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L'éternel retour et le romantisme.

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descriptionL'éternel retour et le romantisme. EmptyL'éternel retour et le romantisme.

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Parler de l'éternel retour sans le considérer dans son rapport à la poésie romantique en particulier (et à la poésie en général), c'est manquer d'une référence essentielle pour comprendre cette notion. Or le temps est l'affaire de la poésie, aussi bien sinon plus que de la philosophie.



Dernière édition par Euterpe le Ven 12 Aoû 2016 - 15:04, édité 10 fois (Raison : Message d'origine modifié pour les besoins de ce nouveau topic, tiré d'une digression qui se trouvait initialement dans un fil dédié au thème du temps.)

descriptionL'éternel retour et le romantisme. EmptyRe: L'éternel retour et le romantisme.

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Nietzsche ne cite jamais des Romantiques, ou alors uniquement pour les dézinguer, il les déteste. Il a pleuré avec Eichendorff, il a rêvé avec Hoffman, ou Nerval ? Non, il n'a rien lu de tout cela et il méprise tout cela. Hugo (dont il ne cite pas une ligne) n'a droit qu'à des injures. Quand il utilise le mot "romantique" c'est toujours assorti d'une épithète ou d'un contexte de dépréciation et de rejet. Et rien dans tout cela ne parle de l'Éternel retour. Sauf erreur de ma part, il n'en est question que dans Stefan George, qu'on peut considérer comme post-romantique, disons, mais qui n'a pu influencer Nietzsche (je n'ai pas ses dates en tête mais il est postérieur — début 20ème).

Dernière édition par Euterpe le Dim 7 Aoû 2016 - 16:44, édité 2 fois

descriptionL'éternel retour et le romantisme. EmptyRe: L'éternel retour et le romantisme.

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Courtial a écrit:
Nietzsche ne cite jamais des Romantiques, ou alors uniquement pour les dézinguer, il les déteste. Il a pleuré avec Eichendorff, il a rêvé avec Hoffman, ou Nerval ? Non, il n' a rien lu de tout cela et il méprise tout cela.

Au contraire, Nietzsche s'était imprégné très jeune de la littérature romantique qu'il a dévorée, et de la musique qui allait avec, surtout Chopin, son préféré d'entre les préférés. On peut dire de lui qu'il est, comme Eichendorff, un romantique attardé, ou un hyper romantique (ce qu'est le poème de Zarathoustra), un nostalgique de la grande période allemande qui s'achève.

descriptionL'éternel retour et le romantisme. EmptyRe: L'éternel retour et le romantisme.

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Courtial a écrit:
Nietzsche ne cite jamais des Romantiques, ou alors uniquement pour les dézinguer, il les déteste.
Courtial a écrit:
Non, il n'a rien lu de tout cela et il méprise tout cela.
Courtial a écrit:
rien dans tout cela ne parle de l'Éternel retour.

Citons plus amplement et surtout plus attentivement le § 10 du IVe livre du Zarathoustra :
Souffrance est aussi un plaisir, malédiction est aussi une bénédiction, la nuit est aussi un Soleil, — ou me quittez ou apprenez ceci : un sage est aussi un bouffon.

Fut-il un seul plaisir auquel jamais vous dites Oui ? De la sorte, ô mes amis, à toute peine aussi, vous disiez Oui ! Toutes choses sont enchaînées, enchevêtrées, éprises, —

jamais voulûtes-vous que fût deux fois une fois, jamais avez-vous dit : "Tu me plais, heur ! instant ! clignement d'œil !", ainsi vouliez que tout revînt !

— tout à nouveau, tout éternel, tout enchaîné, enchevêtré, épris, oh ! c'est ainsi que vous aimiez le monde, —

— ô vous les éternels, vous l'aimez éternel et pour toujours ; et à la peine aussi vous dites : Disparais, mais reviens ! Car tout plaisir veut — éternité !


Mais avant de comparer directement avec un texte qui constitue un des sommets du romantisme français, une petite précision : ce passage montre à l'évidence que la monstruosité dont vous parlez n'est pas même la moitié de l'Éternel retour, car elle n'en est la moitié qu'à la condition de lui associer le plaisir, et non seulement de l'associer, mais aussi de ne pas l'amputer malhonnêtement de ce qui le caractérise :
plaisir veut de toutes choses éternité

On trouve une myriade de poèmes, tous des chefs-d'œuvre, qui confirment ce que vous dit Liber à propos de Nietzsche hyper romantique. Nietzsche voulait parfaire, achever le romantisme, réaliser le vœu du romantisme, ce qui est, qui fut et qui reste le problème du romantisme : jamais voulûtes-vous que fût deux fois une fois ? Vous le trouvez chez Vigny, dans "La Maison du berger" :
Éva, j'aimerai tout dans les choses créées,
Je les contemplerai dans ton regard rêveur
Qui partout répandra ses flammes colorées,
Son repos gracieux, sa magique saveur :
Sur mon cœur déchiré viens poser ta main pure,
Ne me laisse jamais seul avec la Nature ;
Car je la connais trop pour n'en pas avoir peur.

