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Qu'est-ce que la dialectique ?

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C. Le διαλέγεσθαι comme rupture avec le discours de l'expérience et le discours poétique

1. Le refus du discours de l'expérience

Source : République (ou De la justice), Livre I (l'entretien entre Céphale et Socrate).

On a plaisir à dialoguer avec les anciens : ils nous ont précédés et ils ont suivi une route que nous aurons peut-être à suivre. C'est pourquoi il est intéressant de s'enquérir auprès d'eux, car il ont de l'expérience. Mais leur sagesse (et celle de Céphale, homme d'expérience) est limitée.
C'est bien de concevoir les désirs comme un esclavage, la tempérance comme un signe de liberté intérieure. Mais ce qui est en jeu n'est pas le caractère des hommes. Pour Céphale, la justice consiste à rendre ce qu'on doit aux autres. Or Socrate réfute ce qu'il dit en recourant à l'exemple de l'arme (exemple qui relève de la casuistique).

Au moment où l'entretien se focalise sur ce que doit être son objet philosophique (la justice), Céphale s'en va précipitamment. Ici, le διαλέγεσθαι récuse le discours de l'homme d'expérience. Pourquoi récuser ainsi l'homme d'expérience en tant qu'interlocuteur ? Il y a une différence entre :
- récuser l'homme d'expérience comme interlocuteur
- récuser les gens qui sont censés s'y connaître dans un certain domaine (les τεχνικοί)
Céphale est modeste, ce n'est pas lui qui a eu l'idée de définir la justice. Dans la pratique, il s'oriente de façon tout à fait correcte. Il y a comme une rectitude de l'expérience : Céphale est mesuré, modéré. Mais l'homme d'expérience n'est pas un interlocuteur possible. Pourquoi ? Cela tient à 2 raisons :

a. inévitable particularité et contingence de l'expérience.
Or la particularité de l'expérience particularise nécessairement l'enseignement. L'expérience permet certes de voir correctement les choses, mais cette correction, cette droiture ne suffit pas en philosophie. La vérité n'est pas une opinion droite, correcte ; même si, par ailleurs, elle se souciait de rendre compte d'elle-même, l'opinion droite ne pourrait valoir comme vérité. Cette rectitude est loin d'être au niveau de ce qui est nécessairement la vérité. Cette particularité, qui n'exclut pas la rectitude de l'expérience, ne permet pas d'accéder à la vérité. Il faut un raisonnement spécifique, celui de la philosophie.

b. Incapacité de l'expérience à rendre compte de ce qu'elle peut énoncer.
C'est son mutisme fondamental qui la rend impropre à participer à la dialectique. Elle n'existe jamais sous la forme d'un savoir transmissible. Dans l'expérience, il y a quelque chose d'indicible, de muet. Il y a aussi une répétitivité narrative des hommes d'expérience : ils ressassent, mais ils n'argumentent pas. On constate ainsi une incapacité de l'expérience à se dire.

Le διαλέγεσθαι doit donc prendre ses distances avec la seule expérience. Hegel, dans sa Phénoménologie de l'esprit, présente très explicitement sa phénoménologie comme une science de l'expérience de la conscience. L'accès au savoir doit nécessairement emprunter 2 voies : - l'expérience même, dont le débouché est de se supprimer elle-même pour accéder au savoir ; - le savoir (cf. la 3e partie de la préface). Platon, quant à lui, vise autre chose en récusant l'expérience, d'où le strict essentialisme de la pensée platonicienne.

2. Le refus du discours poétique

C'est déjà une pratique sophistique de commenter les œuvres du patrimoine littéraire. Platon pense que l'on peut faire dire n'importe quoi aux œuvres poétiques. Elles doivent être interprétées, c'est pourquoi elles lui paraissent suspectes, car cette nécessité de l'interprétation permet parfois aux politiciens de leur faire dire des imbécillités.
Il y a en outre une ambiguïté quant aux origines de la poésie (et du poète). Les Grecs tiennent le poète pour un homme inspiré, un homme divin. Au mieux, toutefois, la poésie est révélatrice. Elle dévoile. Mais quant à expliquer, c'est ce qu'elle ne fait pas. Les sentences poétiques sont énigmatiques. Le discours poétique dit peut-être des vérités, mais il n'en rend pas compte (et est incapable d'en rendre compte).

Il n'y a pas grand chose à tirer, philosophiquement, du discours poétique. Mais le dialecticien a la possibilité de recourir au mythe, quand cela est légitime, car il est des domaines où le discours de vérité est impossible, et où il faut recourir à des interprétations vraisemblables (cf. par exemple la formation physique du Cosmos dans le Timée). Dans le domaine politique également, le dialecticien peut légitimement recourir au mythe pour mener la foule là où il faut, car la foule ne peut pas être philosophe selon Platon, elle refuse de se soumettre à la raison. Or le mythe peut la persuader de suivre le dialecticien. Cependant, il ne faut pas confondre cela avec la démagogie : le mythe a pour but le bien de la foule.

