Vangelis a écrit: Silentio a écrit: Leur cerveau ne leur permet justement pas de penser, ils sont obligés de réagir nécessairement et mécaniquement à certains stimulus, ils ne peuvent différer le temps de réponse à ces stimulus pour retraiter l'information reçue
Là je ne suis pas du tout d'accord. Les expériences de Roger Fouts et de Sue Savage-Rumbaugh sur les grands singes tendent à démontrer le contraire.
Disons que ma formule est lapidaire et trop abstraite et générale pour comprendre la diversité du règne animal. Il faudrait plutôt concevoir différents niveaux ou degrés de l'amibe jusqu'à l'homme. L'automatisme est plus ou moins instantané suivant le développement du cerveau. Le singe apparaît comme le plus proche parent de l'homme. Mais l'homme peut choisir en différant au maximum le délai de réponse à une stimulation externe (il n'a d'ailleurs pas forcément de réponses préformées à certains événements). Or la même chose relève plutôt de l'accident chez l'animal (ou devrais-je dire : chez les autres animaux). L'évolution est très lente pour les animaux, ou bien une espèce nouvelle naît de quelque accident, de quelque changement significatif des conditions de vie qui forcerait à l'adaptation. Mais si l'animal semble avoir une nature fixe, l'homme n'en a pas et son histoire montre, par le biais des créations culturelles, à quel point il peut dépasser ses besoins primaires et créer de nouveaux besoins, redéfinir son monde, etc. Le singe me semble bien s'approcher de l'homme, mais je vois encore un tel saut qualitatif entre les deux qu'il me semble que l'homme, bien qu'animal, est aussi bien plus (au prix toutefois d'une forme de pathologie, d'imperfection en tant qu'il ne peut réaliser une nature, une perfection, là où l'animal forme déjà un monde auquel il est adapté), d'où une différence non plus de degré mais de nature. Et cela tient bien plus à l'esprit qu'à l'intelligence, l'homme pouvant se détourner de la nature et de l'action, ou par elle modifier la nature et la "nature" humaine, là où l'intelligence supposément humaine est en fait partagée par l'ensemble du monde animal, en tant qu'intelligence pratique (que le singe est le plus à même d'employer lorsqu'il utilise des outils). Néanmoins, je ne vois pas le singe faire preuve de suffisamment de créativité pour sortir de ses habitudes (ou alors ça arrive exceptionnellement mais pour y retomber ensuite). Je suis donc plus proche de Bergson que de Descartes. (Cf. http://actuphilo.com/la-classe-virtuelle-de-philosophie/ressources/bergson-conscience-synonyme-dinvention-et-de-liberte/ )
Vangelis a écrit: Ensuite il ne faut pas dissocier la conscience du corps dont elle émerge. Elle est faite pour lui et par lui dans son temps, dans son espace et dans son histoire. Ainsi un chat par exemple ne peut pas appréhender en conscience ce que son corps ne saurait lui rapporter. Une cuisine raffinée et préparée comme nous savons le faire n'est pas envisageable pour lui, et en aucune façon. Il peut aimer ce qu'on lui sert, le rechercher, le désirer, mais il ne peut pas établir une stratégie pour la confectionner. Il ne peut l'envisager que dans une relation de dominé par rapport à celui qui lui offre. Et heureusement car ce serait une torture sans nom. De même que si nous avions un corps de chat avec notre propre conscience, si cela pourrait s'avérer amusant 30 secondes, ce serait insupportable.
On ne pourra jamais vraiment savoir ce que ça fait de vivre comme un chat et dans un monde, perçu spécifiquement par lui, qui correspond à ses besoins. Mais nous, nous pouvons essayer de nous mettre à la place du chat, et tout aussi bien nous pouvons embrasser du regard, par l'imagination, le point de vue "divin" sur l'univers entier sans toutefois l'expérimenter réellement. Nous pouvons sympathiser avec une multitude de mondes qui ne sont pas faits pour nous.
Vangelis a écrit: il n'y a aucun espace entre la conscience d'un être et ses possibles. Et cela nous amène aussi très loin, car ramené à l'homme contemporain cela voudrait dire que tout ce qu'il est capable d'envisager, du plus concret au plus abstrait, fait partie de ses possibles.
L'animal est déterminé par sa nature, de sorte que le monde qu'il constitue ne l'est que pour discerner dans le réel ce qui est utile. C'est la même chose pour l'homme au quotidien, et il use autant de son intelligence que l'animal lambda pour cela. Mais il y a aussi une part d'indétermination chez lui et qui ne relève pas de conditions extérieures. Il peut formuler des possibles, en créer, en ouvrir. Aussi bien par la connaissance des causes, qui le mène au-delà des apparences et à accéder à des réalités qui ne relèvent pas de son propre pouvoir, que par la technique pour modifier son milieu et accéder aussi bien à l'infiniment petit qu'à l'infiniment grand. Il est toujours en train de transcender ses propres limites et de créer de nouveaux rapports au monde, de nouvelles façons de s'y rapporter, qui en se transmettant à l'ensemble de l'humanité ne fait que démultiplier son potentiel.
