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Y a-t-il une subjectivité ?

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descriptionY a-t-il une subjectivité ? - Page 23 EmptyRe: Y a-t-il une subjectivité ?

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benfifi a écrit:
Vers quelle autorité me tourner qui sépare le bon grain de l'ivraie ? A défaut, peut-on me reprocher de m'ériger en autorité, sujet à moi-même, presque par instinct ? Je me fraye un chemin, je me débrouille, seul.

Cette autorité que vous représentez pour vous-même, exclut-elle l'admission de toute autre autorité ? N'est-ce pas lorsque vous faites face au réel, ayant acquis une certaine assurance quant à votre capacité à discerner, que vous devenez également capable de reconnaître le mérite, voire la supériorité d'une pensée qui vous est étrangère ?

descriptionY a-t-il une subjectivité ? - Page 23 EmptyRe: Y a-t-il une subjectivité ?

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Je voudrais revenir sur des choses qui ont été dites dès le début du topic :
Euterpe a écrit:
[...] cette incapacité maladive à s'oublier soi-même est renforcée par son entêtement à intérioriser le monde ou à s'y projeter, avec dans les deux cas le même résultat, l'abolition de toute extériorité. Le romantique semble croire ou craindre que s'oublier soi-même ne reviendrait qu'à n'exister pas, quand s'oublier soi-même consiste non seulement à laisser être le monde, mais à l'affirmer en le contemplant. Tandis que le romantique se condamne à se perdre lui-même en perdant le monde, puisqu'il passe le plus clair de son temps à énoncer méticuleusement et complaisamment son mal-être, son incapacité à et même son refus de vivre.

Le problème c'est de savoir si le romantique peut changer, se changer lui-même. Or n'est-ce pas aussi cela qui fait le romantisme, cette incapacité à ne pouvoir en sortir et qui constitue justement ce fameux mal-être ? Le romantique est victime de sa réflexivité, il est même extrêmement conscient, me semble-t-il, de ses contradictions (je ne parle pas du banal subjectiviste cachant sa misère sous les habits de l'ironie ou du cynisme) : on voit bien des romantiques s'ouvrir au monde, devenir panthéistes, et ne trouver là aucunement leur salut. Alors, est-il possible de ne plus être romantique, par quoi cela passe-t-il concrètement ? Dans son dernier entretien sur France Culture, Clément Rosset parlait de son approche joyeuse du tragique ; mais, lui a-t-on fait remarquer, puisqu'il avait le même constat sur la vie que Cioran tout en ayant le jugement inverse à son propos, n'était-elle pas aussi affaire de caractère, de tempérament ? Un romantique (caractérisé par une maladie qui semble constitutive de son mode d'être) ne sera-t-il donc jamais capable de changer son profil psychologique ? Comment "laisser être le monde" et s'(y) oublier ? Faut-il arrêter de penser, est-ce possible ?

Vous citiez le poète comme modèle d'homme rapporté au monde, mais le romantique éprouve le monde, s'éprouve en éprouvant l'écart au monde, l'absolu au loin et sa propre relativité ou finitude à laquelle il est rivé, et j'ai l'impression que de nombreux poètes pourraient être des romantiques, du moins au quotidien, puisque leurs poèmes, lorsqu'ils ont une tournure classique qui laisse place au monde, ne sont peut-être jamais que des essais d'auto-persuasion ou la retranscription de rares moments d'abandon de soi, d'une victoire éphémère conquise sur soi (c'est ce que Nietzsche disait de son écriture). La poésie est un art de la métamorphose, du dépouillement, de la réconciliation - parce qu'elle naît elle aussi d'une inadaptation au réel. Rilke, par exemple, me semble l'antithèse du romantique. Peut-être l'homme a-t-il eu besoin de sa poésie pour trouver un accord entre le monde et lui-même. Mais n'a-t-il pas été pendant longtemps (je pose la question, je ne connais encore que trop mal sa vie) un grand souffrant obligé d'écrire pour vivre avec sa douleur (cf. Les lettres à un jeune poète, écrire doit être une nécessité vitale) ? La poésie pourrait être un procès thérapeutique, débouchant éventuellement sur un nouveau mode d'être à peu près acquis car conquis difficilement sur la durée (mais l'exercice serait nécessaire pour ne pas retomber dans les pièges du moi).