En conclusion, le διαλέγεσθαι est à la fois ce qui permet à l'interlocuteur de se détacher de ses opinions, et de prendre conscience de ses contradictions. C'est une propédeutique à la science, mais c'est plus que cela : c'est une impulsion et un chemin, qui va mener à la connaissance. S'il en est ainsi, c'est que le διαλέγεσθαι a un rapport intime avec la pensée, c'est que le διαλέγεσθαι est déjà le διανοεῖσθαι.

Dernière édition par Euterpe le Ven 22 Juil 2022 - 0:18, édité 1 fois

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2. διανοεῖσθαι [dialectiques 2, 3 & 4]

διαλέγεσθαι, cela désigne le 'dialoguer' ; διανοεῖσθαι, cela désigne le 'penser'.
Chez Platon, seule la pratique dialectique est expressive de la nature même de la pensée.

Sources :
A. Théétète (189e-190a)
B. Sophiste (263d et sq.) [et Phèdre (275d et sq.)]
C. Philèbe (16b et sq. & 39c et sq.)

Toutes ces œuvres sont des dialogues de la maturité, postérieurs à la République. Pour chacun des trois extraits, le contexte est identique : ce sont les 3 seuls où Platon s'interroge sur ce que c'est que penser. La réflexion porte sur l'une de ces redoutables apories sophistiques, celle qui consiste à montrer qu'un logos ne peut pas être faux. Selon Platon, dire, c'est dire quelque chose. Sa conviction, c'est que le logique et l'ontologique sont inséparables [On peut lire, éventuellement, le fil "Une nouvelle interprétation du Poème de Parménide"].

Cela implique de reprendre la question de l'être : il faut bien qu'il y ait du non-être dans l'être pour qu'un discours soit faux (cf. la notion de l'autre). Ne faut-il pas qu'il y ait de la béance dans l'être pour qu'il soit dicible ? Comment un discours peut-il dire autre chose que de l'être, puisque dire quelque chose de faux, c'est nécessairement dire quelque chose qui n'est pas ? Platon se réfère à une analyse de ce que c'est que penser, pour essayer de résoudre l'aporie de la fausseté du discours.


A. Théétète (189e-190a)

Dans l'extrait considéré, il est question de savoir quel est le moment de la pensée véritable, de la réflexion. La διάνοια désigne le type de pensée de ceux qui atteignent les sens mais qui ne vont pas plus loin. Elle est hypothétique et ne sait pas rendre compte de ses propres hypothèses. Le διανοεῖσθαι désigne la pensée au sens générique du terme. Le moment de la pensée à proprement parler, c'est un entretien dialogué de l'âme avec elle-même. Mais de quoi cet entretien peut-il bien être constitué ?
- l'âme se pose à elle-même des questions
- elle essaie d'y répondre
- tantôt elle affirme, tantôt elle nie
Lorsqu'elle parvient à statuer, à dire une seule et même chose, alors on peut dire qu'elle a une opinion.

Cette forme dialoguante retenue par Platon pour définir la pensée s'appuie justement sur ce dialogue de l'âme avec elle-même, comme sur un fondement dernier. C'est une définition nominale (quid nominis) : "qu'appelles-tu penser ?" [par exemple, le §9 des Principes de la philosophie de Descartes constitue une définition nominale de la pensée]. Ce travail préparatoire permet progressivement de s'entendre sur ce dont on parle. S'entendre sur ce dont on parle, c'est s'assurer qu'on parle bien de la même chose.

Mais ce dialogue de l'âme avec elle-même ne débouche-t-il que sur une opinion ? En effet, Socrate émet une restriction : "c'est à la façon d'un ignorant que..." Pour que l'analyse de la nature de la pensée soit satisfaisante, il faudrait que la pensée soit pensée dans sa liaison avec son objet même. Or, ne faut-il pas distinguer entre la pensée seulement 'opinante' et ce discours vivant et animé de celui qui sait ? Au sens strict, penser désigne la vie même du savoir dans l'âme. Cette espèce d'hésitation, d'alternance entre affirmations et négations est la préparation de ce qui advient en elle : l'opinion. Mais la pensée, lorsque nous la pensons en rapport avec son objet, ce n'est pas autre chose que cette vie 'questionnante', 'examinante' de l'esprit, et dont la fonction et le sens du dialogue est de s'exprimer. Il y a donc une difficulté à distinguer ici entre opinion et pensée.

B. Le Sophiste (263d et sq.)

La pensée est un dialogue de l'âme avec elle-même, se produisant à l'intérieur d'elle-même, sans voix. Le discours, c'est le courant qui, parti de l'âme, passe par la bouche avec l'accompagnement de sons articulés. Dans les propos qu'elle se tient à elle-même, il y a des affirmations et des négations, et lorsque cela se produit silencieusement en l'âme, on n'a pas d'autre mot pour le désigner que δόξα. C'est parce qu'il a été établi que le discours peut être faux que l'on peut ainsi démontrer que la pensée elle-même, qui est une sorte de discours, peut l'être.

