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La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 44 EmptyLa théorie sur la conscience et la question de la mémoire.

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Je suis étonné que la question de la mémoire ne soit pas effleurée dans ce long fil de discussion. Selon Stanislas Dehaene dans Le Code de la Conscience « les traces de mémoire constituent l'essence même de la personne ». Ce qui est dit ici pourrait être résumé par un scientifique qui serait comme quelqu'un qui ne connaît pas ce qu'est un poste de radio et qui se mettrait à démonter chaque composant de l'appareil pour trouver celui qui parle – comme la part filtrée de la mémoire qui émergerait dans la forteresse de la conscience - si on considère que la conscience est un simple récepteur, alors qu'une façon plus positive serait de considérer qu'elle procède de la mémoire. Quand il s’agit de mémoire affective, la neuroscience affective pourrait être appelée neuroscience cognitive de l’émotion.

descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 44 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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N'oublions pas cependant les uns ou les autres que l'idée vraie de la conscience pour laquelle nous nous battons tous peut périr dans notre civilisation, que ceux qui veulent en faire une simple puissance de calcul adaptable aux machines ont les moyens de l'emporter et que ceux-là s'entendent comme larrons en foire


Je ne suis pas sûr que "l'idée vraie sur la conscience" (ou sur quoi que ce soit d'autre) intéresse grand monde en dehors du cercle (très) restreint des métaphysiciens auxquels nous appartenons, de facto, vous et moi, ainsi d'ailleurs que cet escroc de Dehaene, en tout cas, chaque fois que nous tenons les propos que nous énonçons sur ce fil de discussion. Et ce, pour la simple et bonne raison qu'une "idée vraie" suppose une certaine conception de la vérité, laquelle suppose à son tour une certaine conception de la vérification laquelle, in fine, n'est pas ... vérifiable mais dépend d'une assomption parfaitement arbitraire, autrement dit métaphysique.

Selon Stanislas Dehaene dans Le Code de la Conscience « les traces de mémoire constituent l'essence même de la personne ». Ce qui est dit ici pourrait être résumé par un scientifique qui serait comme quelqu'un qui ne connaît pas ce qu'est un poste de radio et qui se mettrait à démonter chaque composant de l'appareil pour trouver celui qui parle – comme la part filtrée de la mémoire qui émergerait dans la forteresse de la conscience


L'allégorie proposée est assez juste. Dans la même veine, Leibniz disait (à propos de la perception) qu'"en feignant qu’il y ait une machine dont la structure fasse penser, sentir, avoir perception, on pourra la concevoir agrandie en sorte qu’on puisse y entrer comme dans un moulin. Et cela posé, on ne trouvera en la visitant au-dedans que des pièces qui se poussent les unes les autres, et jamais de quoi expliquer une perception"(Leibniz, Monadologie, §17). Cela dit, rabattre (comme le faisait déjà l'empiriste Locke et comme le fait le computationaliste Dehaene) le problème de la nature de la conscience sur celui de la nature de la mémoire ne fait que déplacer le problème sans aucunement le résoudre. Comme on va le voir infra ...

descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 44 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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Le fonctionnalisme icônique connaît de nombreuses versions dans le détail duquel nous n'entrerons pas ici. Contentons-nous d'en énumérer les grandes orientations et d'en pointer les principales difficultés. Disons qu'on peut le subdiviser en trois grandes familles selon que l'image ou la représentation mentale qui a pour fonction d'informer le corps est analogique comme pour les empiristes classiques (l'esprit est conçu sur le modèle de la caméra ou de l'appareil photo et l'image mentale ressemble à la chose représentée, y compris en terme de rémanence des images passées réputées alors mémorisées), ou bien digitale comme chez les computationalistes modernes (le modèle de l'esprit est alors l'ordinateur et l'image mentale, y compris celle qui est "mémorisée", est codée et ne ressemble donc pas à la chose représentée), ou encore construite comme c'est le cas dans la conception phénoménologique (le modèle de l'esprit est l’intentionnalité qui sélectionne et choisit les composantes de l'image mentale, y compris de l'image rappelée et non perçue plutôt que de l'enregistrer passivement). Le principal problème de toutes ces variantes du fonctionnalisme icônique réside dans la notion d'"image mentale". Tout le monde comprend ce qu'est une image physique (photo, carte, schéma, dessin, peinture, film, vidéo, etc.) qui est vue par un œil physique qui, via des interactions physiques (l'influx nerveux), va physiquement (causalement) déterminer un être physique (le corps) à se mouvoir ou non. Mais qu'en est-il pour l'image mentale ? On se doute qu'il doit y avoir une analogie avec l'image physique. Mais où est l'analogie ? En quoi consistent l'"œil mental", les "interactions mentales", la "détermination mentale", si l'adjectif "mental" veut dire ici que la fonction n'est pas "physique" ? Et, au bout du compte, comment va se faire la transition de la fonction mentale vers l'être physique qu'est le corps et qui est le destinataire final de l'information ? Par ailleurs, une image physique a un statut public : elle peut être vue et comprise par plusieurs corps physiques différents. Tandis que mon "image mentale" est, par hypothèse, un événement privé accessible seulement à moi-même : comment expliquer alors que je puisse néanmoins en communiquer le contenu à des tiers ? Bref, la notion d'image mentale, apparemment claire et distincte est, en réalité, parfaitement obscure et confuse.

Une partie de la difficulté est résolue par la version esthésique du fonctionnalisme. Pour ses défenseurs, en effet, l'information que l'esprit destine au corps n'est pas une représentation du monde extérieur. Ainsi, lorsque Spinoza définit l'âme comme l'idée du corps ("mens idea corporis"), il s'empresse de préciser aussitôt que, par "idée" (terme qui, depuis Platon, désigne toute sorte de contenu, d'état et/ou d'activité de l'esprit), il ne faut pas entendre la "peinture inanimée" d'une chose, comme c'est le cas dans le fonctionnalisme icônique, mais "l'acte même de connaître", lequel est déterminé par la manière (le mode) dont l'être connaissant est affecté par des êtres extérieurs à lui-même. L'affect se trouve être une puissance de réagir à l'affection dont un être quelconque est l'objet. L'embêtant, avec Spinoza, c'est que sa tolérance ontologique va jusqu'à refuser d'établir la moindre différence de nature entre les êtres et, donc, en doteant tous les êtres de la faculté d'être affectés, ils sont aussi, ipso facto, supposés "informés" (cf. Information, Conatus et Entropie) par un esprit. Le point de vue de Thomas Nagel est moins ambitieux et, peut-être aussi, plus pertinent, en tout cas moins éloigné du sens commun. Cet auteur s'est rendu célèbre dans les années 1970 en rédigeant un article intitulé what is it like to be a Bat ? ("quel effet cela fait-il d'être une chauve-souris ?") dans lequel il souligne trois points majeurs. Premièrement, étant donné la spécificité perceptive du chiroptère (rappelons que la chauve-souris perçoit les aspects les plus pertinents de son environnement immédiat par la captation auditive de l'écho sonar des ultra-sons qu'il a préalablement émis pour détecter, soit un obstacle à éviter, soit un insecte en vol à happer), si l'information que son esprit transmettait à son corps était de nature icônique, le délai nécessaire pour le traitement de ladite information serait trop long pour lui permettre de se diriger ou de se nourrir. D'où, deuxièmement, il est plus rationnel de penser que cette information consiste, pour la chauve-souris, non en une image à lire, à rappeler ou à déchiffrer, mais en une expérience qualitative (ce que Nagel appelle un quale) qui la fait réagir en temps réel à la présence d'un obstacle ou de nourriture. Et ce qui vaut pour la chauve-souris (qui est un mammifère) doit aussi, très probablement valoir pour les autres mammifères et, a fortiori, pour les espèces moins évoluées. Cela dit, troisièmement, pour savoir "l'effet que ça fait d'être une chauve-souris" (c'est-à-dire d'être affecté comme elle par la présence d'objets extérieurs pertinents), il faudrait être une chauve-souris et, plus précisément cette chauve-souris singulière, voulant dire par là que l'affect par lequel l'esprit informe le corps est fondamentalement subjectif et, partant, incommunicable. À noter que le débat entre conception icônique et conception esthésique du fonctionnalisme de l'esprit est très élégamment arbitré par Marcel Proust qui, dans à la Recherche du Temps Perdu, définit l'image mentale comme un affect passé qui, au présent, a perdu de sa virulence, de sa puissance d'émotion (au sens étymologique de mise en mouvement) et, inversement, l'affect comme une image dont le contenu et les enjeux présents nous émeuvent et déterminent en nous une réaction immédiate. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'épisode de la petite madeleine qui commence par une émotion au présent (un affect), laquelle se diffracte très vite en un bouquet de souvenirs précis (des images) du passé du narrateur. Toujours est-il que, même avec Proust, on ne comprend toujours pas pourquoi cet affect et/ou ces images, qui sont ceux du narrateur de la Recherche, réussissent à captiver des tiers (les lecteurs) qui, par hypothèse, ne les ont pas eus.

