Zingaro a écrit:Leopardi, Zibaldone[165]Le sentiment du néant de toutes choses, l'impuissance de tous les plaisirs à satisfaire notre âme, et notre inclination vers un infini que nous ne comprenons pas, s'expliquent peut-être par une raison très simple, plus matérielle que spirituelle. L'âme humaine (et il en va de même pour tous les êtres vivants) désire toujours essentiellement, et vise uniquement, bien que de cent manières différentes, le plaisir, ou encore le bonheur qui ne fait qu'un avec le plaisir. Ce désir et cette inclination n'ont pas de limites car ils sont innés et conaturels avec l'existence et, à ce titre, ne pouvant aboutir à tel ou tel état déterminé, qui ne saurait être infini, ils ne prennent fin qu'avec la vie.
Attention toutefois à prendre en considération, chez Pascal comme chez Leopardi, ceci qu'avec l'infini nous avons affaire à de l'incompréhensible qui, comme tel, fait échec à la raison.
Zingaro a écrit:l'homme, non seulement laisse libre cours à cette aspiration à l'infini, mais surtout la cultive avec ferveur ? En quoi d'autre qu'en un culte une telle chose pourrait-elle consister ?
Chez les hommes, peut-être, mais pas chez Pascal, ni chez Leopardi. Ni l'un ni l'autre ne sont des romantiques. Ils constatent un infini, comme une donnée, comme la donnée la plus significative du réel ; donnée face à laquelle il importe de tirer des conséquences quant à la place des hommes. Nous ne sommes pas de ce monde (nous n'y sommes pas chez nous et il ne saurait être tenu comme notre habitat naturel), mais nous sommes à ce monde (nous y vivons avec, pour, dans un dehors qui nous pénètre comme un autre auquel tient notre existence, autre que nous ne serons jamais). Altérité ; incompréhensible : voilà dans quoi nous sommes embarqués. Quand Pascal parie, il n'aspire pas à l'infini, ni ne voue un culte à Dieu : la raison ne peut rien face à l'incompréhensible, face à l'altérité. Notre conscience, tout à la fois misérable et grande, nous jette dans une condition, la condition humaine, qui est tragique. Ni la raison ni le mérite des hommes n'y changeront quoi que ce soit. Reste la Grâce (et la Grâce plutôt que la transcendance, ou la Grâce comme transcendance : comme ce qui nous dépasse, comme ce qui nous échappe). Et pourquoi la Grâce ? Et pourquoi pas la Grâce, en lieu et place du hasard ?
Enfin, n'oubliez pas le Chant d'un berger errant d'Asie : un poète jette à la face du monde, dans le silence du monde, une parole humaine qui ne trouve aucun écho, à laquelle nulle étoile ne répond. Vous conviendrez que nous sommes là dans quelque chose d'autre qu'une vulgaire affaire psychologique.
Du coup, on doit examiner votre question de la nécessité de l'existence ou de l'idée de l'existence de Dieu. Affirmation apodictique ? Mais alors on rétablit une raison pourtant mise en échec. Affirmation assertorique ? Mais alors, de quelle vérité parlons-nous ?