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Platon et la psychanalyse.

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PhiloGL
11 participants

descriptionPlaton et la psychanalyse. - Page 8 EmptyRe: Platon et la psychanalyse.

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PhiloGL a écrit:
il n'y a pas à lire dans le texte de Sophocle ce qui ne s'y trouvait pas, c'est-à-dire la mise en scène d'un "problème œdipien".

En réalité, Freud ne prétend pas que cette œuvre de Sophocle soit la mise en scène de ce qu'il a appelle "complexe d'Oedipe". Il lui a suffi de mettre à profit ce qu'on a toujours enseigné en littérature : certaines tragédies de Sophocle (comme celles d'Eschyle et d'Euripide) sont des archétypes, des modèles. Il a tenté une transposition de ce modèle. Il faut donc inverser les termes du rapport que vous établissez entre l'œuvre de Freud et celle de Sophocle. Freud ne fait pas une lecture psychanalytique, autrement dit anachronique de Sophocle : il choisit une de ses tragédies pour modéliser un type de relation psychologique, et structurant selon lui une part essentielle de l'enfance dans le cadre de la société qu'on appelle famille (inceste et parricide sous la forme d'un désir inconscient). Cette démarche intellectuelle de Freud tient de l'allégorie et de la parabole, lesquelles lui tiennent lieu de conceptualisation (je ne discute pas la teneur scientifique de la chose).

PhiloGL a écrit:
Si Freud était doué d'une telle clairvoyance en matière de psychologie qu'il aurait vu que Sophocle était inconscient de la problématique universelle qui l'habitait et qui dirigeait son écriture, alors nous sommes en présence d'une performance intellectuelle

C'est moins la question de la clairvoyance intellectuelle (ou pas) de Freud, qui compte, que la "tradition", dans laquelle il s'inscrit consciemment ou pas, de (ré)interpréter tout le passé à la lumière de ce qu'il comprend de son temps.
Deux exemples. D'abord, l'époque antérieure aux présocratiques et aux philosophes est l'époque du mythos, et pas encore du logos, d'après Platon. Les deux termes signifient en partie la même chose : parole. Mais la parole mythique n'a pas la rationalité du logos, sa vérité n'est pas encore la vérité d'une science (autre sens, plus important, du terme logos - qui a donné logique). Or, la parole mythique (Homère, Hésiode, etc.) prétend dire le vrai au moyen d'un récit, qui n'est autre que le récit de la formation (cosmogonie/théogonie) et de l'histoire (Les travaux et les jours, etc.) du monde. Ce sera encore le cas dans la littérature latine. Pourtant, nul n'a jamais songé à en faire le reproche, ni à Hésiode, ni à Eschyle, ni à Lucrèce, Virgile, etc. Ensuite, le XIXe siècle allemand abonde en réinterprétations du passé : Hegel, Nietzsche, Marx, etc. Ces trois-là prétendent ni plus ni moins se saisir de l'histoire totale.
Ainsi, pour échapper au "tout ou rien" avec Freud, il faut intégrer ou réintégrer son œuvre (et la psychanalyse) dans une histoire des idées (chose que les écoles ne font plus guère...), avec ce double avantage d'une mise en perspective, et d'une relativisation.

