Si l'on en croit las Cases, on doit à l'empereur en exil le surnom d'incorruptible qui reste attaché à la personnalité de Maximilien Robespierre : "Robespierre était incorruptible et incapable de voter ou de causer la mort de quelqu'un par inimitié personnelle ou par désir de s'enrichir. C'était un enthousiaste, mais il croyait agir selon la justice, et il ne laissa pas un sou à sa mort. Il avait plus de pitié et de conception qu'on ne pensait, et après avoir renversé les factions effrénées qu'il avait eu à combattre, son intention était de revenir à l'ordre et à la modération. On lui imputa tous les crimes commis par Hébert, Collot d'Herbois et autres. C'étaient des hommes plus affreux et plus sanguinaires que lui, qui le firent périr ; ils ont tout rejeté sur lui"(Emmanuel de las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène). Enthousiasme, désintéressement, sens de la justice, de la pitié, de l'ordre et de la modération sont les aspects essentiels d'une personnalité tout entière tournée vers le combat contre des factions affreuses et sanguinaires qui, in fine, le terrassèrent. À l'opposé de cet hommage prestigieux, Isaïah Berlin rapporte un point de vue à la tonalité bien différente attribué à Heinrich Heine : "Maximilien Robespierre ne fut rien d'autre que la main de Jean-Jacques Rousseau, cette main ensanglantée qui a extrait de la matrice du temps le corps dont Rousseau avait créé l'âme"(Isaïah Berlin, deux Concepts de Liberté). Si l'on y prête crédit, Robespierre ne fut plutôt rien d'autre qu'un ange de la mort, un génie du mal, bref, non pas l'incorruptibilité, mais la terreur incarnée. Il importe peu que leurs auteurs présomptifs aient ou non tenu exactement ces propos rapportés. Le seul fait qu'ils soient plausibles suffit à poser le problème : Robespierre est représenté comme un héros typiquement romantique. Romantisme noble et sentimental dans un cas, romantisme noir et satanique dans l'autre, mais romantisme dans les deux cas. Or, si l'on peut admettre avec les frères Goncourt que l'histoire est une sorte de roman et qu'à ce titre, en tant que personnage historique, Robespierre est bien un personnage romanesque, en revanche on ne voit pas très bien pourquoi il faudrait le réduire à n'être qu'un personnage romantique. Nous allons essayer de montrer que le romantisme de Robespierre reste quand même très problématique, surtout si, comme nous tenterons de le faire, il s'avère que sa pensée philosophique, politique et religieuse n'est, en fin de comptes, pas très éloignée de celle de Spinoza.
Afin de nous faire une idée un peu plus précise des propriétés que la légende historique attribue à Maximilien Robespierre, nous pouvons nous plonger dans Quatrevingt-treize, le dernier roman du fondateur et premier théoricien du romantisme littéraire que fut Victor Hugo. Comme l'indique le titre, cette trouble année 1793, avec sa conjonction de Guerre de Vendée contre-révolutionnaire, de "patrie en danger" et de début de la Terreur montagnarde campe le cadre temporel de l'action. On sait qu'à la suite de la chute de la monarchie et de la proclamation de la République le 21 septembre 1792, l'Assemblée Constituante prend le nom de Convention Nationale et confie le pouvoir exécutif à un Comité de Salut Public dont Robespierre se trouve être l'une des figures marquantes. Or, l'une des prérogatives de ce comité exécutif était, à une époque où les communications étaient moins aisées qu'aujourd'hui, de pouvoir nommer les représentants en mission qui avaient pour tâche d'inspecter les départements, notamment ceux dans lesquels sévissait la contre-révolution. Et précisément, toute l'intrigue romanesque de Quatrevingt-treize se noue autour de la nomination par Robespierre d'un représentant en mission dans le département de Vendée. Victor Hugo crée donc un personnage fictif, nommé Cimourdain, censé être investi des pleins pouvoirs par Robespierre et à qui est censé incomber cette mission stratégique, d'un