Elle me dit : "Je suis l'impassible théâtre
Que ne peut remuer le pied de ses acteurs ;
Mes marches d'émeraude et mes parvis d'albâtre,
Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs.
Je n'entends ni vos cris ni vos soupirs ; à peine
Je sens passer sur moi la comédie humaine
Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.

"Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre,
A côté des fourmis les populations ;
Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre,
J'ignore en les portant les noms des nations.
On me dit une mère et je suis une tombe.
Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,
Mon printemps ne sent pas vos adorations.

"Avant vous j'étais belle et toujours parfumée,
J'abandonnais au vent mes cheveux tout entiers,
Je suivais dans les cieux ma route accoutumée,
Sur l'axe harmonieux des divins balanciers.
Après vous, traversant l'espace où tout s'élance,
J'irai seule et sereine, en un chaste silence
Je fendrai l'air du front et de mes seins altiers."

C'est là ce que me dit sa voix triste et superbe,
Et dans mon cœur alors je la hais, et je vois
Notre sang dans son onde et nos morts sous son herbe
Nourrissant de leurs sucs la racine des bois.
Et je dis à mes yeux qui lui trouvaient des charmes :
"Ailleurs tous vos regards, ailleurs toutes vos larmes,
Aimez ce que jamais on ne verra deux fois."

Oh ! qui verra deux fois ta grâce et ta tendresse
,
Ange doux et plaintif qui parle en soupirant ?
Qui naîtra comme toi portant une caresse
Dans chaque éclair tombé de ton regard mourant,
Dans les balancements de ta tête penchée,
Dans ta taille indolente et mollement couchée,
Et dans ton pur sourire amoureux, et souffrant ?

Vivez, froide Nature, et revivez sans cesse
Sous nos pieds, sur nos fronts, puisque c'est votre loi
Vivez, et dédaignez, si vous êtes déesse,
L'homme, humble passager, qui dut vous être un roi
Plus que tout votre - règne et que ses splendeurs vaines,
J'aime la majesté des souffrances humaines,
Vous ne recevrez pas un cri d'amour de moi
.

Vigny est un nihiliste décadent au sens nietzschéen. Il ne va pas assez loin, il ne transmue pas son pessimisme en grande santé : il se détourne de la nature ; et pourtant, il est si près ! quand il s'exhorte lui-même à aimer ce qui ne vit qu'une fois ! On pourrait citer Nerval, Leopardi, Keats, Hölderlin, Kleist, Gœthe, Bonnefoy...

Dernière édition par Euterpe le Ven 12 Aoû 2016 - 15:23, édité 2 fois

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Nietzsche ne cite jamais des Romantiques, ou alors uniquement pour les dézinguer, il les déteste.

