Admettons une entité qui soit absolument infinie. J'entends par infini une chose indivisible, sans borne, qu'on ne peut ni limiter, ni mesurer. Si cette entité est réellement infinie, alors il en découle nécessairement qu'elle est absolument toute chose. J'entends par chose, tout ce qui est dans l'univers connu et inconnu, c'est-à-dire chaque particule physique existante, aussi grande ou infime soit-elle.
Maintenant, faisons une expérience de pensée, admettons que cette même entité ait une conscience. Prenons l'exemple d'une pluie intense qui s'écoule abondamment. Pour nous, être humains, qui avons une connaissance très limitée à cause de notre finitude, nous aurions tendance à penser que chaque goutte tombe aléatoirement, jusqu'à parler d'un hasard capricieux qui ne suivrait aucune règle. Il en va de même pour la plupart des choses — d'autant plus lorsqu'elles deviennent complexes — ; notre ignorance des causes nous amène souvent à penser qu'il n'y en a pas.
Puis prenons le point de vue de cette entité qui a accès à chaque particule composant cette pluie. Si on admet en premier lieu le principe de causalité, c'est-à-dire que toute chose est déterminée et est l'effet d'une cause qui précède, autrement dit, « étant donnée une cause déterminée, il en suit nécessairement un effet, et au contraire, s'il n'y a aucune cause déterminée, il est impossible qu'un effet s'ensuive » (cf. Axiome 3 dans l’Éthique I de Spinoza). Il découle nécessairement de cette prémisse que l'entité pourra connaître avec une précision sans faille la trajectoire exacte de toutes les gouttes de pluies, étant donné qu'elle connaît absolument toute les causes qui précèdent.
Lorsqu'on parle d'indéterminisme, de hasard, de contingence, c'est uniquement le fruit de notre ignorance des causes. Si nous avions une connaissance sans borne, nous ne pourrions pas penser un seul instant qu'une chose est indéterminée. Toutefois, même si certains peuvent s'accorder à dire que cela est vrai, il leur est tout de même impensable d'appliquer ce déterminisme absolu des choses aux êtres humains. Comme si ces derniers n'étaient pas une chose comme les autres, comme s'ils pouvaient s'extraire des lois qui régissent l'univers, bref comme s'ils étaient « un empire dans un empire ». Pourtant, c'est exactement la même situation qui se pose. C'est pourquoi nous allons procéder de la même manière avec l'homme que pour la pluie dans un deuxième temps.
Faisons une seconde expérience de pensée relativement simple, qui consiste à choisir entre deux options : continuer de lire ce texte ou s'arrêter immédiatement de le lire. Mettons-nous à la place d'un lecteur anonyme et supposons ses potentielles réactions, ses mécanismes face à ce choix. Peut-être pourrions-nous voir des arguments intervenir pour faire pencher cette "balance du choix" dans un sens (continuer) — désir de connaissance, etc. — , ou dans un autre (arrêter) — j'ai mal fait mon travail, le sujet ne l'intéresse pas assez, ou bien à d'autres raisons post hoc. Cependant, quelle que soit l'option choisie (arrêter ou continuer), il existe des causes à ce choix (cf. Axiome 3 de Spinoza). Dès lors, ce choix en est-il véritablement un ou bien était-il déjà déterminé à l'avance ? Y avait-il réellement de la contingence ?
Si on se positionne pour l’existence du choix, alors on a tendance à doter l'homme d'un "super pouvoir", celui du libre arbitre, c'est-à-dire la capacité à s'autodéterminer. Ce qui l'extrait du déterminisme et des lois de causalité. En effet, si l'homme est capable de s'autodéterminer, cela signifie que sa volonté n'est jamais déterminée par une autre cause que soi, on dit qu'il est cause adéquate. En ce sens, le lecteur anonyme a fait usage de son "super pouvoir" et a choisi librement de continuer ou d'arrêter. Mais ce libre arbitre existe-t-il réellement, ou bien n'est-il pas la conséquence de notre ignorance ? Le simple fait de poser ces questions peut faire vaciller les fondements auxquels on croit fermement, sans pour autant se résoudre à y renoncer. Après tout, un homme est un être fini, on ne pourra donc jamais savoir (à moins de connaître toutes les causes extérieures qui pèsent sur lui) si le déterminisme s'applique aux êtres humains.
Cependant, entre le déterminisme total, qui affirme par exemple qu'un simple caillou et un homme sont tous les deux absolument déterminés ; ou bien le libre arbitre, qui dit que notre volonté fait de nous plus que de simples objets, il est compréhensible que nous soyons plus enclins à croire en ce super pouvoir qui flatte notre orgueil, qui permet de blâmer, de féliciter, d'attribuer des honneurs, des mérites, etc. Notre système (judiciaire notamment) dépend entièrement de ce pouvoir qui implique de grandes responsabilités morales.