Quoi qu'il en soit, on constate le caractère actif de la pensée :
- elle discute avec elle-même
- elle se pose des questions
- elle se répond (elle y répond)
Mais n'est-ce pas là la nature d'une pensée encore séparée du savoir en l'âme ? Qu'en est-il de l'âme quand elle atteint enfin son objet, quand la pensée est devenue science ? Platon va-t-il devoir reprendre l'analyse de la pensée lorsque l'âme est en possession de l'intelligible ?

Cf Phèdre : l'écriture ne produit que des simulacres du réel. Le pire, c'est que nous prenons ce simulacre pour le réel lui-même. Les discours écrits sont un simulacre, pourtant "vous croiriez, à les entendre, qu'ils sont bien savants ; mais questionnez-les sur quelqu'une des choses qu'ils contiennent, ils vous feront toujours la même réponse". Platon entend opposer à ce discours de perroquet, moins le dialogue hésitant de l'âme avec elle-même, que ce qui fait que ce dialogue est vivant et animé. Or, enseigner, c'est tenir à l'autre un discours qui le féconde. La capacité dialectique est désormais la capacité de qui sait ensemencer l'esprit de celui qui apprend ce discours vivant et animé qu'est la pensée, qui apprend à penser. (Socrate choisit l'image du laboureur, pour donner à voir cette idée de fécondité en l'âme.)

Le projet de Platon est de concevoir une rhétorique différente de celle de Gorgias, une rhétorique philosophique normée par le dialecticien, consistant à : - analyser le discours et l'âme ; - proportionner le discours au type d'âme auquel on a affaire. Quel discours tenir à quelles âmes, pour les instruire ? Cela n'est resté qu'une idée, dans l'œuvre de Platon. Est-ce parce que "planter" un discours dans l'âme est très, voire trop difficile ? N'y a-t-il pas, d'ailleurs, dans ce discours instructif, dont le but est de féconder l'âme, une part même minime de violence ?


C. Philèbe (16b et sq.)

1. Διαλεκτικός désigne 4 choses principales :
- la pratique de l'entretien dialogué (le fondement le plus incontestable de cette pratique, c'est que la pensée, au moins dans la phase initiale de sa recherche, est un entretien dialogué)
- le parcours ascensionnel
- la science qui rend possible un tel parcours (connaissance des essences et de leur vie, connaissance structurée, éclairée par le Bien)
- Est dialecticien celui qui sait pratiquer de façon féconde les divisions (διαίρεσις)

Cette remontée s'effectue-t-elle selon un ordre obligé et invariable ? Si l'on considère la dialectique comme une méthode, la réponse est non. Il n'y a pas un parcours unique, mais des procédés.
Le πόρος (l'issue, le débouché) n'est pas tracé d'avance, il n'y a pas de mode d'emploi. Le géomètre, pour saisir l'intelligible, a besoin de l'image. C'est un point d'appui possible, qui doit cependant être dépassé. L'image ne sert que si on ne peut voir l'invisible au sein du visible. Or les mots ont la même fonction que l'image. Le nom nous met en chemin vers le concept, il nous permet de nous élancer vers l'essence. Il permet d'unifier le sensible (le terme "abeille" permet de grouper toutes les caractéristiques communes aux abeilles - cf. concept et définition nominale). Mais entre nous et l'essence, il y a un fossé qui s'explique par la fonction mimétique des mots, qui se distinguent en cela des choses auxquelles ils se rapportent. Pour apprendre le réel, il faut partir du réel lui-même, et non des mots, quelle que soit leur fonction mimétique, diacritique (opérer des distinctions didascaliques d'enseignement). Mais doit-on considérer les définitions (exigence d'unicité et d'universalité) comme le niveau intermédiaire entre les noms et les essences ? Ici, la conception de Platon est analogue à celle d'Aristote : la définition nous donne l'essence.

2. L'art dialectique serait le présent le plus précieux qui puisse être fait aux hommes. La route qu'emprunte le dialecticien est une voie d'origine divine. Et le fait de l'emprunter, c'est un peu se rendre divin. Mais elle n'appartient pas réellement aux hommes, qui peuvent la désirer éternellement. L'aporie dialectique est en quelque sorte un châtiment infligé aux hommes pour leur démesure, leur prétention à maîtriser la dialectique. N'ayant pas pu leur offrir l'immortalité, Prométhée, outre le feu, leur aurait donné la dialectique comme un substitut à l'immortalité. Mais la dialectique est jalonnée d'apories, elle est difficile. C'est un chemin presque trop beau, trop divin. Or c'était justement pour leur faire don de la mesure, car la dialectique évite aux hommes :
- d'aller trop vite ou trop lentement
- de passer trop vite de l'unité à la multiplicité (cf. Phèdre)
La dialectique permet de trouver les intermédiaires, de nombrer avec précision, de trouver les rapports, de mesurer. Socrate affirme même que cette science des intermédiaires est à l'origine de tous les autres arts (cf. 2 τέχναι choisies comme exemples : l'art musical et l'art grammatique), qui sont liés, d'une certaine façon, à la dialectique, art de maîtriser les divisions.