Pour ma part, je constate simplement qu'un peu de sévérité à son propre encontre, avec l'aide du temps, ainsi que l'acceptation répétée de certaines vérités peuvent changer la façon de sentir : ainsi, on peut apprendre à être personnel sans être subjectif (cela passe, paradoxalement, par le privilège accordé à l'impersonnel), à taire ses angoisses en les "sublimant" dans une œuvre qui laisse toute sa place au monde (ainsi, chez Kafka ou Melville). Il faut se "refroidir", s'endurcir (parfois en refusant le sentiment au profit de la raison) ; rigoler de soi aussi ; accepter, enfin, de ne pas tout maîtriser. Mais bien souvent le moi revient plus follement encore par d'autres portes, plus vicieusement, alors qu'on n'en voulait plus. Les victoires répétées, parce que l'on est trop sensible et qu'on ne sait tout oublier, laissent parfois la place à des rechutes (on revient plus facilement des Enfers, mais tout de même...).

D'une certaine manière, tout le problème consiste à savoir que le moi n'est rien tout en ayant pourtant fort à faire avec lui, avec ses prétentions, parce que les attaques qu'il subit nous blessent ; parce que nous avons à vivre (ce qui implique la confiance en soi) et que nous ne pouvons pas tout à fait accepter de n'être rien. Un rien peut agir sans penser à soi, à ce qu'il fait, mais le romantique, lui, doit tout apprendre d'une spontanéité qu'il connaît fort mal. Et même lorsqu'il évolue positivement on le voit encore peiner, il subsiste toujours en lui une inadaptation qui le ronge intérieurement.

descriptionY a-t-il une subjectivité ? - Page 23 EmptyRe: Y a-t-il une subjectivité ?

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Silentio a écrit:
Le problème c'est de savoir si le romantique peut changer, se changer lui-même. Or n'est-ce pas aussi cela qui fait le romantisme, cette incapacité à ne pouvoir en sortir et qui constitue justement ce fameux mal-être ? Le romantique est victime de sa réflexivité, il est même extrêmement conscient, me semble-t-il, de ses contradictions (je ne parle pas du banal subjectiviste cachant sa misère sous les habits de l'ironie ou du cynisme) : on voit bien des romantiques s'ouvrir au monde, devenir panthéistes, et ne trouver là aucunement leur salut.

Le problème du romantique, c'est le déséquilibre entre son intellect et son affect. Il investit tout son affect dans son esprit. Cela décuple sa conscience, mais le seul exercice de la pensée ne peut plus alors lui fournir le moindre mobile à son action, d'où son irrésolution d'un côté, ou bien ses extrémités de l'autre (Hamlet, d'un côté ; Nerval de l'autre, qui se suicide, ou encore l'abbé de la Croix-Jugan, dans l'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly, dont le suicide - manqué - n'apporte rien à la situation où il est, et ne consiste qu'à jeter à la face du monde un absolu qu'il emporte avec lui ).

Silentio a écrit:
Alors, est-il possible de ne plus être romantique, par quoi cela passe-t-il concrètement ?

Gœthe et Stendhal nous donnent des pistes. Benedetto Croce a beaucoup écrit à ce sujet. Sa lecture, sur ce point comme sur d'autres, me paraît indispensable.

Silentio a écrit:
Dans son dernier entretien sur France Culture, Clément Rosset parlait de son approche joyeuse du tragique ; mais, lui a-t-on fait remarquer, puisqu'il avait le même constat sur la vie que Cioran tout en ayant le jugement inverse à son propos, n'était-elle pas aussi affaire de caractère, de tempérament ? Un romantique (caractérisé par une maladie qui semble constitutive de son mode d'être) ne sera-t-il donc jamais capable de changer son profil psychologique ? Comment "laisser être le monde" et s'(y) oublier ? Faut-il arrêter de penser, est-ce possible ?

Le tempérament détermine bien des choses en effet. Mais Cioran et Rosset ne me semblent pas si éloignés. Ce qui leur manque, c'est la volonté ; plus exactement, ils n'ont pas besoin de volonté : le monde est un mobile suffisant pour les deux, qui n'altère pas leur pensée, mais lui imprime sa marque : penser, c'est déconstruire les illusions et s'en trouver aussi bien que possible. Il n'y a, ni chez l'un ni chez l'autre, aucune ambition comme on trouve chez les romantiques, aucune hybris, notamment l'une des plus séduisantes : se survivre à soi-même. Le romantique n'accepte pas d'être rien, de n'être que rien. Pourtant, ce n'est déjà pas si mal de n'être rien, ça aide à faire plus sérieusement ce qu'on a à faire, ou à considérer avec un surcroît de sérieux ce qu'on a à faire.
Quant à se réformer soi-même, accessoirement, lorsque j'avais 23-24 ans j'ai trouvé un soutien consistant chez Alain, qui en parle beaucoup.

Puisque vous parlez de Rilke, lisez l'un de ses traducteurs les plus autorisés en la personne de Jaccottet, notamment ses Paysages avec figures absentes. Lui, si peu lyrique d'habitude, laisse affleurer les émotions qui font l'homme face au réel. Rarement j'ai pu lire quelqu'un laisser être ce qui est avec une telle délicatesse, quelqu'un ne pas craindre l'effacement et continuer d'exister.

