C'est Kant qui, le premier, a justement remarqué que, depuis la révolution introduite par Copernic et Galilée, l'ontologie est l'affaire, non plus de la métaphysique, mais de la science expérimentale. Or, ce qu'il y a d'"expérimental" dans la science post-copernicienne réside dans la seule confirmation ou non de l'hypothèse par la mesure du phénomène observé. C'est donc l'armature mathématisée du protocole de confirmation qui, in fine, est censée garantir la crédibilité de l'ontologie fondée sur la science expérimentale. Raison pour laquelle "une pure théorie de la nature concernant des choses déterminées de la nature n’est possible qu’au moyen de la mathématique"(Kant, Premiers Principes Métaphysiques de la Science de la Nature, IV, 470). Sauf que l'idéaliste (transcendantal) qu'est Kant ne peut pas ignorer que, comme le soulignera pertinemment Quine, "nous portons notre attention sur les variables liées quand nous faisons de l’ontologie, non pour savoir ce qui est, mais pour savoir ce qu’une remarque ou une doctrine donnée, la nôtre ou celle de quelqu’un d’autre, dit qui est"(Quine, d’un Point de vue Logique, ii, 6). Bref, la révolution copernicienne qui confie, désormais, à la puissance quantifiante et mesurante des mathématiques, le soin de découper le donné naturel en êtres réels repose, ab initio, sur un parti pris métaphysique dont le coup de force est de faire adhérer sans réserve à l'illusion que "l’univers est écrit dans la langue mathématique"(Galilée, l’Essayeur) au motif que, contrairement à ce qui se passe dans la métaphysique traditionnelle, le concept désignant l'être réel est, non seulement bien construit a priori (ce qui est le sens de l'injonction platonicienne d'être "géomètre" avant d'être philosophe), mais correspond a posteriori à des quantités objectivement mesurables. En dépit de son indéniable efficacité due au fait qu'une théorie validée dans ces conditions devient, ipso facto, un algorithme de (re-)production technologique, un tel modèle scientifique expérimental mathématisé comme juge en dernier recours de ce qui est se trouve sérieusement mise en question, notamment par Popper : "la réfutabilité, au sens du critère de démarcation, ne signifie pas qu'une réfutation puisse être obtenue en pratique ou que, si on l'obtient, elle soit à l'abri de toute contestation. […] Il est toujours possible de trouver certains moyens d'échapper à la réfutation, par exemple en introduisant une hypothèse auxiliaire ad hoc […] ; on ne peut jamais réfuter une théorie de manière concluante"(Popper, le Réalisme et la Science). Et surtout par la mécanique quantique : "il est hors de doute que la question de l'individualisation, de l'identité [des atomes], n'a vraiment et réellement aucune signification [...]. Dans les corps tangibles, composés d'atomes, l'individualité provient de la structure, de l'assemblage, de la figure ou de la forme, ou encore de l'organisation comme nous pourrions dire dans d'autres cas. […] Il n’y a aucune observation possible de la forme d’un atome, ce ne sont que des formules mathématiques"(Schrödinger, Physique Quantique et Représentation du Monde). Un peu d'épistémologie à l'égard des enjeux et des limites de la modélisation mathématique dans les sciences modernes ne fait pas de mal !