La question posée dans le Philèbe est celle de la vie bonne : qu'est-ce que le bien vivre, pour l'homme ? Socrate estime que des deux réalités concurrentes que sont l'intelligence et le plaisir, aucune des deux ne suffit à constituer la vie bonne. A elle seule, l'intelligence ne peut constituer le bien vivre. Personne, même le sage, n'accepterait de vivre sans le plaisir, et réciproquement. Ceci oblige à élaborer une théorie des plaisirs. Pour cela, il faut être capable de penser l'unité et la multiplicité du plaisir. Quelle sera la proportion ? Un seul type de plaisir est finalement accepté : le plaisir pur (jouissance esthétique), seul compatible avec l'intelligence. Platon établit une hiérarchie :
- les τέχναι (techniques du plaisir, compétences liées à l'intelligence, en fonction du critère lié à la mesure, mais fondées sur la seule expérience, et même sur la routine)
- techniques et sciences qui usent du nombre, de la pesée, de la mesure
- la faculté dialectique
Cette hiérarchisation n'introduit pas de rupture entre techniques et sciences, mais entre ce qui relève du nombre et ce qui n'en relève pas. C'est d'après ce critère que Platon place la dialectique en haut de la hiérarchie. Mais, par nature, elle ne se distingue pas d'abord des autres sciences. C'est à la fin du dialogue que la dialectique est déclarée science suprême, la plus exacte de toutes.

Dernière édition par Euterpe le Ven 22 Juil 2022 - 0:22, édité 1 fois

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3. La science dialectique

On assiste, à la fin du Philèbe, à un revirement qui pose un problème d'interprétation et de compréhension de la dialectique platonicienne. Socrate revient sur l'hypothèse de la dialectique comme science suprême, en réaffirmant que les autres sciences et techniques du nombre contribuent, en fait, à la vie bonne. Pourquoi renoncer à la hiérarchie d'abord proposée ?

A. Quelques interprétations

D'après Sarah Kofman, dans Comment s'en sortir ?, si le Philèbe propose une définition de la dialectique comme science suprême, c'est parce que Platon souhaite abandonner cette conception 'techniciste' (cf. les τέχναι), cette définition prométhéenne de la dialectique (art de la division nombrée, dichotomie, double travail de division et d'unification). Il serait tenté de reprendre une définition plus ancienne, celle de la République, car la dialectique, comme science de l'être, est la seule qui soit toujours identique à elle-même. La supériorité de la dialectique ne serait plus liée à la seule supériorité de ses instruments (la mesure), mais à la supériorité de son objetTout se passe comme si, au moment même où il avait établi sa hiérarchie dialectique (comme science suprême, rupture avec les autres sciences), Platon éprouvait le besoin de se rétracter (rupture dans son œuvre). Une telle interprétation repose sur cette hypothèse qu'entre la République et la fin de sa vie, Platon aurait évolué vers une conception de la dialectique comme une partie seulement de l'ensemble des moyens que doivent posséder les hommes pour vivre une vie bonne. Pourtant, quand Sarah Kofman déclare que la dialectique serait un vol prométhéen, Socrate parle d'un cadeau divin. Cette interprétation, comme celle de Goldschmidt, consiste à faire de la dialectique comme science de la division, une dialectique logique, technique, donc en rupture avec la dialectique ontologique initiale.

Goldschmidt [lire également Henri Joly, Le renversement platonicien, notamment le chap. 1 : "Étymologies et néologismes"] tient cette fabrication de néologismes pour significative de la rupture entre dialectique ontologique (science suprême) et dialectique logique (technique, instrument de mesure). Elle serait expressive d'exercices dialectiques (mais ces exercices ne sont que des exercices, ils ne sont pas la dialectique). Le procédé diviseur est appliqué par Platon à des sujets qui exigent un traitement philosophique (cf. Sophiste et Politique). Goldschmidt insiste pour dire que ces exercices sont une propédeutique à la dialectique et qu'il ne faut pas prendre Platon à la lettre lorsqu'il affirme, comme dans le Politique, que ces exercices dialectiques ne servent pas à former des hommes politiques, mais de meilleurs dialecticiens. L'argument de Goldschmidt : dans Phèdre, les divisions sont trop importantes pour croire Platon, qui dit que seul le dialecticien est philosophe. Pourtant, même dans les textes où Platon parle de l'importance des divisions, il s'en tient toujours à la définition de la République.

D'après Auguste Diès, il ne s'agit que de différents aspects d'une même conception fondamentale, aspects qui se manifestent successivement dans l'œuvre de Platon. Les divisions dichotomiques ne sont pas une nouvelle conception de la dialectique, mais une méthode auxiliaire.