Natura a écrit: Dire qu'un animal ne répond qu'à des stimulus, c'était bien du temps de la théorie cartésienne!
D'une part, voyez la réponse faite plus haut à Vangelis pour expliciter mon propos qui pouvait sembler réducteur, d'autre part vous n'avez pas démontré la fausseté de la théorie cartésienne : en quoi serait-il évident que Descartes est dépassé ou se trompe ?
Natura a écrit: regardez ne serait-ce que le comportement des éléphants face à la mort et vous comprendrez que l'on peut tout à fait leur prêter une pensée. Cela va même au-delà ! Auparavant, je pensais que l'homme pouvait se distinguer de ce qu'il nomme injustement animal par l'un de ses propres (soi-disant) qui est la projection dans le passé. Je pensais les animaux incapables de "voir" le passé tant ils semblent ancrés dans le présent et certainement un peu de futur (voir la fabrication des outils chez les primates, les oiseaux, etc., par exemple). Seulement, l'éléphant face à la mort, lorsqu'il retrouve la dépouille d'un des siens plusieurs années voire dizaines d'années après le décès de celui-ci (et je tiens à dire que je ne rentre pas dans un contexte anthropomorphique auquel je m'oppose !) nous pouvons voir qu'il y a bien plus qu'un simple regard sur les restes. Les membres du groupe touchent de leur trompe avec une grande délicatesse les os, dans un silence (même infrasonique) des plus total pendant un long moment avant de reprendre leur route. Auriez-vous un argument valable contre une certaine projection dans le passé ? Ils font la même chose que ce qu'un homme aurait fait face à la mort.
Il me semble que, contrairement à votre intention, vous considérez bien la situation de l'éléphant à l'aune de celle de l'homme. Repérant une situation similaire, vous prêtez des motifs de l'action propres à l'homme à l'éléphant. Mais vous n'avez pas accès à la conscience de l'éléphant, d'où vous ne pouvez pas lui attribuer une pensée. Le faire, c'est se laisser abuser par l'analogie entre ces deux situations. L'une vous rappelant l'expérience que vous pouvez en faire en tant qu'homme, vous projetez sa signification humaine sur la situation de l'éléphant. Mais c'est risquer de surinterpréter quelque chose qui n'est que similaire. Il est vrai que les animaux semblent sentir leur mort prochaine, rien ne dit pourtant qu'ils le savent. Peut-être s'isolent-ils simplement parce qu'ils se sentent faibles, diminués, et plus facilement en proie au danger, sans pour autant avoir conscience du fait qu'ils vont bel et bien mourir. Quant à l'éléphant, il montre surtout par son comportement qu'il sait discerner les signes qui intéressent sa survie : d'une part, il semble pouvoir reconnaître ses congénères, d'autre part il reconnaît les signes d'un danger passé ou présent. Mais ce n'est pas parce que la situation nous semble mélancolique qu'on peut en conclure à la mélancolie de l'éléphant. Ce serait anthropomorphiser l'éléphant.
Natura a écrit: Mais vous savez, je pense que s'acharner à trouver des similitudes et des différences ne sert à rien tant l'homme, comme toute autre espèce, est distinct. Vous ne semblez pas me comprendre lorsque vous dites que je réduis l'homme à l'animal. Je n'arrête pas de me tuer à vous faire comprendre que l'homme est différent de toutes les autres espèces comme chaque espèce est différente, donc il me semble qu'on ne peut avancer une quelconque supériorité ou infériorité.
Vos formules sont très maladroites, mais je ne développerai pas par manque de temps. Reste que vous avez peur de hiérarchiser les animaux entre eux, donc vous vous empêchez de penser leurs rapports. C'est donc également ne pas démontrer qu'ils sont distincts et c'est simplement présupposer leur différence. Or vouloir penser la spécificité de l'animal humain au regard des autres animaux n'est pas nécessairement vouloir légitimer sa domination sur eux. Ce qui est alors paradoxal, ou contradictoire, c'est que vous considérez maintenant qu'il n'y a pas de commune mesure aux différentes espèces animales (dont l'homme), à part le fait qu'elles sont toutes également distinctes, d'où vous laissez le champ libre, en réalité, à une hiérarchisation entre le genre animal et l'espèce humaine. Au lieu de dire que l'homme est la continuité du règne animal et qu'il le transcende par sa perfectibilité (qui peut aussi se changer en abêtissement, l'homme étant toujours un "animal dépravé", pour citer Rousseau, et privé de perfection), étendant par là les possibles du vivant, vous faites comme s'il y avait deux mondes hétérogènes qui ne se rencontraient pas, l'homme pouvant alors prétendre dominer des animaux avec qui il ne partagerait rien. Or ce n'est pas le cas.
