Euterpe a écrit:"Tu me manques" est bien plus équivoque, sans qu'il soit absolument possible de trancher entre plusieurs significations : j'élis une personne en lui signifiant qu'elle compte (version Liber) ? Tarzan remasterisé (version Euterpe) ? Ou, pire : "toi tu m'aimes et tu manques de moi" ? Grammaticalement, impossible de trancher. Nous interprétons. Ou plutôt nous n'en donnons qu'une interprétation, mais l'expression est bancale.
Tout de même, la syntaxe française est ici très proche de la syntaxe latine, mot à mot nous aurions : "mihi dees", en français "à moi tu manques". Le datif a été remplacé par l'accusatif, les cas obliques ayant disparu en latin tardif, ce qui a donné "me dees", sans sujet exprimé, puisque le verbe latin n'a pas de pronom. Il faut donc opposer Rome à Londres, mon cher Euterpe ! Notre langue n'est que l'humble descendante de la Ville éternelle. Nous avons gardé quelque chose du "pathos de la distance" romain, pour emprunter à Nietzsche.
aristippe de cyrène a écrit:Je me pose une question. J'ai souvent vu des personnes affirmer ceci : "le latin, comme le grec, ne sont pas des langues qui se parlent". Je conviens que de nos jours, avec ce genre de langues, on est plus porté sur les étymologies, ou les traductions, etc... Mais pour autant, est-il impossible de parler couramment latin ou grec ? Est-ce que la complexité de ses langues induit le fait qu'il faille y baigner depuis sa naissance pour réellement la parler ?
La principale différence avec notre langue est qu'un Romain devait impérativement attendre la fin de la phrase pour en comprendre tout le sens. Une phrase latine se construit en général à l'envers. Exemple avec le début de la grande Histoire romaine de Tite-Live :
Facturusne operae pretium sim, si a primordio urbis res populi Romani perscripserim, nec satis scio nec, si sciam, dicere ausim
La phrase débute par une proposition interrogative indirecte que l'on perçoit à la particule -ne (facturusne), la principale se trouve à la fin : "nec scio", "je ne sais", donc à l'oral, il vaut mieux être attentif à ce -ne du début, car ce n'est vraiment qu'à la toute fin de la phrase qu'on comprendra le début, soit en français : "Je ne sais et si je savais, je n'oserais dire si... mon livre vaudra la peine qu'il m'en coûtera pour écrire les actions du peuple romain depuis les débuts de la ville." Il y a bien d'autres difficultés propres au latin dans cette phrase, mais ce qui déroute le plus est sans conteste cette inversion de l'ordre des propositions qui oblige à décortiquer minutieusement toutes les phrases, même à l'écrit. Bien sûr, Tite-Live était un grand rhéteur qui aimait créer de longues périodes. Des textes comme ceux de Pétrone sont beaucoup plus faciles à comprendre. Mais hélas, la plupart des œuvres qui nous sont parvenues ont été écrites par des lettrés raffinés qui ne reculaient devant aucune complication. L'avantage du latin par rapport au grec est que ces constructions, quand on en a l'habitude, sont prévisibles. Par exemple, si on a bien vu ce -ne du début, on s'attend inévitablement à un verbe dire ou savoir à la fin.