B. La dichotomie

La division dichotomique tend vers une division en deux (âme-corps ; intelligible-sensible ; réalité-apparence, etc.). Cependant, il n'y a pas de rapport immédiat entre dichotomie et dualisme.

Par dichotomie, Platon entend toujours séparer une voie droite et une voie gauche. La droite est celle de la rectitude ; la gauche est celle de la maladresse (voie sinistre - synonyme de gauche, de maladroit, qui signifie accident -, voie mauvaise). Avec la dichotomie, la voie droite permet d'avancer, la voie gauche reste improductive.

Attention cependant, la représentation du corps humain que propose Platon, quand il en parle explicitement, n'est pas dichotomique (cf. le Timée) mais ternaire. Auguste Diès néglige l'analyse ternaire de l'âme, chez Platon. La structure anatomique du corps humain est la mise en œuvre de la tripartition de l'âme. Car il y a une analogie structurelle entre l'âme et le corps :
- le νόος (ou νοῦς)
- le θυμός
- l'ἐπιθυμητικόν

Ce qu'il y a de nouveau, dans le Sophiste et le Politique : si la méthode dichotomique y est privilégiée, c'est que la dialectique semble désormais se réduire essentiellement à une méthode. Mais la dialectique reste multiple. Simplement, pour chaque nouvelle préoccupation, Platon se concentre sur un aspect seulement. Quelques exemples.

- Dans le Cratyle, la fonction de la dialectique, celle qui est privilégiée, c'est de diriger et de juger le travail du législateur instituant les noms (double fonction diacritique - faire des distinctions -, et didascalique - enseigner). Ici, le problème est de savoir si la science est toute dans le langage, et si le rapport entre les mots et les choses ne nous amène pas à considérer le réel comme entièrement fluant.
- Dans la République, Livre VII (537c), la dialectique a pour fonction de synthétiser ce que les diverses sciences ont de vertu ascensionnelle, de prolonger et d'achever l'élan vers le Bien. La dialectique rend capable d'une vue d'ensemble (synoptique). La préoccupation majeure de la République, c'est de former des chefs d'État. Il s'agit donc de marquer le rôle directeur de la dialectique, et la fin ultime de tout être et de tout acte (le Bien).
- Dans Phèdre, il s'agit de susbtituer à la prétendue psychagogie (capacité à conduire les âmes) de la rhétorique la psychagogie du dialecticien, fondée sur la connaissance et l'amour du vrai. Platon y met en œuvre son souci philosophique de conduire l'âme vers le lieu où elle doit être conduite, autrement dit vers le vrai.
- Dans le Sophiste, si le travail d'analyse est fait par éliminations successives, et si ces éliminations successives sont faites par divisions dichotomiques, la voie gauche étant improductive, c'est que le Sophiste a à établir, contre une éristique issue des Éléates, la possibilité d'un discours faux, d'un discours qui dit être ce qui n'est pas. D'où l'insistance ici à montrer qu'aucune détermination ne s'affirme sans se distinguer, sans nier de soi ce dont elle se distingue (cf. Spinoza et Hegel, pour qui toute détermination est une négation). [On peut se reporter à la notice du Sophiste, aux Éd. des Belles Lettres, pp. 273-280.]


Au total, s'il y a bien, dans les dialogues de la fin de la carrière de Platon, une insistance sur le travail dichotomique, on ne peut vraiment parler de tournant. Il est indispensable de parler de LA dialectique, à quelque moment que ce soit, même si la dialectique est multiple, car elle n'est multiple que dans ses aspects, ses moments. Le dialecticien est celui qui maîtrise l'unité et la multiplicité de la dialectique.
Lisons côte à côte le Philèbe, en 57e, et la République, Livre V, en 454a et sq. Dans le texte de la République, où la dialectique est pour la première fois abordée de manière aussi développée, aussi systématisée, la référence au travail dichotomique est explicite, d'autant plus que la méthode de division distingue le dialecticien et permet de le reconnaître. Dans le Philèbe, il est explicitement rappelé que la dialectique, c'est LA connaissance suprême, la science de l'Être (la réalité de l'Être est ce qui, de sa nature, est éternellement immuable - confirmation de l'interprétation moniste de la dialectique).


Conclusion

Pourquoi doit-on redescendre, une fois atteint le Bien ? Plotin, par exemple, choisit de s'arrêter au Bien.

Platon n'est pas un mystique, on ne peut dire que la fonction de la dialectique est de s'arrêter au Bien. Il faut redescendre, une fois le Bien atteint. C'est de la politique, de la vie des hommes que Platon se soucie (quoique cette interprétation soit limitée).

La République montre 2 préoccupations :
- une préoccupation ontologique
- une préoccupation logique

Après la République, Platon aura 3 préoccupations :
- le discours des hommes (Sophiste)
- le monde dans lequel ils vivent (Timée)
- la vie que mènent les hommes (Philèbe)

Tout cela implique une redescente, c'est pourquoi la dialectique ne cesse pas dans la contemplation.

