Euterpe a écrit:Hegel reproche à la physiognomonie de chercher la conscience de soi là où elle ne peut pas être, à savoir dans le sensible, dans le corporel, autrement dit, ses manifestations extérieures. Or, il n'y a pas de stricte équivalence nécessaire entre la conscience et ses manifestations :
« Il s'agit certes d'une expression, mais en même temps aussi uniquement en tant que signe, si bien que ce à quoi ressemble ce qui exprime le contenu exprimé est parfaitement indifférent à ce dernier. Certes, dans cette apparition phénoménale, l'intérieur est un Invisible visible, mais sans être rattaché à elle ; il peut tout aussi bien être dans un autre phénomène, qu'un autre intérieur peut être dans le même phénomène. Lichtenberg a donc raison de dire : quand bien même le physiognomoniste mettrait un jour la main sur l'homme, il suffirait à celui-ci d'une seule brave petite décision pour se rendre de nouveau incompréhensible pendant des millénaires. »
— Phénoménologie de l'esprit, Aubier, 1991, trad. Lefebvre, p. 228
Le corps n'est que le signe de l'âme : par conséquent, la manifestation est arbitraire. Il peut renvoyer à tout et à son contraire, ce qui rend impossible tout constitution d'une science s'efforçant de dégager des lois universelles. L'âme n'est pas réductible à ses manifestations corporelles : l'intérieur, c'est-à-dire la conscience de soi, n'est pas et ne sera jamais visible. C'est pourquoi :
un même état de la conscience peut avoir des manifestations diverses : l'intérieur peut tout aussi bien être dans un autre phénomène ;
deux états différents de la conscience peuvent avoir la même manifestation : un autre intérieur peut être dans le même phénomène.
En effet. La raison étant parvenue à un savoir de soi comme le vrai cherche dans l'extériorité (la nature) sa propre réalité. Elle devient alors raison observante (beobachtende Vernunft). Tout cette section est à conseiller à ceux qui sont un peu terrorisés par la difficulté de Hegel. Ça se lit assez bien.
Lichtenberg est cité un peu plus loin encore (p. 236, j'ai l'édition Felix Meiner de poche, bien pratique) :
Ce qui veut dire à peu près :Lichtenberg, der das physiognomische Beobachten so charakterisiert, sagt auch noch dies : wenn jemand sagte, "du handelst zwar wie ein ehrlicher Mann, ich sehe es aber aus deiner Figur, du zwingst dich, un bist ein Schelm im Herzen ; fûrhrwahr eine solche Anrede wird bis am Ende der Welt von jedem braven Kerl mit einer Ohrfeige erwidert werden
(Nb : je ne suis pas un pro de la traduction, Kerl tout seul désigne un salaud, mais avec un adjectif il change de sens : braver Kerl, brave mec. Peut-être "bougre" ? Ça connote ancien, Kerl, "un bon bougre" n'est pas pareil que "bougre" tout seul. Mais il y a une connotation sexuelle en ancien français (bougre : homo) qu'il n'y a peut-être pas en allemand).Lichtenberg, qui caractérise ainsi l'observation physiognonomique, dit aussi ceci : "si on te disait que tu agis vraiment en honnête homme, mais qu'on voit sur ton visage que tu te forces, qu'au fond de toi-même tu n'es qu'un scélérat, il est certain qu'à un tel propos, jusqu'à la fin du monde, le brave garçon répondrait par une gifle
Je saute quelques lignes où, comme vous l'avez dit, Hegel rappelle que la vérité, être vrai de l'homme, c'est ce qu'il fait, qu'il est le résultat de sa propre activité, que ceux qui se lancent dans de telles approches n'ont strictement rien compris à ce qu'est l'esprit, en tant que produit de soi, moyen entre soi et son être-autre, usw.
***usw = etc. en français. Merci de tout traduire Courtial, les germanophones sont de moins en moins nombreux. Euterpe.***.
Mais un peu plus loin (je donne la trad. directement, ça se trouve p. 237, en bas, dans mon vol. Felix Meiner) :
Hegel, PhG a écrit:Le démembrement (Zergliederung) de cet être en intentions et autres subtilités, par lesquels l'homme réel, ce qui signifie son activité (Tat)- même, (... ) doit cependant être laissé au compte de la suppostion sans consistance. Si des suppositions de ce genre prétendaient néanmoins en venir à nier le caractère de la raison agissante (ceci pour "seine tatenlose Weisheit ins Werk") dans l'agent, d'où il résulte qu'on considère son être d'après sa figure et non pas son opération, on devrait bien y répondre en montrant que le visage n'est pas l'en soi, mais qu'il peut en effet être l'objet d'un traitement (Gegenstand der Behandlung)
Gegenstand (objet) d'un traitement (Behandlung ; hand : main)
Humour hégélien : ceux qui croient qu'ils vont trouver l'esprit dans le visage, je leur dis que le visage peut être aussi l'objet de manipulations (behandeln). En plus direct : je vais leur mettre ma main dans la gueule, oui !
Sauf erreur de ma part, il refait le même coup, si j'ose dire, avec la phrénologie, quelques pages plus loin. Dans le genre : ah, oui, comme ça, les bosses du crâne, ça signifie ? Ah, mais attendez, je vais vous mettre un coup de marteau sur la tronche, histoire de vérifier.
On n'est pas obligé d'apprécier ce genre d'humour, naturellement.