Cette dernière difficulté est supprimée radicalement par le fonctionnalisme normatif. Karl Popper définit la vie comme la faculté de "résoudre des problèmes". Or, si tel doit être le cas, le corps vivant doit se voir communiquer deux sortes de règles : celles qui appartiennent aux données du problème (les difficultés, naturelles ou sociales, que le corps a à surmonter doivent être régulières) et celles qui ressortissent à la solution du problème (les difficultés doivent pouvoir être réglées). Voilà pourquoi il est de l'intérêt commun des membres d'un même biotope que soient mutualisées les règles qui vont déterminer tel corps à se mouvoir afin de résoudre une difficulté vitale. D'une manière générale, la communication des informations entre corps d'une même espèce, non seulement n'est pas un problème mais est au contraire la principale solution aux problèmes de l'adaptation des individus et de l'évolution des espèces. Or, il existe deux voies de communication des règles : la voie innée ou génétique (communication par procréation) et la voie acquise ou empirique (communication par expression). On aura, dès lors, tendance à réserver la notion d'esprit aux seules espèces qui autorisent cette deuxième forme de communication sur la base d'une fonction du corps qui permet, d'une part sa détermination à partir d'une connaissance des règles qu'il a acquises par sa propre expérience, d'autre part la communication in situ de ces mêmes règles à d'autres corps congénères au moment où se pose un problème qui engage leur survie (ce qui implique d'attribuer l'esprit aux abeilles de Karl von Frisch). Bourdieu parle, à ce propos, d'habitus, c'est-à-dire d'in-corporation (in corpore, "dans le corps") des règles vitales générant des dispositions régulières, des comportements réguliers et, en fin de compte, de la stabilité environnementale. Bien entendu, la plupart des philosophes qui ont défendu cette approche normative de la fonction de l'esprit se sont néanmoins penchés sur la spécificité humaine de cette fonction. À cet égard, tous ont souligné le rôle tout à fait spécial du langage. Kant ou Wittgenstein, par exemple, ont insisté sur la capacité que possède l'esprit humain et par l'intermédiaire du langage, à informer à la fois son propre corps et des corps tiers sur des événements qui, à la limite, peuvent n'avoir jamais été perçus ou ressentis, ni par l'émetteur, ni par le récepteur du message. C'est, évidemment, cette propriété que recèle le langage humain qui permet d'expliquer la faculté d'abstraction de l'esprit humain, notamment à travers l'extraordinaire ouverture cognitive et psychologique qu'implique l'évocation du passé ou de l'avenir, non seulement de soi-même et mais aussi d'autrui. Ce qui, au passage, permet de résoudre le problème de la madeleine de Proust : si les propos du narrateur nous touchent, c'est parce qu'ils sont capables d'évoquer, chez nous ses lecteurs, des images et/ou des affects personnels qui n'entretiennent pourtant avec ceux de l'auteur, qu'une très vague et très lâche analogie (c'est même, pour Proust, ce en quoi consiste précisément tout le talent de l'écrivain ou du poète : maîtriser les règles qui permettent de susciter, à travers le choix méticuleux des métaphores, de telles images ou de tels affects).