Pour ce qui concerne plus précisément la tragédie comme genre théâtral, deux remarques.
D'abord, la tragédie, par définition (mais pour faire très bref), n'est pas qu'une suite d'œuvres qui se succéderaient dans l'histoire, mais aussi et tout autant une réinterprétation sans cesse renouvelée de la tragédie par les dramaturges eux-mêmes (à commencer par ces quasi contemporains que furent, parmi d'autres oubliés ou moins connus, Eschyle, Sophocle et Euripide), avec des moyens aussi variés que l'intertextualité, le pastiche, la parodie, le plagiat, etc., pour "(ré)-actualiser" la littérature, la maintenir attachée à ses points d'ancrage. Ainsi, parmi les constantes qu'on peut retrouver dans toute l'histoire du théâtre tragique, vous avez non seulement la violence, mais d'abord et surtout la violence familiale, à travers des actes proprement monstrueux qui déterminent rigoureusement ce qu'on appelle le registre tragique en littérature (susciter l'effroi et la pitié). De ce point de vue, on peut tracer une ligne droite entre les tragédies antiques et le drame romantique, en passant par Shakespeare. Plus près de nous, Anouilh, Cocteau, Giraudoux, etc., ont repris les tragédies antiques en les adaptant au contexte français et européen du premier XXe siècle.
Ensuite, à partir de Kant, les philosophes ont intégré de plus en plus étroitement l'art et la littérature à leurs œuvres. Les interprétations hégélienne, schopenhauerienne, et nietzschéenne de la tragédie sont devenues incontournables. En France, celles de Sartre et de Camus ne sont pas moins importantes.
Cette longue digression pour dire que, si la tragédie a ses caractéristiques propres, comme genre littéraire "autonome", ses enjeux dépassent de très loin les seules questions littéraires. Freud ne fait que se saisir d'un matériel culturel ou intellectuel à disposition qui ne met en danger, ni la possibilité de lire et de comprendre du dedans des œuvres antérieures à la psychanalyse, ni la possibilité de lire la psychanalyse sans tomber dans le "tout-psychanalytique".

PhiloGL a écrit:
qui peut placer Freud à côté des neuropsychologues modernes dont les travaux sont enseignés en Fac de psychologie. Mais ces travaux modernes sont-ils enseignés aux étudiants de Philo&Lettres ? Ç'a m'étonnerait.

Le sujet est l'un des cinq groupes de notions au programme de la philosophie en terminale. Or c'est la question centrale de la psychanalyse qui, fût-ce pour être sinon invalidée, du moins sévèrement critiquée, a suscité des interlocuteurs de la trempe d'Alain, de Sartre, de Popper, etc. On peut discuter de la place de la psychanalyse dans la philosophie. Elle est au moins à sa marge. Ajoutons que la psychocritique, par exemple, a donné des résultats intéressants en littérature, et constitue un corpus important pour des études littéraires.

Le reste de vos propos me laisse penser qu'un philosophe et psychanalyste comme Castoriadis (très sévère avec Lacan), notamment ce qu'il a écrit sur la question du sujet, vous montrerait en quoi les deux disciplines gagnent à se rencontrer (Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, chapitre VI ; Le monde morcelé (Carrefours du labyrinthe 3), "L'état du sujet aujourd'hui").

Pour finir, j'en profite pour vous souhaiter la bienvenue sur le forum.

Dernière édition par Euterpe le Ven 23 Oct 2015 - 19:12, édité 1 fois

descriptionPlaton et la psychanalyse. - Page 8 EmptyRe: Platon et la psychanalyse.

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PhiloGL a écrit:
Comment lisait-on la pièce de Sophocle, Œdipe Roi, pendant environ 2000 ans, avant que Freud n'en donne une interprétation de son crû qui est supposée donner la clé permettant de comprendre cette pièce ? Bien que Sophocle ne soit pas Platon, et qu'une pièce de théâtre ne soit pas forcément de la philosophie, quand j'ai lu votre commentaire : "les théories platonicienne et freudienne ont en réalité peu à voir entre elles", il y a eu un déclic. Quand j'ai lu la pièce, à l'âge de 17 ans, il y a près de 40 ans, je n'avais pas encore lu Freud. Qu'est-ce que la théorie du complexe d'Œdipe m'apporte quand je relis cette pièce aujourd'hui, en étant influencé par l'interprétation de Freud ? Rien. Au contraire, cela dénature ma perception d'une œuvre antique et me conduit en plus à un anachronisme généralisé qui m'a poussé à voir dans quelques lignes de Platon l'expression d'une problématique (le rapport entre le Ça et le Surmoi) qui était étrangère à son époque, comme vous m'en avez excellemment fait prendre conscience.

