmement, j'allais dire désespérément complexes. [...] Et s'il est vrai, comme je crois que c'est plus vrai, que les morales antiques fussent plutôt en réaction contre les religions antiques qu'elles ne dérivassent d'elles, il y avait peu de chances, cependant, pour qu'elles inventassent cette chose nouvelle, véritablement inconnue et un peu étrange, une idée commandant à un homme, comme un maître à un esclave et l'asservissant. De cette idée, ils ont approché, c'est incontestable. Ils ont présenté soit la raison, soit l'intérêt bien entendu, comme quelque chose, sinon qui nous oblige, du moins qui nous accule, qui nous force à dire « il est bien vrai qu'il n'y a pas autre chose à faire » et ceci est bien une sorte de contrainte. Mais ne nous y trompons point, c'est encore une contrainte de persuasion ; c'est une contrainte qui donne ses raisons. « La raison, a dit Pascal, nous commande bien plus impérieusement qu'un maître, car en désobéissant à un maître on est malheureux et en désobéissant à la raison, on est un sot. » La contrainte des philosophies morales antiques était précisément celle-ci. Elles mettaient leur effort à nous contraindre à avouer qu'il est sot de ne pas être vertueux. Mais ceci est encore de la persuasion ; c'est de la persuasion qui devient si forte qu'elle finit par prendre un caractère presque impératif ; mais précisément elle finit par là, tandis que c'est par là que la morale impérative commence, et la différence est si considérable qu'elle est d'essence même.
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