intérêt vital pour la Révolution, de mater la contre-révolution vendéenne : "- Je représente [dit Danton] la Montagne, Robespierre représente le Comité de salut public, Marat représente la Commune, Cimourdain représente l'Évêché. Il va nous départager. - Soit, dit Cimourdain, grave et simple. De quoi s'agit−il ? - De la Vendée, répondit Robespierre. - La Vendée ! dit Cimourdain. Et il reprit : - C'est la grande menace. Si la Révolution meurt, elle mourra par la Vendée. Une Vendée est plus redoutable que dix Allemagnes. Pour que la France vive, il faut tuer la Vendée. Ces quelques mots lui gagnèrent Robespierre. [...]. - Vous serez délégué du Comité de salut public, avec pleins pouvoirs. - J'accepte, dit Cimourdain. Robespierre était rapide dans ses choix"(Hugo, Quatrevingt-treize, II, ii, 3). Seulement, Cimourdain, n'est pas seulement l'émissaire de Robespierre, dans une très large mesure, il est Robespierre. Cimourdain n'est pas, certes, le Robespierre réel de l'histoire, c'est un Robespierre possible que l'auteur imagine pour en faire un personnage romanesque auquel il confère les traits principaux de la personnalité de Robespierre sans pour autant prendre le risque de sortir de son domaine littéraire pour empiéter sur celui de l'historien. Aussi lui donne-t-il un autre nom : Cimourdain. Mais ce stratagème ne trompe personne : Cimourdain est le doppelgänger de Robespierre. Nous prenons donc le parti qu'en étudiant le caractère de celui-là, nous serons en partie non seulement renseignés sur la personnalité de celui-ci, mais encore éclairés, par le maître du romantisme littéraire, sur les aspects romantiques de sa personnalité.
En adoptant ce parti, nous comprenons vite que, au vu des circonstances romanesques imaginées par Victor Hugo, celles, notamment qui concernent la lutte contre l'imminence du danger vendéen qui pèse sur la Révolution, Cimourdain va prendre les décisions qu'eût prises, vraisemblablement, le Robespierre historique si ces circonstances se fussent réellement trouvées. Et ce, jusque dans le dénouement final, doublement tragique, qui voit Cimourdain ne pas hésiter à faire guillotiner pour trahison Gauvain, son meilleur ami, son alter ego, puis, immédiatement après, ne pas hésiter à se suicider. D'où, premier trait de caractère proprement romantique, sur lequel il nous semble important d'insister : la fonction attribuée à l'intensité du combat farouche que se livrent les contradictions intérieures inhérentes au personnage. Nous apprenons vite, en effet, qu'il y a "deux hommes" en Cimourdain : "l'un de ces hommes était Gauvain, l'autre était Cimourdain. L'amitié était entre les deux hommes, mais la haine était entre les deux principes ; c'était comme une âme coupée en deux, et partagée ; Gauvain, en effet, avait reçu une moitié de l'âme de Cimourdain, mais la moitié douce. Il semblait que Gauvain avait eu le rayon blanc, et que Cimourdain avait gardé pour lui ce qu'on pourrait appeler le rayon noir. De là un désaccord intime. Cette sourde guerre ne pouvait pas ne point éclater"(Hugo, Quatrevingt-treize, III, ii, 7). Le héros romantique n'est jamais calme et serein. Il est nécessairement tourmenté par des débats tumultueux, traversé par des contradictions insolubles. C'est, dira-t-on, le propre du héros romanesque d'être, tel l'Hercule mythologique, confronté à des tâches insurmontables pour le commun des mortels. Sauf que, contrairement à ce qui se passe chez le héros classique (par exemple l'Œdipe de Sophocle ou le Polyeucte de Corneille) chez qui le dilemme réclame un remède salvateur (la punition, éventuellement la mort) qui supprime la contradiction et rétablit la paix pour l'éternité, chez le héros romantique, la contradiction n'est jamais critique mais normale : elle n'est pas l'exception mais la règle de fonctionnement de l'être passionné. La contradiction des passions est vécue comme le destin et non pas comme l'acmé de celui-ci, comme le moteur même de l'action, comme