Diekenes a écrit: Le rapprochement de Piaget avec Kant semble ici un peu brutal. Peut-être Piaget l’utilise-t-il d’une façon ou d’une autre, mais votre exposé est probablement trop succinct pour que l’on puisse comprendre ce point.
Je recherche deux types d'aide à ma lecture de la
Critique de la raison pure : le forum et mes anciennes lectures.
Je ne peux m'empêcher de faire des rapprochements : certains peuvent être abusifs, pécher par excès d'assimilation, dans ce cas j'espère bien me l'entendre dire... Mais en l'occurrence le rapprochement me paraît fondé.
I. EXPLICATION (de mémoire).
1) Piaget décrit les expériences qui lui permettent de suivre le développement de l'intelligence chez l'enfant. Il distingue quatre stades, stades dits « sensori-moteur, préopératoire, stade des opérations concrètes, et enfin des opérations formelles ». Il décrit et interprète les étapes intermédiaires, les expériences, les tâtonnements et il rapporte les dires des enfants. Nous fixons notre attention sur les opérations.
2) Les « opérations » décrites sont repérables par :
a) un changement brusque dans les réponses et l'attitude de l'enfant devant la situation proposée.
b) la fin des hésitations, des contradictions, mais un sentiment de nécessité, de certitude, d'évidence de la vérité de sa réponse ; sentiment que l'enfant exprime.
c) le fait que, alors que quelques mois auparavant, il affirmait encore le contraire, il se comporte à présent comme s'il avait toujours su ce qu'il en était . (condescendance envers la question).
d) la mise en jeu dans ses réponses des idées de conservation, de réversibilité du raisonnement, d'universalité de la solution.
Autant de comportements qui font penser que l'enfant vient d'acquérir ce que Kant nomme des
connaissances pures a priori, à ceci près que ces connaissances, au terme d'une genèse faite d'hésitations, de tâtonnements, d'expériences ne semblent pas véritablement être
a priori. Mais, comme le rappelle NaOh : « Kant stipule que si toute connaissance
commence par l'expérience elle ne provient pas toute de l'expérience. » Ou comme dit Vangélis à Chrome : « Ils sont donc
a priori, c'est-à-dire avant le donné sensible, mais cette antériorité est à prendre au sens logique et non pas dans un sens chronologique. » Je vois que je ne suis pas seul à souffrir sur ce point !
II. PREMIER EXEMPLE : Le nombre.
Dans
La genèse du nombre chez l'enfant, le nombre (cardinal) n'a d'abord aucune permanence, il dépend de la disposition des éléments de l'ensemble à dénombrer. Quant à l'aspect ordinal, lui, il est figé par la disposition spatiale, surtout lorsque les éléments sont alignés. La comparaison de deux collections montre que le nombre ne se conserve pas dans les modifications de l'organisation spatiale de l'ensemble.
- Aux environs de six ans se fait une évolution nette. L'enfant affirme la permanence du nombre comme une évidence, connue de lui depuis toujours, alors que six mois avant le nombre dépendait pour lui de la disposition spatiale des éléments. « Il suffit de remettre les jetons à la même place ! » La réversibilité est en jeu.
- « Puisqu'on n'en a ni ajouté, ni enlevé ! » Il y a là l'expression d'une nécessité. La conservation du cardinal devient une vérité qui ne réclame aucune vérification : une vérité première (« apodictique » ?). Il considère d'autre part, du point de vue ordinal, que n'importe quel élément du groupe à dénombrer peut jouer le rôle de premier, de dernier, ou tenir n'importe quelle place. Piaget parle de vicariance. Cette vicariance devient à son tour une certitude « de toujours », une évidence qu'elle n'était pas encore peu avant. (Elle évoque aussi l'attitude de Kant regardant la maison, promenant librement sont regard d'un point à un autre et voyant dans cette possibilité l'origine de la simultanéité. En fait je pense que :
- 1° Kant groupe les déplacements de son regard, et sa connaissance est ici moins d'origine sensorielle que sensori-motrice. (Voir le deuxième exemple.)
- 2° Kant n'a pas besoin de regarder la maison de cette façon (il sait simplement qu'il le peut).
Une nécessité, une évidence généralisée, indépendante du nombre (et même des grands nombres) et de la configuration donne le sentiment d'assister à la naissance d'une catégorie de l'entendement.
III. DEUXIEME EXEMPLE : L'espace.
- Lorsqu'on demande à des enfants de dessiner le chemin de la maison à l'école on obtient en général un segment vaguement courbe sur lequel les moins de 6-7 ans indiquent les divers éléments rencontrés dans son déplacement. La représentation est davantage temporelle (intime) que spatiale. Les éléments du quartier sont disposés autour de leurs déplacements. Dans la période des opérations concrètes, ils envisagent la possibilité de chemins multiples, d'allers-retours, de détours et contours, de raccourcis, c'est-à-dire de compositions de déplacements ; mais surtout, leur quartier ne se construit plus sur leur trajet, au contraire : leur trajet vient se placer dans leur quartier.
- Piaget introduit ici (si je me souviens bien) la notion de groupement. Notion proche de celle de groupe mathématique.
- Ce groupement des déplacements, l'enfant l'avait déjà réalisé « en acte » très tôt, dans la période dite sensori-motrice, à propos de la recherche d'objets cachés. Ici la question est reprise et résolue sous la forme d'image, en représentation.
- L'espace représenté n'est plus l'espace de chacun mais l'espace de tous. L'espace devient unique. Les emplacements (dont l'ensemble constitue l'espace), sont bien mis en relation les uns avec les autres dans le réseau dense de tous les déplacements possibles. L'objet dans l'espace prend une consistance qui lui assure une certaine autonomie. C'est peut-être là qu'est à chercher la réponse à la question de la séparation possible du sujet et de l'objet. Il ne colle plus au sujet, il a acquis sa cohérence interne et s'est détaché.
Ces recherches, menées sur le nombre, l'espace, le sont aussi sur les quantités continues, le temps, la logique, la causalité, le possible, le hasard et le probable, les conservations, les permanences, etc. Voilà pourquoi je pense à un rapprochement possible entre Kant et Piaget. Et je formule l'hypothèse que le travail de Piaget consiste, en suivant Kant, en une recherche systématique de la genèse des connaissances
a priori de l'entendement, connaissances qui viendront, dit-on, informer nos intuitions.
Il reste que la pensée de l'enfant des périodes préopératoires n'entre pas dans le système de Kant car si j'ai bien compris il n'y a pas d'objet avant ces connaissances
a priori.
Enfin je pense qu'il faut vraiment « se tordre l'esprit » pour qu'à propos de l'antériorité nous devions admettre une différence entre « ordre du temps et cours du temps », entre « une antériorité prise au sens logique et une antériorité prise au sens chronologique », et admettre qu'une connaissance qui doit sa genèse à l'expérience puisse être dite a priori.
Bien cordialement.
PS : Le concept de motricité me paraît manquer dans
La critique de la raison pure (pour ce que j'en ai lu). Il y a, dans l'expression « l'objet donné » une note de passivité. Moins parce qu'il manquerait l'aspect kinesthésique (la sensibilité au mouvement propre est probablement déjà comptée dans l'appréhension des sensations en général) mais parce que la motricité indique l'action du sujet, donc son intention, son projet. Si le réel se situe au niveau des sensations, et si le réel « c'est quand on se heurte ». Le concept de sensori-motricité me paraît nécessaire : il faut se bouger pour se heurter.