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Hegel

Chez Hegel, on trouve 2 difficultés éclairantes de sa conception de la dialectique :
- Il écrit son œuvre en connaissant celle de Platon
- Il pense sa philosophie comme l'expression de la vérité de toute l'histoire de la philosophie. Le vrai étant le total, tel qu'il se récapitule dans la philosophie de Hegel. L'histoire de la philosophie, qui est dialectique, n'est elle-même que le lieu où l'histoire de la réalité se dit et se pense. Enfin, il n'y a qu'une seule philosophie qui n'est pas dialectique, celle de Hegel, puisque il se pense comme au terme du processus historique. Il pense que son œuvre achève la philosophie, car elle est entièrement circulaire, d'où le titre de son Encyclopédie des Sciences philosophiques, tomes I | II | III (encyclopédie, i. e. cercle total du savoir - on peut lire par ailleurs, dans le fil Y a-t-il une subjectivité ?, ceci).

Il y a 2 dialectiques chez Hegel (dont l'une est une partie de l'autre) :
- au sens restreint, le moment de la négation (lire ou relire ici), le négativement rationnel. Dans le processus dialectique, c'est le 2e moment.
- au sens large, le/la dialectique = le/la logique ; le logique = l'ontologique (le logique = logos, mais comme le logos est le discours sur l'être, le logique est la révélation de l'être, c'est pourquoi le logique est ontologique). Enfin, le/la dialectique est un automouvement (mouvement/processus de réalisation du réel dans l'histoire ; mouvement/processus de révélation du réel dans le discours). Comme telle, la dialectique n'est pas isolable, et ne doit plus être pensée comme une méthode. Ceci, tant que le processus n'est pas fini.

Qu'on la tienne pour une méthode (certaine façon de parler, de dialoguer ; méthode de pensée), comme chez Platon, ou comme un mouvement négatif au sein du réel (dialectique hegelienne au sens restreint), dans les deux cas, la dialectique réalise le dépassement du donné, comme négation d'une immédiateté tenue pour mauvaise, comme expression de l'exigence philosophique du dépassement de l'immédiat. Cette négativité met sur la voir de la totalité : la synopsis (vue d'ensemble) chez Platon ; l'encyclopédie (savoir absolu) chez Hegel [ce que Kant conçoit comme une impossibilité].
Enfin, y a-t-il un après de la dialectique ? Oui, aussi bien chez Hegel que chez Platon.

La question du négatif :

Rappelons que le διαλέγεσθαι (point de départ de la dialectique platonicienne) marquait une double exclusion : exclusion de l'expérience ; exclusion du discours suivi. Le dialogue est une mie en question de tous les points de vue possibles, un détachement d'avec le 'dit' immédiat.
Or, seul Hegel peut faire du recueillement de l'expérience sa méthode philosophique. Jusqu'à lui, toutes les philosophies dialectiques refusent l'expérience.
La dialectique hegelienne conduit à l'essence, à l'idée. Cf. l'Encyclopédie des sciences philosophiques, I, §79 (p. 74 de la trad. Gibelin, Précis de l'encyclopédie des sciences philosophiques :

Hegel a écrit:
Le logique a, quant à sa forme, trois aspects : l'aspect abstrait ou accessible-à-l'entendement, l'aspect dialectique [au sens étroit] ou négativement rationnel, l'aspect spéculatif ou positionnement rationnel

(trad. in A. Kojève).


La dialectique au sens large, i. e. la logique, s'identifie au mouvement même de la réalité en tant que, dans et par ce mouvement, elle se révèle et se recueille dans le discours qui la pense. La dialectique au sens large comporte ces 3 moments. Le moment négatif, ou dialectique, est le moment moteur (moment, en allemand, est un concept chronologique qui désigne une étape, mais le mot désigne aussi un élément constitutif de quelque chose).
Tout processus d'évolution dans l'histoire, tout procès de réalisation comporte ces moments. Encore une fois, la dialectique au sens large, c'est ce mouvement.
Dans le passage ci-dessus, Hegel énonce les 3 catégories fondamentales de l'être qu'on retrouve dans son œuvre :
- moment 1 : l'identité à soi (moment assimilé aux philosophies de Parménide et de Platon). La première caractéristique de l'être, c'est d'être identique à soi.
- moment 2 : la négativité
- moment 3 : la totalité (unification, dépassement de soi, conservation de soi : aufhebung)