Si je comprends bien, votre argument consiste à dire que Freud n'apportant rien à une compréhension de Sophocle, voire l'embrouillant, il est de trop. Superflu, anecdotique, etc. Sauf que je ne vois pas en quoi cela réfute la pertinence de la psychanalyse freudienne. En effet, Freud n'explique pas Sophocle. Il se sert de Sophocle pour exemplifier son propos. Ce qu'Euterpe dit est tout à fait juste.
PhiloGL a écrit:
Si Freud était un philosophe, alors nous sommes en contradiction avec votre phrase, puisqu'il n'y a pas à lire dans le texte de Sophocle ce qui ne s'y trouvait pas, c'est-à-dire la mise en scène d'un "problème œdipien".

Je ne vois pas en quoi un philosophe ne pourrait pas relire des textes de la tradition pour y dégager des figures, enjeux, thèmes ou relations qui lui permettraient de mettre en scène, montrer, donner corps à ce qu'il a élaboré au sein d'un cadre conceptuel. Cela reste de l'interprétation et de la théorisation, des hypothèses de travail. C'est au mieux un éclairage sous un autre angle, d'après une problématique singulière. Il ne s'agit pas de dire que Sophocle a pensé l'Œdipe, que c'est la vérité qu'il a voulu exprimer, mais que Freud y trouve un modèle qui exprime au mieux ses propres préoccupations. De la même manière, ce n'est pas parce que Freud aurait pu se servir de l'œuvre de Platon que vous pourriez, vous, lire Freud dans Platon. Si vous voulez comprendre Platon, lisez Platon. Si vous voulez comprendre la psychanalyse, lisez Freud et les œuvres auxquelles ses travaux réfèrent pour penser leur écart.
PhiloGL a écrit:
D'où ma conclusion que si Freud n'a rien à faire dans une Fac de psychologie moderne, ni dans une Fac de philosophie, il ne reste qu'un médecin qui a écrit des histoires de psychologie-fiction !

Mais alors pourquoi Freud continue-t-il d'abreuver les raisonnements de nos plus grands philosophes ?
PhiloGL a écrit:
Je regrette l'époque bénie, jusqu'à la fin du 19ème siècle ou le début du 20ème, où il était encore possible de lire Sophocle sans interprétation… freudienne.

C'est au contraire tout à fait possible. En revanche, on comprendra mal ou pas du tout Freud sans lire Sophocle.
PhiloGL a écrit:
Qu'est-ce que Lacan apporte aux médecins qui doivent prendre en charge les problèmes psychologiques de personnes en réelle souffrance ? Rien. Ce n'est pas parce que Lacan est inutile en médecine qu'il faut en faire un philosophe !

Peut-être la psychanalyse échoue-t-elle le plus souvent en tant que cure (de toute façon, elle ne prétend pas à la guérison), mais a-t-elle permis par ailleurs une meilleure compréhension théorique de l'homme et de sa psyché. Castoriadis, cité par Euterpe, est justement un philosophe qui a beaucoup lu Freud et Lacan. Il les a critiqué sévèrement sans renoncer à la psychanalyse, ses critiques permettant d'affiner cette discipline et la compréhension de ses objets privilégiés.
PhiloGL a écrit:
Aïe, Aïe, Aïe, en me relisant, je viens de voir que j'ai écrit plus haut : "il vous reste 30 ans pour comprendre que j'ai raison". Silentio ne va-t-il pas sauter sur l'occasion pour citer cela et montrer que mon seul but réel est de prouver que j'ai raison ? J'espère qu'il ne va pas faire cela. J'ai une formation scientifique, j'ai entendu parler du philosophe Karl Popper qui a très intelligemment montré aux scientifiques que leur démarche devait consister à essayer de démontrer que leur hypothèse est fausse. C'est alors qu'il reste la vérité scientifique.

Moi je m'en fiche, si vous avez des preuves, des arguments, grand bien nous fasse !