Silentio a écrit:
D'une certaine manière, tout le problème consiste à savoir que le moi n'est rien tout en ayant pourtant fort à faire avec lui, avec ses prétentions, parce que les attaques qu'il subit nous blessent ; parce que nous avons à vivre (ce qui implique la confiance en soi) et que nous ne pouvons pas tout à fait accepter de n'être rien. Un rien peut agir sans penser à soi, à ce qu'il fait, mais le romantique, lui, doit tout apprendre d'une spontanéité qu'il connaît fort mal. Et même lorsqu'il évolue positivement on le voit encore peiner, il subsiste toujours en lui une inadaptation qui le ronge intérieurement.

On ne se débarrasse pas facilement de ses illusions. Mais, après tout, est-ce bien de cela qu'il s'agit ? Ou bien d'apprendre qu'on vit avec ses illusions, et même que nous sommes des illusions. Triste privilège, me direz-vous.

Dernière édition par Euterpe le Mer 19 Fév 2014 - 2:24, édité 1 fois

descriptionY a-t-il une subjectivité ? - Page 23 EmptyRe: Y a-t-il une subjectivité ?

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Euterpe a écrit:
Gœthe et Stendhal nous donnent des pistes.

Je vois pour Stendhal, dont la manière même d'écrire ses phrases offre une réponse à la question de Silentio. Mais je ne vois pas quelle piste donne Gœthe... Il me paraît plus mener à un mode d'être romantique plutôt qu'à une porte de sortie. 

Euterpe a écrit:
Benedetto Croce a beaucoup écrit à ce sujet. Sa lecture, sur ce point comme sur d'autres, me paraît indispensable.

Est-ce dans son Histoire de l'Europe du XIXe

Euterpe a écrit:
Puisque vous parlez de Rilke, lisez l'un de ses traducteurs les plus autorisés en la personne de Jaccottet

Je confirme ! Jaccottet a d'ailleurs écrit un livre sur Rilke dans la collection des écrivains de toujours, et c'est vraiment un travail admirable. Il a un grand souci de justesse dans ses propos, ce qui est rare je trouve chez les poètes qui parlent d'autres poètes.

Jaccottet est un poète que j'aime beaucoup. Il ne se perd pas dans l'ivresse des mots. J'avais étudié A la lumière d'hiver en Terminale, et j'en étais de suite tombé amoureux.

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Euterpe a écrit:
Le problème du romantique, c'est le déséquilibre entre son intellect et son affect. Il investit tout son affect dans son esprit. Cela décuple sa conscience, mais le seul exercice de la pensée ne peut plus alors lui fournir le moindre mobile à son action, d'où son irrésolution d'un côté, ou bien ses extrémités de l'autre (Hamlet, d'un côté ; Nerval de l'autre, qui se suicide, ou encore l'abbé de la Croix-Jugan, dans l'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly, dont le suicide - manqué - n'apporte rien à la situation où il est, et ne consiste qu'à jeter à la face du monde un absolu qu'il emporte avec lui ).

Vous avez bien résumé la chose. Peut-on penser que sortir du romantisme puisse passer par l'inversion du rapport entre intellect et affect, afin de mettre le premier au service du second (utiliser son esprit pour désentraver le corps et les passions ou ne pas subir les passions tristes) ?
Euterpe a écrit:
Pourtant, ce n'est déjà pas si mal de n'être rien, ça aide à faire plus sérieusement ce qu'on a à faire, ou à considérer avec un surcroît de sérieux ce qu'on a à faire.

Il me semble qu'à la longue cela permet, par l'effort intellectuel, de changer sa façon de sentir, de considérer que ce n'est pas si grave. Il devient quasiment naturel de se jouer du moi. Il faut de la rigueur et de l'ironie.
Euterpe a écrit:
On ne se débarrasse pas facilement de ses illusions. Mais, après tout, est-ce bien de cela qu'il s'agit ? Ou bien d'apprendre qu'on vit avec ses illusions, et même que nous sommes des illusions. Triste privilège, me direz-vous.

Ce qui implique d'accepter ses erreurs et de ne pas donner trop d'importance à l'image que les autres ont de nous.

Clément Rosset cite un vers de Shakespeare au début de Loin de moi et qui fait directement écho à ce que vous dites : "Nous sommes faits de l'étoffe des songes".
Desassossego a écrit:
Je vois pour Stendhal, dont la manière même d'écrire ses phrases offre une réponse à la question de Silentio.

Voulez-vous parler de la sécheresse et de la concision de ses phrases ? (Je n'ai lu que son De l'amour, il y a plusieurs années.)
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