En quoi consiste le moment négatif ou dialectique ? en quoi consiste le travail du négatif ?
Toute immédiateté en vient, par un mouvement intérieur, à se nier elle-même, dans son immédiateté. Toute fixité originelle est dépassée et donc, en tant que telle, supprimée (cf. l'être de Parménide : dire l'être de l'être, c'est déjà se distancier de lui et donc, d'une certaine façon, le nier).
Comparons le début de La Logique et le début de la Phénoménologie de l'Esprit : l'objet comme visée d'un ceci, d'un immédiat singulier, se nie en tant que tel et passe dans son contraire, c'est-à-dire l'universel d'un ceci ou d'un maintenant. L'aspect abstrait correspond à cette fixité-stabilité qu'est l'idée platonicienne, une abstraction par rapport à la totalité. Le moment dialectique est celui où cette abstraction passe dans son contraire, devient un élément déterminé. C'est le moment proprement humain, celui de l'historicité véritable, où le décalage entre le sujet et l'objet est réduit à une négation. En tant que séparé de la nature, l'homme la nie en la travaillant. En tant qu'opposé à l'humanité, il travaille dans la lutte. Le réel est nié en même temps qu'il est conservé dans ce moment qui l'universalise.

Si, arrivée au sommet, la dialectique platonicienne s'achève et se nie elle-même dans la contemplation silencieuse de l'Un ; la totalisation hegelienne, toujours médiatisée par le négatif, est de l'ordre du dicible en chacun de ses moments constitutifs. C'est le réel lui-même qui, chez Hegel, est dialectique ; c'est le réel qui, de négation en négation, se constitue en totalité entièrement rationnelle et immanente (immanence de la rationalité au Tout, et immanence du Tout à lui-même). Or, dire que le réel est dialectique, dire qu'il est dicible et c'est dire qu'il est historique, puisque la totalité apparaît comme le résultat du mouvement dialectique (mouvement de retour sur soi, intégrant les moments de son déploiement). En effet, pour Hegel l'expérience (ici, l'histoire) est le dévoilement de soi-même à soi-même ; c'est ainsi seulement, par son développement dans l'expérience, que la conscience atteint sa réalité. La dialectique est une science de l'expérience de la conscience. Chaque expérience particulière de la conscience se nie elle-même, en tant que limitée, et trouve son accomplissement dans l'unité (tandis que chez Platon, incapable de rendre compte de ce dont elle est l'expérience, l'expérience est rejetée).

Selon Alexandre Kojève, la méthode hegelienne n'est pas dialectique mais phénoménologique. Elle serait dialectique si elle ne faisait qu'accompagner le réel. Mais, comme la philosophie hegelienne vient après le réel, elle n'est pas dialectique. Mais Hegel dit que la méthode, c'est le Tout, le processus du réel lui-même ; sa philosophie est la pensée de l'accomplissement de l'Être. Et, si la réalité de l'Être est dialectique, c'est qu'il se confond avec le devenir, avec l'histoire, avec l'expérience de la conscience. D'après Kojève encore, si l'on s'en tient à la Phénoménologie, seul ce qui est humain, historique, se caractérise stricto sensu par la dialectique, tandis que la nature n'est pas dialectique, puisqu'elle n'est pas historique. Pourtant, dans son Encyclopédie, Hegel dit bien que la nature est elle-même dialectique. Y a-t-il une contradiction ? Kojève a-t-il raison de ne suivre que le discours de la Phénoménologie ? D'après Althusser par exemple, la dialectique est un procès sans sujet (cf. son Lénine et la philosophie, suivi de Marx et Lénine devant Hegel, chez Maspero - pour une synthèse, on peut lire la 2e partie de cet article). Mais le sujet absolu ? lui demandaient les hegeliens. Althusser répond que Hegel ne dit jamais : "le sujet absolu", mais "sujet absolu". La nature serait donc sujet absolu à un moment donné de l'histoire.

Quoi qu'il en soit, chez Hegel comme chez Platon, la dialectique n'a pas d'autre fonction que de supprimer elle-même (dans le silence chez le premier ; dans le logos, chez le deuxième - compte tenu de la "dialecticité" du réel, mais aussi de l'achèvement de l'histoire). Le discours platonicien semble s'achever dans le silence de la contemplation du Bien ; la philosophie hegelienne dans le savoir total, dans le logos.

Attention toutefois, on peut renverser cette approche. En effet, que le Bien platonicien soit l'objet d'une contemplation dans le silence et non dans l'intelligence, certes. Mais la philosophie platonicienne est et reste une philosophie du logos. A partir du moment où, dans la République et dans le Parménide, l'impossibilité de dire l'Un est admise, c'est-à-dire aussi l'impossibilité de le penser, Platon se charge de constituer le logos (cf. le Sophiste), avec la notion de l'autre, du non-être de l'être (ou de l'être du non-être), qui rend justement possible le discours, et par là même la redescente, pour résoudre les rapports de l'Un et du multiple. Tandis que chez Hegel, si la dialectique mène à un discours parfait et total, il n'en reste pas moins que ce discours s'achève lui-même en lui-même et ne laisse plus rien à dire, sinon en se répétant indéfiniment lui-même.



Bibliographie très sommaire :
On pourra lire, dans l'Encyclopédie des sciences philosophiques I, les §80, 81 & 83 (§80=moment n°1 ; §81=moment n°2 ; §83=moment n°3). On retrouve ces paragraphes aux pages 470, 473 et 476 de l'Introduction de Kojève, dont on pourra lire la note 1 p. 474 et la note p. 434-435.