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Silentio, merci pour votre réponse. Celle d'Euterpe, que je remercie aussi, m'ayant montré que le problème est d'une complexité bien plus grande que je le pensais, je vais arrêter là. La philosophie c'est épuisant.
Je resterai sur cette idée, qui ne concerne que moi, que je me sentirais mieux dans un monde sans psychanalyse. Je répète que ça ne concerne que moi, inutile de me dire que ce faisant je m'enferme dans un délire. Quand je vais acheter mon pain, sans préjugés à l'égard des intérêts intellectuels des boulangers, statistiquement donc, je doute qu'il poursuivrait une conversation sur l'enchantement que pouvaient causer les conférences de Lacan.
Je vais retourner à Biologie, Chimie et Physique, mais continuer à lire Michel Onfray, qui me semble être le philosophe de la Positivité, et est plus facile à lire que Platon. En espérant ne pas trop souvent rencontrer dans ses autres livres que je vais lire de recours à la psychanalyse. Mes livres de Freud seront revendus chez un libraire en livres d'occasion.
 
Encore merci à tous.

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Silentio, la psychanalyse demeure très étudiée en France ; il n'en reste pas moins que ce n'est plus le cas dans les pays qui sont en avance en terme de travaux en psychologie et en psychiatrie.
Le dernier coup en date porté à la psychanalyse s'est produit en raison de son traitement de l'autisme.

La psychanalyse est de fait surtout étudiée selon un prisme historique.

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PhiloGL a écrit:
je me sentirais mieux dans un monde sans psychanalyse.

Ce que nul ne saurait vous reprocher. Or, ce n'est pas qu'affaire de sensibilité ou d'affinité, mais aussi de positionnement épistémologique : la psychanalyse comme ensemble de principes explicatifs est-elle efficace, oui ou non ? Il semble que, si efficacité il y a, elle est relativement restreinte. Laissons de côté les critiques morales (Sartre) et scientifiques (Popper), et contentons-nous d'une question : les explications psychanalytiques du monde contribuent-elles à le rendre plus compréhensible ? Si la simplicité est un gage probant de la qualité d'une explication, alors on peut douter de l'efficacité explicative de la psychanalyse. Au moins parce que les schémas explicatifs les plus rebattus sont le plus souvent comme plaqués du dehors sur les réalités auxquelles on les applique, réalités caricaturées (l'autisme en France, pour reprendre l'exemple de JimmyB, en est dramatiquement victime), et ainsi d'autant plus culpabilisantes que le "sujet", en psychanalyse, autrement dit nous tous, est comme dessaisi de lui-même.
La prétention psychanalytique à disposer d'un discours totalisant, dans tous les champs des sciences de l'homme, et avec un entêtement aveugle, ne s'est pas seulement révélé contre-productif pour la psychanalyse elle-même, mais désastreux pour des milliers d'individus livrés à des psychanalystes dont la pratique a pu s'expliquer dans un contexte précis, mais que rien n'a jamais pu valider en dehors du cercle des psychanalystes. La psychanalyse en a-t-elle totalement perdu sa valeur heuristique ? Peut-être pas si on sort de la nébuleuse provincialiste française...

Le tout premier livre de Freud qu'il me fut donné de lire était Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci. Il m'est tombé des mains. Aujourd'hui encore, je le trouve ridicule. Mais, dans Métapsychologie, le chapitre V, "Deuil et mélancolie", est d'une très haute facture. Comment expliquer un tel écart ? L'explication elle-même a-t-elle une pertinence ? Je tente une hypothèse : si Freud (et nombre de ses successeurs) a regardé dans tous les sens, donnant l'impression de naviguer à vue, avec une intuition tous azimuts, c'est peut-être parce que ce qu'il manque à la psychanalyse, c'est précisément un programme, une direction (d'où la suspicion dont on frappe les écoles freudienne et lacanienne). La psychanalyse comme course en avant vers..., vers quoi ?
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