Nietzsche évoque le romantisme à de nombreuses reprises, exemple :
Qu'est-ce que le romantisme? - On se souvient peut-être, du moins parmi mes amis, que j'ai commencé par me jeter sur le monde moderne, avec quelques erreurs et quelques exagérations, et, en tous les cas, rempli d'espérances. Je considérais, - qui sait à la suite de quelles expériences personnelles? - le pessimisme philosophique du XIX' siècle comme le symptôme d'une force supérieure de la pensée, d'une bravoure plus téméraire, d'une plénitude de vie plus victorieuse que celles qui avaient été le propre du XVIII siècle, l'époque de Hume, de Kant, de Condillac et des sensualistes. Je pris la connaissance tragique comme le véritable luxe de notre civilisation, comme sa manière de prodiguer la plus précieuse, la plus noble, la plus dangereuse, mais pourtant, en raison de son opulence, comme un luxe qui lui était permis. De même, j'interprétais la musique allemande comme l'expression d'une puissance dionysienne de l'âme allemande : en elle, je croyais surprendre le grondement souterrain d'une force primordiale, comprimée depuis longtemps et qui enfin se fait jour - indifférente en face de l'idée que tout ce qui s'appelle aujourd'hui culture pourrait être ébranlé. On voit que je méconnaissais alors, tant dans le pessi­misme philosophique que dans la musique allemande, ce qui lui donnait son véritable caractère - son romantisme. Qu'est-ce que c'est que le romantisme? Tout art, toute philosophie peuvent être considérés comme des remèdes et des secours au service de la vie en croissance et en lutte : ils supposent toujours des souffrances et des souffrants. Mais il y a deux sortes de souffrants, d'abord ceux qui souffrent de la surabondance de vie, qui veulent un art dionysien et aussi une vision tragique de la vie intérieure et extérieure - et ensuite ceux qui souffrent d'un appauvrissement de la vie, qui demandent à l'art et à la philosophie le calme, le silence, une mer lisse, ou bien encore l'ivresse, les convulsions, l'engourdissement, la folie. Au double besoin de ceux-ci répond tout roman­tisme en art et en philosophie, et aussi tant Schopenhauer que Wagner, pour nommer ces deux romantiques les plus célèbres et les plus expressifs, parmi ceux que j’interprétais mal alors - d'ailleurs en aucune façon à leur désavantage, on me l'accordera sans peine. L'être chez qui l'abondance de vie est la plus grande, Dionysos, l'homme dionysien, se plaît non seulement au spectacle du terrible et de l'inquiétant, mais il aime le fait terrible en lui-même, et tout le luxe de destruction, de désagrégation, de négation; la méchanceté, l'insanité, la laideur lui semblent permises en quelque sorte, par suite d'une surabondance qui est capable de faire, de chaque désert, un pays fertile. C'est au contraire l'homme le plus souffrant, le plus pauvre en force vitale, qui aurait le plus grand besoin de douceur, d'aménité, de bonté, en pensée aussi bien qu'en action, et, si possible, d'un Dieu qui serait tout particulièrement un Dieu de malades, un « Sauveur », il aurait aussi besoin de logique, d'intelligibilité abstraite de l'existence - car la logique tranquillise, donne de la confiance -, bref d'une certaine intimité étroite et chaude qui dissipe la crainte, et d'un emprisonnement dans des horizons optimistes. Ainsi j'ai appris peu à peu à comprendre Épicure, l'opposé d'un pessimiste dionysien, et aussi le « chrétien » qui, de fait, n'est qu'une façon d'épicurien et comme celui-ci essentiellement romantique, - et ainsi j'arrivais à une acuité toujours plus grande dans le maniement de l'induction, si difficile et si captieuse, où l'on commet le plus d'erreurs - celle qui de l'œuvre remonte au créateur, du fait à l'auteur, de l'idéal à celui pour qui il est une nécessité, de toute manière de penser et d'apprécier au besoin qui la commande. - l'égard de toutes les valeurs esthétiques je me sers maintenant de cette distinction capitale : je demande dans chaque cas particulier : « Est-ce la faim ou bien l'abon­dance qui est devenue créatrice?» A première vue une autre distinction semblerait se recommander davantage -elle saute beaucoup plus aux yeux -, je veux dire : savoir si c'est le désir de fixité, d'éternité, d'être qui est la cause créatrice, ou bien le désir de destruction, de changement, de nouveauté, d'avenir, de devenir. Les deux désirs cependant, à y regarder de plus près, paraissent encore ambigus, et on ne peut les interpréter que d'après le critérium indiqué plus haut, et préféré, à juste titre me semble-t-il. Le désir de destruction, de changement, de devenir peut être l'expression de la force surabondante, grosse de l'avenir (mon terme est pour cela, comme l'on sait, le mot « dionysien »), mais ce peut aussi être la haine de l'être manqué, nécessiteux, mal partagé qui détruit, qui est forcé de détruire, parce que l'état de chose existant, tout état de chose, tout être même, le révolte et l'irrite - pour comprendre cette passion il faut regarder de près nos anarchistes. La volonté d'éterniser a égale­ment besoin d'une interprétation double. Elle peut prove­nir d'une part de la reconnaissance et de l'amour : - un art qui a cette origine sera toujours un art d'apothéose, dithyrambique peut-être avec Rubens, divinement mo­queur avec Hafiz, clair et bienveillant avec Gœthe, répandant sur toutes choses un rayon homérique de lumière et de gloire (dans ce cas je parle d'art apollinien). Mais elle peut être aussi cette volonté tyrannique d'un être qui souffre cruellement, qui lutte et qui est torturé, d'un être qui voudrait donner à ce qui lui est le plus personnel, le plus particulier, le plus proche, donner à la véritable idiosyncrasie de sa souffrance, le cachet d'une loi et d'une contrainte obligatoires, et qui se venge en quelque sorte de toutes choses en leur imprimant en caractères de feu, son image, l'image de sa torture. Ce dernier cas est lepessimisme romantique dans sa forme la plus expressive, soit comme philosophie schopenhauerienne de la volonté, soit comme musique wagnérienne : -le pessimisme romantique est le dernier grand événement dans la destinée de notre civilisation. (Qu'il puisse y avoir un tout autre pessimisme, un pessimisme classique - ce pressentiment et cette vision m'appartiennent, ils sont inséparables d'avec moi, étant mon proprium et mon ipsissimum : cependant mon oreille répugne au mot « classique », il est devenu beaucoup trop usé, trop ar­rondi, trop méconnaissable. J'appelle ce pessimisme de l'avenir - car il est en route ! je le vois venir ! - le pessimisme dionysien).

Gai savoir, § 370

Même si plus tard Nietzsche s'affranchira de ses deux maîtres (Schopenhauer et Wagner), on ne peut pas négliger ce qu'il écrit là.

Nietzsche s'est aussi beaucoup intéressé à la littérature française romantique me semble-t-il ; il admirait Gœthe ; il regrette aussi, si mes souvenirs sont bons, le romantisme Allemand ; il adore la musique et lui accorde une grande importance dans la philosophie, il est admiratif devant les grands compositeurs, les grands opéras (comme Carmen par exemple) ; il aime l'art en général ; etc. C'est beaucoup pour l'Anti-romantique que vous semblez voir en lui...

Je n'avancerai aucune assertion sur un Nietzsche romantique, je n'aime pas m'avancer sur la philosophie Nietzschéenne, mais en tout cas, le romantisme est très présent dans son œuvre et on peut dire qu'il était très proche d'eux.
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