le principe explicatif de la puissance d'agir du héros. Aussi n'exige-t-elle nullement sa suppression mais plutôt son dépassement au sens de l'Aufhebung hégélienne, d'une solution qui conserve l'essentiel du problème à résoudre sans le faire disparaître. Le dépassement de soi, qui est une notion chère au lexique romantique, n'est jamais que le dépassement, au sens hégélien du terme, des contradictions passionnelles dont le sujet romantique est le théâtre, et ce dépassement est moteur. Chez le héros romantique, il n'y a pas de happy end possible qui résulterait de la disparition de la contradiction : il n'y a pas de "clémence d'Auguste" qui réconcilierait l'Émilie qui hait Auguste comme assassin de son père et l'Émilie qui aime Auguste comme son père adoptif. La contradiction passionnelle n'est pas accidentelle, elle est nécessaire. De ce point de vue, Cimourdain est un héros typiquement romantique : de même qu'Hernani est partagé entre sa haine pour Don Carlos et son amour pour Doña Sol, de même que Ruy Blas est partagé entre sa condition de valet et sa fausse identité de grand d'Espagne, de même que Claude Frollo est partagé entre ses vœux de chasteté et son désir charnel de posséder Esméralda, de même Cimourdain est partagé à l'intérieur de lui-même entre, nous dit Hugo, son "rayon blanc" et son "rayon noir". Comment ne pas voir, dans les deux "rayons" dont parle Victor Hugo à propos de Cimourdain, dans ces deux rayons de la même lumière, une métaphore de cette dialectique de la terreur et de la vertu historiquement attachée au nom de Robespierre : "si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu sans laquelle la terreur est funeste, la terreur sans laquelle la vertu est impuissante"(Robespierre, Discours devant la Convention, 5 fév. 1794, in Bosc, Gauthier et Wahnich, pour le Bonheur et pour la Liberté) ? Robespierre est clair : la terreur n'est pas une exception au principe de vertu, elle n'est pas un moment critique de son application, elle en est le double nécessaire puisque, sans elle la vertu n'est qu'une sorte d'impuissance. Aussi, Cimourdain n'a-t-il de cesse de lutter contre la tendance humaine, trop humaine, à la clémence comme tendance à la conciliation, au consensus : "dans toute cette partie de la Vendée, la république avait le dessus, ceci était hors de doute ; mais quelle république ? Dans le triomphe qui s'ébauchait, deux formes de la république étaient en présence, la république de la terreur et la république de la clémence, l'une voulant vaincre par la rigueur et l'autre par la douceur [...]. La clémence était le côté faible de Gauvain. Cimourdain, on le sait, le surveillait et l'arrêtait sur cette pente, à ses yeux funeste"(Hugo, Quatrevingt-treize, III, ii, 7). Cimourdain, et, donc, Robespierre sont tout entiers dans cette lutte entre passions contradictoires. C'est donc sans doute avec la plus grande sincérité que Robespierre peut à la fois défendre le principe de l'abolition de la peine de mort, voter la mort du roi en janvier 1793 puis assumer les sanglants excès de la Terreur : "je suis inflexible pour les oppresseurs, parce que je suis compatissant pour les opprimés ; je ne connais point l'humanité qui égorge les peuples, et qui pardonne aux despotes. Le sentiment qui m'a porté à demander mais en vain, à l'Assemblée Constituante l'abolition de la peine de mort, est le même qui me force aujourd'hui à demander qu'elle soit appliquée au tyran de ma patrie, et à la royauté elle-même dans sa personne"(Robespierre, Discours devant la Convention, 16 janv. 1793, in Marc Bouloiseau, Œuvres de Maximilien Robespierre). Comme le souligne Victor Hugo, non sans un certain humour noir, une telle contradiction logique n'est pas, tout au contraire, incompatible avec l'exécution politique : "Robespierre était un homme d'exécution ; et quelquefois, dans les crises finales des sociétés vieillies, exécution signifie extermination" Hugo,Quatrevingt-treize, II, iii, 1).
(à suivre ...).