Natura a écrit: L'homme est un homme. Un animal ne veut rien dire. Un chat est un chat. Nous ne pouvons tout ranger dans le terme animal. C'est faux, il n'y a que de l'incertitude et de l'incompréhension dans ce terme. Par exemple, on ne peut pas dire qu'il y a de l'"éléphantité" dans un chat ni de la "chatité" dans un éléphant. Il n'y a donc pas d'animalité dans l'homme ni d'humanité dans l'animal.
Si vous voulez faire dans le nominalisme il faut aller plus loin : il n'y a que des individus. Mais alors je n'ai rien de commun avec mes parents, ni avec vous. Donc pourquoi présupposer une égalité ? Par ailleurs, il y a bien de l'animalité dans l'homme et de l'humanité dans l'animal, au sens de ce que j'ai déjà défini précédemment : je ne diffère pas tellement de l'animal en tant que j'ai un corps, des besoins, des habitudes, un territoire, que j'émets et perçois des signes qui entraînent des actions, etc., et l'animal ne diffère pas tellement de l'homme puisqu'il fait aussi preuve d'intelligence au regard des exigences du monde dans lequel il faut agir et s'adapter aux situations. Si je dis que l'humanité de l'animal c'est son intelligence, je dis aussi en fait que l'homme ne se distingue pas de l'animal par son intelligence.
Natura a écrit: la supériorité de l'homme
Supériorité morale dont vous faites preuve en vous souciant du sort que nous réservons aux animaux, alors qu'ils n'ont rien à faire de nous. Vous avez une conscience, vous pouvez faire des choix et résister à vos besoins ou passions. Vous pouvez repenser vos rapports à l'animal. Mais par certains aspects l'homme est inférieur puisqu'inadapté à la nature, ce qui toutefois le pousse à inventer des outils, donc à recréer son environnement et lui-même.
Natura a écrit: il faut étudier la nature par la nature et non par l'homme
Mais l'homme fait partie de la nature. D'ailleurs, si vous défendez tant les animaux et leurs spécificités, pourquoi ne défendez-vous pas aussi l'homme comme animal spécifique ? Pourquoi abstraire l'homme de l'animal ? Au contraire, l'homme est un type particulier d'animal qui a développé certaines capacités qu'on ne retrouve pas ailleurs. Mais ce sur-animal reste par certains côtés un animal, quoiqu'il soit à même de viser l'inhumain et le surhumain.
Natura a écrit: En ce qui concerne l'anthropocentrisme, je dirais même que cela va encore plus loin. En me servant des trois blessures narcissiques de l'humanité, je dirais que Copernic a montré que la Terre n'était pas le centre de l'univers, Newton que l'homme n'était pas le centre de la création et Freud (avec la psychanalyse) que le sujet n'était pas le centre de lui-même. L'homme, fort de son anthropocentrisme, s'est vu achevé par la science... Mais savez-vous quoi ? Il a réussi a trouvé un semblant d'êtres inférieurs à lui pour y rejeter cette souffrance et ce n'est autre que l'animal...
Tout ça est vrai, mais l'homme est aussi quelque chose de particulier et d'irréductible à l'animalité, ne serait-ce par sa conscience et la culture. Quant à la souffrance faite à l'animal, je dirais surtout avec Bergson "qu'il faut bien vivre", voire qu'il faut bien manger, et que l'homme ne se distingue pas toujours des autres animaux : il peut être violent et tuer, ou ne serait-ce que jouer avec sa proie comme le fait le chat avec la souris. Après, il y a aussi la spécificité de la cruauté humaine à l'égard des animaux, ce qui prouve encore une fois que la conscience n'empêche pas la violence animale de ressurgir - et le cocktail de cette conscience avec cette brutalité produit aussi la cruauté comme symptôme d'une défaillance chez l'homme, animal contradictoire qui n'ayant pas de nature peut sombrer dans la pathologie et agir irrationnellement, surtout par usage de la raison calculatrice, en commettant des actes non nécessaires, suscités par des choses superflues, là où l'animal est plutôt dans une économie rationnelle de ses forces, il ne fait pas n'importe quoi. L'homme, au contraire, peut créer du monstrueux dans ce qui est contraire à la nature.