En faisant de l'esprit une fonction du corps, le point de vue fonctionnaliste possède donc sur le point de vue substantialiste (le dualisme et le monisme classiques précédemment évoqués) l'avantage considérable de rendre raison du dualisme corps-esprit : si ce dualisme est inéliminable, c'est parce que le corps, tout au moins lorsqu'il est vivant, a besoin d'une fonction cognitive qu'on appelle l'esprit afin de maximiser ses chances de survie. Pourtant, ce point de vue recèle une difficulté bien plus redoutable que toutes celles que nous avons déjà énumérées : si l'esprit est une fonction du corps, alors le corps est une structure physique qui, après tout, pourrait bien continuer d'exister même si cette fonction faisait défaut. Prenons un exemple : la fonction d'une montre est de donner l'heure. Mais la montre (comme structure physique) existe même si sa fonction est en panne. De même, un corps vivant est doté de nombreuses fonctions vitales. Or, on peut toujours pallier le dys-fonctionnement de l'une d'entre elles en la réparant, voire en greffant au corps vivant un tissu qui remplisse correctement ladite fonction. À la limite, la privation d'une fonction vitale est, certes, incompatible avec la vie du corps mais ce corps, même mort, continue néanmoins d'exister pendant un certain temps avant de se décomposer. Bref, dire que x est une fonction de y, c'est, dans tous les cas, dire que x est une option pour y. Or, si l'esprit est une option pour le corps nous voilà renvoyés, dans le meilleur des cas, à la contingence de ce dualisme que nous dénoncions en examinant le point de vue substantialiste : il y a d'un côté l'esprit, de l'autre le corps et leur rencontre demeure incompréhensible. Et, dans le pire des cas, nous devrons supposer, à l'instar des élucubrations créationnistes, l'intervention transcendante d'une puissance supérieure pour faire coexister l'âme et le corps, un peu à la manière dont un horloger fabrique la montre, puis met en branle le mécanisme (en remontant un ressort ou en installant une batterie) pour lui conférer sa fonction. Nous allons donc, pour finir, nous demander s'il ne serait pas possible de lier le sort du corps et de l'âme de telle sorte que leur union soit nécessaire et non contingente. Et, pour cela, nous allons nous tourner vers Aristote et Patañjali en envisageant le point de vue selon lequel, dans le cas du corps vivant, l'âme et le corps seraient deux réalités immanentes l'une à l'autre, c'est-à-dire mutuellement nécessaires à la compréhension de leurs natures respectives. Pour cette raison, nous nommerons immanentiste cette dernière approche.

(à suivre ...)

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PhiPhilo a écrit:
[...] nous allons nous tourner vers Aristote et Patañjali en envisageant le point de vue selon lequel, dans le cas du corps vivant, l'âme et le corps seraient deux réalités immanentes l'une à l'autre, c'est-à-dire mutuellement nécessaires à la compréhension de leurs natures respectives. Pour cette raison, nous nommerons immanentiste cette dernière approche.

Il me semble que vous faites référence ici à une forme d'immanence spinoziste qui chasse la transcendance sous forme d'un athéisme masqué. On peut penser également à la transcendance intériorisée sous forme d'un monisme athée prôné par Arthur Schopenhauer. 
Par ailleurs, en ce qui concerne les critiques du Code de la conscience, il faudrait avoir à l'esprit que la science implique une éthique de la connaissance et non une éthique de l’action qui doit s’appuyer sur une approche globale. En termes philosophiques, on pourrait dire que toute science (cybernétique incluse) porte sur certains aspects de la réalité, mais non pas sur l’être lui-même. C’est ainsi que pour Martin Heidegger « la science ne pense pas ». On ne peut cependant nier que la neurobiologie apporte une contribution indispensable dans des domaines spécialisés, comme par exemple, celui de la neurobiologie de la mémoire, alors qu'une notion-carrefour comme celle de mémoire peut faire l'objet de développements qui préfigurent des avancées ultérieures en neurobiologie et neuroinformatique de la conscience, car il faut bien admettre avec Spinoza que l'esprit et le corps sont une seule et même chose.

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Il me semble que vous faites référence ici à une forme d'immanence spinoziste qui chasse la transcendance sous forme d'un athéisme masqué.


Non. Il s'agit, beaucoup plus modestement, comme on va le voir, d'un immanentisme partiel et relatif (au rapport de l'âme et du corps) et non pas généralisé et absolu (ontologique) comme chez Spinoza.

la science implique une éthique de la connaissance et non une éthique de l’action


Pourquoi l'une serait-elle exclusive de l'autre ?
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