Afin de nous faire une idée un peu plus précise des propriétés que la légende historique attribue à Maximilien Robespierre, nous pouvons nous plonger dans Quatrevingt-treize, le dernier roman du fondateur et premier théoricien du romantisme littéraire que fut Victor Hugo. Comme l'indique le titre, cette trouble année 1793, avec sa conjonction de Guerre de Vendée contre-révolutionnaire, de "patrie en danger" et de début de la Terreur montagnarde campe le cadre temporel de l'action. On sait qu'à la suite de la chute de la monarchie et de la proclamation de la République le 21 septembre 1792, l'Assemblée Constituante prend le nom de Convention Nationale et confie le pouvoir exécutif à un Comité de Salut Public dont Robespierre se trouve être l'une des figures marquantes. Or, l'une des prérogatives de ce comité exécutif était, à une époque où les communications étaient moins aisées qu'aujourd'hui, de pouvoir nommer les représentants en mission qui avaient pour tâche d'inspecter les départements, notamment ceux dans lesquels sévissait la contre-révolution. Et précisément, toute l'intrigue romanesque de Quatrevingt-treize se noue autour de la nomination par Robespierre d'un représentant en mission dans le département de Vendée. Victor Hugo crée donc un personnage fictif, nommé Cimourdain, censé être investi des pleins pouvoirs par Robespierre et à qui est censé incomber cette mission stratégique, d'un intérêt vital pour la Révolution, de mater la contre-révolution vendéenne : "- Je représente [dit Danton] la Montagne, Robespierre représente le Comité de salut public, Marat représente la Commune, Cimourdain représente l'Évêché. Il va nous départager. - Soit, dit Cimourdain, grave et simple. De quoi s'agit−il ? - De la Vendée, répondit Robespierre. - La Vendée ! dit Cimourdain. Et il reprit : - C'est la grande menace. Si la Révolution meurt, elle mourra par la Vendée. Une Vendée est plus redoutable que dix Allemagnes. Pour que la France vive, il faut tuer la Vendée. Ces quelques mots lui gagnèrent Robespierre. [...]. - Vous serez délégué du Comité de salut public, avec pleins pouvoirs. - J'accepte, dit Cimourdain. Robespierre était rapide dans ses choix"(Hugo, Quatrevingt-treize, II, ii, 3). Seulement, Cimourdain, n'est pas seulement l'émissaire de Robespierre, dans une très large mesure, il est Robespierre. Cimourdain n'est pas, certes, le Robespierre réel de l'histoire, c'est un Robespierre possible que l'auteur imagine pour en faire un personnage romanesque auquel il confère les traits principaux de la personnalité de Robespierre sans pour autant prendre le risque de sortir de son domaine littéraire pour empiéter sur celui de l'historien. Aussi lui donne-t-il un autre nom : Cimourdain. Mais ce stratagème ne trompe personne : Cimourdain est le doppelgänger de Robespierre. Nous prenons donc le parti qu'en étudiant le caractère de celui-là, nous serons en partie non seulement renseignés sur la personnalité de celui-ci, mais encore éclairés, par le maître du romantisme littéraire, sur les aspects romantiques de sa personnalité.
En adoptant ce parti, nous comprenons vite que, au vu des circonstances romanesques imaginées par Victor Hugo, celles, notamment qui concernent la lutte contre l'imminence du danger vendéen qui pèse sur la Révolution, Cimourdain va prendre les décisions qu'eût prises, vraisemblablement, le Robespierre historique si ces circonstances se fussent réellement trouvées. Et ce, jusque dans le dénouement final, doublement tragique, qui voit Cimourdain ne pas hésiter à faire guillotiner pour trahison Gauvain, son meilleur ami, son alter ego, puis, immédiatement après, ne pas hésiter à se suicider. D'où, premier trait de caractère proprement romantique, sur lequel il nous semble important d'insister : la fonction attribuée à l'intensité du combat farouche que se livrent les contradictions intérieures inhérentes au personnage. Nous apprenons vite, en effet, qu'il y a "deux hommes" en Cimourdain : "l'un de ces hommes était Gauvain, l'autre était Cimourdain. L'amitié était entre les deux hommes, mais la haine était entre les deux principes ; c'était comme une âme coupée en deux, et partagée ; Gauvain, en effet, avait reçu une moitié de l'âme de Cimourdain, mais la moitié douce. Il semblait que Gauvain avait eu le rayon blanc, et que Cimourdain avait gardé pour lui ce qu'on pourrait appeler le rayon noir. De là un désaccord intime. Cette sourde guerre ne pouvait pas ne point éclater"(Hugo, Quatrevingt-treize, III, ii, 7). Le héros romantique n'est jamais calme et serein. Il est nécessairement tourmenté par des débats tumultueux, traversé par des contradictions insolubles. C'est, dira-t-on, le