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Marx

Sources :
- dans La Sainte Famille, lire le Chap. 5, 2, "Le mystère de la construction spéculative, où Marx dénonce le caractère abstrait et spéculatif de la dialectique hégélienne,
- dans Le Capital, lire la Postface à la 2e édition allemande (1873), notamment la fin du texte, dont voici un extrait :

Marx a écrit:
Ma méthode dialectique, non seulement diffère par la base, de la méthode hégélienne, mais elle en est même l'exact opposé. Pour Hegel le mouvement de la pensée, qu'il personnifie sous le nom de l'idée, est le démiurge de la réalité, laquelle n'est que la forme phénoménale de l'idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l'homme.


- dans l'Introduction générale à la Critique de l'économie politique (1857), lire 3. Méthode de l'économie politique [en Pléiade, tome 1, p. 254]
- de Engels, lire La dialectique de la nature
- de Lénine, lire les Cahiers sur la dialectique de Hegel (notes prises en lisant La Logique de Hegel, notamment l'introduction).

Bibliographie française :
- Althusser, Pour Marx, Éd. La découverte, Chap. 6 (version anglaise) ; ainsi que Lire le Capital, Maspero, 1973.
- Étienne Balibar, Cinq études du matérialisme historique, Maspero, 1974, chap. 4 : "Sur la dialectique historique", p. 203.
- Gérard Bensussan, Georges labica, Dictionnaire critique du marxisme, Quadrige, PUF, art. "Dialectique", p. 312.
- Lucien Sève, Une introduction à la philosophie marxiste, Éd. sociales, 1980 (p. 672 notamment).

1. Dans l'Introduction générale à la Critique de l'économie politique, 3. "Méthode de l'économie politique", Marx explique que la méthode consiste à commencer par le réel et le concret. Pour répondre à la question de savoir si la population est la base et le sujet de l'acte social de la production dans son ensemble, toute hypothèse doit être tenue pour fausse dès lors qu'elle ne tient pas compte des classes qui composent la population. A leur tour, ces classes ne sont elles-mêmes réelles et concrètes que dans la mesure où l'on considère les éléments dont elles se composent, et sur lesquels elles reposent, savoir : le travail salarié, le capital, etc. A leur tour encore, ces éléments eux-mêmes supposent : l'échange, la division du travail, le prix, etc. Puis, de là, il faut retourner, remonter à la population.

La bonne méthode consiste à établir des rapports généraux abstraits et déterminants. Le concret, c'est la synthèse des déterminations, donc l'unité de la diversité (cela permet de comprendre pourquoi le concret n'apparaît dans la pensée que comme le travail de synthèse, que comme le résultat, alors même qu'il est le véritable point de départ). Les déterminations abstraites doivent aboutir à la reproduction du concret par la voie de la pensée (tandis que le réel n'est pas le résultat de la pensée). La méthode qui consiste à s'élever de l'abstrait au concret n'est, pour la pensée, que la manière de s'approprier le concret, de le reproduire en tant que concret pensé. Mais ce n'est nullement là le procès de la genèse du concret lui-même.

La totalité, telle qu'elle apparaît dans l'esprit comme un tout pensé, est un produit du cerveau pensant, qui ne fait là que s'approprier le monde de la seule manière possible. Le sujet réel subsiste, après comme avant, dans son autonomie, en dehors de l'esprit, tout au moins aussi longtemps que l'esprit n'agit que spéculativement, théoriquement.

2. Dans Le Capital (pp. 552-559 en Pléiade), la méthode dialectique consiste à trouver la loi des phénomènes :
- la loi qui les régit sous leur forme arrêtée
- dans leur liaison observable pendant une certaine période
- mais surtout, la loi de leur changement, de leur développement, de leur passage d'une forme à l'autre, d'un ordre de liaison à un autre.

Après cela, Marx se livre à un examen détaillé des effets par lesquels cette loi se manifeste dans la vie sociale. Le mouvement social désigne l'enchaînement naturel de phénomènes historiques, enchaînement soumis à des lois indépendantes de la volonté, de la conscience et des desseins de l'homme, mais qui déterminent sa volonté. La série des phénomènes, l'ordre dans lequel ils apparaissent comme phases d'évolution successives, doivent être étudiés très rigoureusement, car chaque période historique a ses propres lois.

Le procédé d'exposition doit différer, formellement, du procédé d'investigation. L'investigation s'occupe de la matière dans ses moindres détails. C'est à cette seule condition que l'exposition du réel, du mouvement réel dans son ensemble est possible.


Au total, on peut opposer la dialectique de Hegel et la dialectique de Marx. Chez Hegel, le mouvement de la pensée est le démiurge du réel, dont il n'est que la manifestation phénoménale ; chez Marx, le mouvement de la pensée, c'est la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l'homme.
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