Dienekes a écrit:Kthun, concernant votre remarque sur la difficulté de trier le mythe de la réalité, en l’occurrence je ne pense pas que ce soit un problème. L’idée serait de faire une analyse comparée des différentes monographies au fil du temps pour voir justement les positions relatives de chaque époque sur la question et non leur « véracité ». C’est le regard qui est porté qui est intéressant ici et non l’objet regardé. Dans ce sens, les monographies d’anthropologues me semblent intéressantes pour le sujet de Zingaro. Même dans le cas de Mead, analyser ses positions et les positions de ses détracteurs plus tard peut nous donner quelques indications sur les points de vue contemporains.
Concernant la France : nous pouvons, pour prendre un point de départ, remonter jusqu'au livre de Lucien Malson, Les enfants sauvages, publié dans les années 1960 (sans même parler du film de Truffaut). Bien qu'il ne nie pas le fait que la nature et la culture soient dans un rapport de mutuelle dépendance, il accorde néanmoins au milieu, à la culture et "la conscience" une influence prééminente. Il avait pour projet de démontrer le faible rôle joué par l'hérédité et l'absurdité de l'idée de nature humaine. Cet ouvrage a connu et continue de rencontrer un franc succès. Ces idées avaient pour fondement empirique les cas de trois enfants "sauvages" (qui sont, à son sens, "irrécusables") : Gaspard Hauser, Amala et Kamala de Midnapore ainsi que du sauvage de l'Aveyron. Les milieux intellectuels et le grand public ont eu, depuis, la tendance à radicaliser la thèse de Malson. En conséquence, une sorte de vulgate s'est imposée : d'une part, l'individu serait l'équivalent d'une pâte à modeler, il serait en conséquence entièrement façonné par son éducation et sa culture d'appartenance. D'autre part, les "enfants sauvages" existeraient bel et bien (ce qui est tout à fait compréhensible : il existe l'envie indéniable d'y croire).
Dienekes a écrit:Dernier point, Kthun, concernant les notes du Dr Itard, j’avais toujours considéré ce travail comme « sérieux » (peut-être naïvement). Avez-vous des références qui le mettent en doute ?
Lorsqu'il se borne à décrire le comportement (et l'évolution de celui-ci) de Victor de l'Aveyron, le Dr Itard est a priori tout à fait sérieux. Seulement, lorsqu'il s'agit de théoriser, il faut rappeler que ce dernier est imprégné de la philosophie de Condillac (si l'on prend en compte le contexte intellectuel de l'époque). Autrement dit, Victor de l'Aveyron faisait déjà l'objet d'une controverse pour ce qui est de l'interprétation de son cas : la frontière se faisait, en gros, entre la thèse de l'idiotisme (défendue par Pinel) et celle du sensualisme (prôné par le Docteur Itard). Aujourd'hui, il s'agit de dire que Victor aurait souffert d'autisme (à la décharge de notre savant, dans la mesure où il lui aurait été impossible d'aboutir à ce diagnostic, étant donné l'état de la science de son époque). Je vous conseille, entre autres, la lecture de l'ouvrage Victor de l'Aveyron : Dernier enfant sauvage, premier enfant fou de Thierry Gineste, ainsi que l'Histoire de l'autisme de Jacques Hochmann : http://books.google.fr/books?id=KE_KlkRFxLcC&pg=PA41&hl=fr&source=gbs_toc_r&cad=4#v=onepage&q&f=false
Dernière édition par Kthun le Mer 1 Oct 2014 - 0:38, édité 1 fois