propre du héros romanesque d'être, tel l'Hercule mythologique, confronté à des tâches insurmontables pour le commun des mortels. Sauf que, contrairement à ce qui se passe chez le héros classique (par exemple l'Œdipe de Sophocle ou le Polyeucte de Corneille) chez qui le dilemme réclame un remède salvateur (la punition, éventuellement la mort) qui supprime la contradiction et rétablit la paix pour l'éternité, chez le héros romantique, la contradiction n'est jamais critique mais normale : elle n'est pas l'exception mais la règle de fonctionnement de l'être passionné. La contradiction des passions est vécue comme le destin et non pas comme l'acmé de celui-ci, comme le moteur même de l'action, comme le principe explicatif de la puissance d'agir du héros. Aussi n'exige-t-elle nullement sa suppression mais plutôt son dépassement au sens de l'Aufhebung hégélienne, d'une solution qui conserve l'essentiel du problème à résoudre sans le faire disparaître. Le dépassement de soi, qui est une notion chère au lexique romantique, n'est jamais que le dépassement, au sens hégélien du terme, des contradictions passionnelles dont le sujet romantique est le théâtre, et ce dépassement est moteur. Chez le héros romantique, il n'y a pas de happy end possible qui résulterait de la disparition de la contradiction : il n'y a pas de "clémence d'Auguste" qui réconcilierait l'Émilie qui hait Auguste comme assassin de son père et l'Émilie qui aime Auguste comme son père adoptif. La contradiction passionnelle n'est pas accidentelle, elle est nécessaire. De ce point de vue, Cimourdain est un héros typiquement romantique : de même qu'Hernani est partagé entre sa haine pour Don Carlos et son amour pour Doña Sol, de même que Ruy Blas est partagé entre sa condition de valet et sa fausse identité de grand d'Espagne, de même que Claude Frollo est partagé entre ses vœux de chasteté et son désir charnel de posséder Esméralda, de même Cimourdain est partagé à l'intérieur de lui-même entre, nous dit Hugo, son "rayon blanc" et son "rayon noir". Comment ne pas voir, dans les deux "rayons" dont parle Victor Hugo à propos de Cimourdain, dans ces deux rayons de la même lumière, une métaphore de cette dialectique de la terreur et de la vertu historiquement attachée au nom de Robespierre : "si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu sans laquelle la terreur est funeste, la terreur sans laquelle la vertu est impuissante"(Robespierre, Discours devant la Convention, 5 fév. 1794, in Bosc, Gauthier et Wahnich, pour le Bonheur et pour la Liberté) ? Robespierre est clair : la terreur n'est pas une exception au principe de vertu, elle n'est pas un moment critique de son application, elle en est le double nécessaire puisque, sans elle la vertu n'est qu'une sorte d'impuissance. Aussi, Cimourdain n'a-t-il de cesse de lutter contre la tendance humaine, trop humaine, à la clémence comme tendance à la conciliation, au consensus : "dans toute cette partie de la Vendée, la république avait le dessus, ceci était hors de doute ; mais quelle république ? Dans le triomphe qui s'ébauchait, deux formes de la république étaient en présence, la république de la terreur et la république de la clémence, l'une voulant vaincre par la rigueur et l'autre par la douceur [...]. La clémence était le côté faible de Gauvain. Cimourdain, on le sait, le surveillait et l'arrêtait sur cette pente, à ses yeux funeste"(Hugo, Quatrevingt-treize, III, ii, 7). Cimourdain, et, donc, Robespierre sont tout entiers dans cette lutte entre passions contradictoires. C'est donc sans doute avec la plus grande sincérité que Robespierre peut à la fois défendre le principe de l'abolition de la peine de mort, voter la mort du roi en janvier 1793 puis assumer les sanglants excès de la Terreur : "je suis inflexible pour les oppresseurs, parce que je suis compatissant pour les opprimés ; je ne connais point l'humanité qui égorge les peuples, et qui pardonne aux despotes. Le sentiment qui m'a porté à demander mais en vain, à l'Assemblée Constituante l'abolition de la peine de mort, est le même qui me force aujourd'hui à demander qu'elle soit appliquée au tyran de ma patrie, et à la royauté elle-même dans sa personne"(Robespierre, Discours devant la Convention, 16 janv. 1793, in Marc Bouloiseau, Œuvres de Maximilien Robespierre). Comme le souligne Victor Hugo, non sans un certain humour noir, une telle contradiction logique n'est pas, tout au contraire, incompatible avec l'exécution politique : "Robespierre était un homme d'exécution ; et quelquefois, dans les crises finales des sociétés vieillies, exécution signifie extermination" Hugo,Quatrevingt-treize, II, iii, 1).
(à suivre ...).