Natura a écrit: Mais peut-on aller jusqu'à exclure le fait que les animaux ne peuvent pas à certains moments avoir des réflexions philosophiques, se demander le pourquoi du comment ? S'ils se projettent dans le passé, pourraient-ils se projeter dans un futur lointain écarté de leurs habitudes, de leur instinct ?
Cette possibilité est déjà réalisée dans l'existence humaine. L'homme est l'animal conscient. On pourrait peut-être dire que l'évolution tend vers l'homme, vers l'esprit. Mais ce pourrait être aussi bien, dans ce qui est apparu accidentellement (mais qui montre que l'animal peut acquérir de l'esprit) dans le monde, un progrès qu'un déclin au regard de l'animalité. Quelque chose est gagné au prix de quelque chose de perdu.
Natura a écrit: Je ne sais pas si les animaux en sont capables et je pense que personne ne peut le savoir mais les animaux peuvent-ils se suicider ?
Je ne crois pas, il n'y a que l'homme qui se suicide parce qu'il est inadapté au réel et qu'il peut ne pas avoir les conditions requises pour compenser cette inadaptation. Il lui faut par exemple du sens, ce qui au regard de l'animal en fait un animal monstrueux et incompréhensible.
A moins de rentrer dans l'"espace pensée" d'un animal, il nous est impossible aujourd'hui d'en conclure quoi que ce soit.
Mais c'est un espace que vous présupposez sans rien en savoir, et vous le présupposez car vous en faites l'expérience en tant qu'être humain conscient de ce qu'il est lui-même (pour une partie en tout cas) et vous projetez cette possibilité réalisée en vous sur l'animal. Mais cette possibilité préexiste-t-elle à son actualisation et donc à l'homme ? Peut-on être plus ou moins conscient ? L'animal possède-t-il la possibilité de penser sans pourtant penser effectivement ? Là où l'homme pensant peut très bien ne pas penser (mais du fait même qu'il pense et qu'il peut donc penser). Cela dit, tout animal (humain ou non) finit par mourir s'il est inadapté ou dépassé par certaines situations. Mais l'homme seul préfère se tuer s'il estime perdre sa dignité autrement, là où l'animal semble indifférent à ce genre de considérations, du fait justement qu'il n'a pas de conscience réflexive pour se prendre lui-même en considération et juger de la manière dont il apparaît au monde et dont il s'apparaît.
Natura a écrit: Concernant votre sixième partie, je suis bien d'accord que le symbolisme, la politique, etc., permet de compenser ce manque d'adaptation, mais ne répondent-ils pas tout simplement à l'instinct de survie enfoui au fin fond de l'humanité ? Ainsi, cet instinct prédominerait et il n'y a aucune supériorité à tirer de cette catégorie puisque homme comme animal suivent ce même cheminement vers un combat pour la survie selon leur(s) adaptation(s).
L'instinct de survie et l'adaptation au monde qui en découle sont en effet de traits communs à tous les animaux dont les hommes. Mais l'homme finit par dépasser le simple état de survie par la culture et la maîtrise technique de son environnement qu'il transforme à son image. Ses besoins primaires étant assurés, il peut s'inventer de nouveaux besoins totalement superflus et qui lui paraissent nécessaires. Les araignées n'ont pas beaucoup de variantes dans leur façon de chasser et finalement elles se rapportent toutes au piège et à la lutte et à l'étouffement (ou alors à l'utilisation d'un venin). Et toute leur vie semble tendue vers ces moments-là, dans l'élaboration répétée et continue de pièges ou stratégies toujours les mêmes bien qu'adaptées à l'environnement. A côté, l'homme a quasiment une infinité de choix, même si sa vie quotidienne tend à s'uniformiser. La supériorité de l'homme c'est sa liberté relative, mais comme je vous l'ai dit la liberté entraîne la responsabilité. Je ne légitime donc pas une vision de l'animal comme chose dont on pourrait s'emparer. Je ne suis pas non plus partisan d'une substance pensante individuelle et indépendante du monde qui prouverait la supériorité de l'homme et de l'esprit sur les corps et animaux. Mais je ne vois pas comment on pourrait accorder un esprit à l'animal en tant que celui-ci est rivé aux exigences du monde matériel, là où seul l'homme est dans la possibilité de s'en détourner. Regardez les grands esprits, comme Nietzsche qui ne fut sa vie durant que pure pensée à son corps défendant (et dysfonctionnnant), ils n'étaient pas rivés à l'action et à sa généralité, ils n'étaient pas dans l'automatisme et les habitudes. Platon nous disait déjà que le philosophe était maladroit en société. Penser n'a donc rien à voir, ou pas nécessairement à voir, avec l'intelligence (qui n'en est pas la cause).