Revenons à notre expérience de pensée, si on observe encore notre lecteur anonyme face à son choix, à cause de notre finitude on ne peut pas avoir accès à toutes les informations qui le déterminent. On peut donc avoir tendance à conclure hâtivement que si une option prévaut sur une autre, elle résulte d'une réflexion libre, sans contrainte. C’est justement cela que je vais tenter de contredire.
Mettons-nous à la place de cette entité omnisciente désormais. Si on admet le principe de causalité, alors le résultat est déjà déterminé par les conditions initiales. Compte tenu de ces conditions initiales, tout autre résultat est réellement impossible, même si cela nous paraît encore possible au vu de l’état de nos connaissances. De notre point de vue, on ne sait pas encore si ce lecteur anonyme va prendre l’option A plutôt que la B, mais l’incertitude n’implique pas l’indéterminisme. Autrement dit, ce qui pourrait se produire étant donné ce que je sais de l’état actuel des choses est strictement différent de ce qui peut se produire étant donné les lois qui régissent l’univers. Cependant l’entité, omnisciente, connaît tous ces déterminismes qui pèsent sur l’individu. Il serait donc absurde de parler d’un choix si la décision est déterminée à l’avance. Il ne pouvait pas faire autrement : quoi qu’il fasse, c’était nécessaire (tout comme la goutte de pluie qui suivait sa trajectoire nécessairement).
En fait, si on n'est pas d'accord avec le déterminisme, alors on se doit de réfuter le principe de causalité, on se doit de démontrer qu'à partir de conditions initiales parfaitement similaires il pourrait se produire des effets différents, et je n'arrive absolument pas à concevoir comment on le pourrait.
Au final, je suis convaincu que Dieu ne joue pas aux dés.
Dernière édition par Euterpe le Ven 4 Aoû 2017 - 12:25, édité 1 fois (Raison : Correction de l'orthographe et de l'expression écrite. Reformulation partielle pour clarifier le propos)
Maintenant, faisons une expérience de pensée, admettons que cette même entité ait une conscience. Prenons l'exemple d'une pluie intense qui s'écoule abondamment. Pour nous, être humains, qui avons une connaissance très limitée à cause de notre finitude, nous aurions tendance à penser que chaque goutte tombe aléatoirement, jusqu'à parler d'un hasard capricieux qui ne suivrait aucune règle. Il en va de même pour la plupart des choses — d'autant plus lorsqu'elles deviennent complexes — ; notre ignorance des causes nous amène souvent à penser qu'il n'y en a pas.
Puis prenons le point de vue de cette entité qui a accès à chaque particule composant cette pluie. Si on admet en premier lieu le principe de causalité, c'est-à-dire que toute chose est déterminée et est l'effet d'une cause qui précède, autrement dit, « étant donnée une cause déterminée, il en suit nécessairement un effet, et au contraire, s'il n'y a aucune cause déterminée, il est impossible qu'un effet s'ensuive » (cf. Axiome 3 dans l’Éthique I de Spinoza). Il découle nécessairement de cette prémisse que l'entité pourra connaître avec une précision sans faille la trajectoire exacte de toutes les gouttes de pluies, étant donné qu'elle connaît absolument toute les causes qui précèdent.
Lorsqu'on parle d'indéterminisme, de hasard, de contingence, c'est uniquement le fruit de notre ignorance des causes. Si nous avions une connaissance sans borne, nous ne pourrions pas penser un seul instant qu'une chose est indéterminée. Toutefois, même si certains peuvent s'accorder à dire que cela est vrai, il leur est tout de même impensable d'appliquer ce déterminisme absolu des choses aux êtres humains. Comme si ces derniers n'étaient pas une chose comme les autres, comme s'ils pouvaient s'extraire des lois qui régissent l'univers, bref comme s'ils étaient « un empire dans un empire ». Pourtant, c'est exactement la même situation qui se pose. C'est pourquoi nous allons procéder de la même manière avec l'homme que pour la pluie dans un deuxième temps.
Faisons une seconde expérience de pensée relativement simple, qui consiste à choisir entre deux options : continuer de lire ce texte ou s'arrêter immédiatement de le lire. Mettons-nous à la place d'un lecteur anonyme et supposons ses potentielles réactions, ses mécanismes face à ce choix. Peut-être pourrions-nous voir des arguments intervenir pour faire pencher cette "balance du choix" dans un sens (continuer) — désir de connaissance, etc. — , ou dans un autre (arrêter) — j'ai mal fait mon travail, le sujet ne l'intéresse pas assez, ou bien à d'autres raisons post hoc. Cependant, quelle que soit l'option choisie (arrêter ou continuer), il existe des causes à ce choix (cf. Axiome 3 de Spinoza). Dès lors, ce choix en est-il véritablement un ou bien était-il déjà déterminé à l'avance ? Y avait-il réellement de la contingence ?
Si on se positionne pour l’existence du choix, alors on a tendance à doter l'homme d'un "super pouvoir", celui du libre arbitre, c'est-à-dire la capacité à s'autodéterminer. Ce qui l'extrait du déterminisme et des lois de causalité. En effet, si l'homme est capable de s'autodéterminer, cela signifie que sa volonté n'est jamais déterminée par une autre cause que soi, on dit qu'il est cause adéquate. En ce sens, le lecteur anonyme a fait usage de son "super pouvoir" et a choisi librement de continuer ou d'arrêter. Mais ce libre arbitre existe-t-il réellement, ou bien n'est-il pas la conséquence de notre ignorance ? Le simple fait de poser ces questions peut faire vaciller les fondements auxquels on croit fermement, sans pour autant se résoudre à y renoncer. Après tout, un homme est un être fini, on ne pourra donc jamais savoir (à moins de connaître toutes les causes extérieures qui pèsent sur lui) si le déterminisme s'applique aux êtres humains.
Cependant, entre le déterminisme total, qui affirme par exemple qu'un simple caillou et un homme sont tous les deux absolument déterminés ; ou bien le libre arbitre, qui dit que notre volonté fait de nous plus que de simples objets, il est compréhensible que nous soyons plus enclins à croire en ce super pouvoir qui flatte notre orgueil, qui permet de blâmer, de féliciter, d'attribuer des honneurs, des mérites, etc. Notre système (judiciaire notamment) dépend entièrement de ce pouvoir qui implique de grandes responsabilités morales.
Revenons à notre expérience de pensée, si on observe encore notre lecteur anonyme face à son choix, à cause de notre finitude on ne peut pas avoir accès à toutes les informations qui le déterminent. On peut donc avoir tendance à conclure hâtivement que si une option prévaut sur une autre, elle résulte d'une réflexion libre, sans contrainte. C’est justement cela que je vais tenter de contredire.
Mettons-nous à la place de cette entité omnisciente désormais. Si on admet le principe de causalité, alors le résultat est déjà déterminé par les conditions initiales. Compte tenu de ces conditions initiales, tout autre résultat est réellement impossible, même si cela nous paraît encore possible au vu de l’état de nos connaissances. De notre point de vue, on ne sait pas encore si ce lecteur anonyme va prendre l’option A plutôt que la B, mais l’incertitude n’implique pas l’indéterminisme. Autrement dit, ce qui pourrait se produire étant donné ce que je sais de l’état actuel des choses est strictement différent de ce qui peut se produire étant donné les lois qui régissent l’univers. Cependant l’entité, omnisciente, connaît tous ces déterminismes qui pèsent sur l’individu. Il serait donc absurde de parler d’un choix si la décision est déterminée à l’avance. Il ne pouvait pas faire autrement : quoi qu’il fasse, c’était nécessaire (tout comme la goutte de pluie qui suivait sa trajectoire nécessairement).
En fait, si on n'est pas d'accord avec le déterminisme, alors on se doit de réfuter le principe de causalité, on se doit de démontrer qu'à partir de conditions initiales parfaitement similaires il pourrait se produire des effets différents, et je n'arrive absolument pas à concevoir comment on le pourrait.
Le problème de la chance est l’objection suivante : un événement indéterministe est, par définition, un événement « hasardeux », un événement qui peut aussi bien se produire que ne pas se produire étant donné les conditions initiales. Mais une action libre doit être une action contrôlée par l’agent. Or comment une action pourrait-elle être contrôlée si elle se produit de manière parfaitement hasardeuse ? Finalement, peut-être que le déterminisme exclut le libre arbitre, mais il semble que l’indéterminisme l’exclut également. Auquel cas, le libre arbitre serait absolument impossible puisqu’il serait incompatible aussi bien avec le déterminisme qu’avec sa négation, l’indéterminisme.
Peter van Inwagen, Essai sur le libre arbitre, 5.2.
Au final, je suis convaincu que Dieu ne joue pas aux dés.
Dernière édition par Euterpe le Ven 4 Aoû 2017 - 12:25, édité 1 fois (Raison : Correction de l'orthographe et de l'expression écrite. Reformulation partielle pour clarifier le propos)