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Considérant l'être spirituel en l'homme, me voilà rendu à poser cette question : l'existence de Dieu est-elle nécessaire ?
Leopardi, Zibaldone
Pascal, Pensées
Section 3, pensée 233
Si le lecteur a bien voulu me suivre jusqu'ici, il conviendra avec moi, j'ose croire, qu'une formulation plus adéquate de la question peut être : l'idée de Dieu est-elle nécessaire ?
La nature nous veut désirant le plaisir lui-même et non pas des plaisirs particuliers - pensons aux mots de Pascal : "si vous gagnez, vous gagnez tout" - dès lors, n'est-il pas bon - sain - que l'homme, non seulement laisse libre cours à cette aspiration à l'infini, mais surtout la cultive avec ferveur ? En quoi d'autre qu'en un culte une telle chose pourrait-elle consister ?
Et Nietzsche sait bien tout ceci car tous ses écrits émanent de ces terres désolées où la chute de Dieu a vu refluer le désir, et lorsqu'il fait déclarer à son Zarathoustra que Dieu est mort, je pense qu'il est ironique ou du moins triste, car il sait que se pose aussitôt sur ses épaules l'immense projet et devoir qu'est l'avènement du nouveau Dieu qui verra affluer le désir à nouveau vers les strates les plus nobles du genre humain. On peut à ce titre aller consulter la préface du Gai savoir où il est immédiatement question de "foi ranimée en un demain et un après demain, du brusque sentiment et pressentiment d'avenir, de proches aventures, d'un grand large de nouveau offert, de buts de nouveau permis, auxquels on croit de nouveau". Les thèmes du dionysiaque et du sur-homme sont les avatars de son Dieu, nouveau-ancien comme il se doit, dont on trouvera la forme la plus générique dans le concept de volonté de puissance.
Considérant les seuls faits que le désir est infini en extension et que nous sommes des êtres de langage, ne peut-on pas déjà conclure que l'être humain produit du divin, quoi qu'il en soit ? Selon deux axes : en premier lieu il produit "l'Absoluité" elle-même, en tant que territoire qui se dresse devant lui ou disons par-delà lui, et tout élan utopique est déjà écho du divin, car enfin il se condense en l'idée du divin et y est contenu tout entier en substance, en second lieu parce qu'avec cet absolu, sans cesse repoussé et refluant, le rapport le plus puissant qu'il peut entretenir consiste en Dieu, en vertu de ce qui vient d'être établi et de ce qui suit : Dieu est la promesse d'un plaisir infini en durée comme en extension, en même temps qu'il en est la production - et ainsi de la foi comme le démontre Pascal à son vénal interlocuteur imaginaire.
Considérant l'être spirituel en l'homme, me voilà rendu à poser cette question : l'existence de Dieu est-elle nécessaire ?
Leopardi, Zibaldone
[165] Le sentiment du néant de toutes choses, l'impuissance de tous les plaisirs à satisfaire notre âme, et notre inclination vers un infini que nous ne comprenons pas, s'expliquent peut-être par une raison très simple, plus matérielle que spirituelle. L'âme humaine (et il en va de même pour tous les êtres vivants) désire toujours essentiellement, et vise uniquement, bien que de cent manières différentes, le plaisir, ou encore le bonheur qui ne fait qu'un avec le plaisir. Ce désir et cette inclination n'ont pas de limites car ils sont innés et conaturels avec l'existence et, à ce titre, ne pouvant aboutir à tel ou tel état déterminé, qui ne saurait être infini, ils ne prennent fin qu'avec la vie. Ce désir ne connaît pas de limites ni 1. en durée, ni 2. en extension. Il n'existe donc aucun plaisir qui lui soit équivalent 1. par sa durée, car nul plaisir n'est éternel, 2. par extension, car nul plaisir n'est sans limite : la nature des choses veut que tout ce qui existe soit limité et circonscrit. Ce désir du plaisir est illimité dans le temps car, comme je l'ai dit, il ne prend fin qu'avec l'existence, et si l'homme n'éprouvait pas ce désir, il n'existerait pas. Il ne connaît pas de limites en extension car il est substantiel en nous, non pas en tant que plaisir d'un ou plusieurs plaisirs particuliers, mais en tant qu'il est désir du plaisir.[...] Venons-en aux conséquences. Si tu désires posséder un cheval, tu crois le désirer en tant que cheval, en tant que ce plaisir-ci, mais en réalité tu le désires comme plaisir abstrait et illimité. Lorsqu'enfin tu possèdes le cheval, tu en retires un plaisir nécessairement circonscrit, et tu éprouves un vide en ton âme, car ton désir réel n'a pu être contenté.
[167]Aussi n'est-il pas surprenant 1. que l'espoir soit toujours plus grand que le bien espéré, 2. que le bonheur humain ne puisse consister que dans l'imagination et les illusions.
Pascal, Pensées
Section 3, pensée 233
[...] Ne blâmez donc pas la fausseté de ceux qui ont pris un choix ; car vous n'en savez rien. -" Non ; mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car, encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier."
- Oui ; mais il faut parier ; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqués. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. [...]
Si le lecteur a bien voulu me suivre jusqu'ici, il conviendra avec moi, j'ose croire, qu'une formulation plus adéquate de la question peut être : l'idée de Dieu est-elle nécessaire ?
La nature nous veut désirant le plaisir lui-même et non pas des plaisirs particuliers - pensons aux mots de Pascal : "si vous gagnez, vous gagnez tout" - dès lors, n'est-il pas bon - sain - que l'homme, non seulement laisse libre cours à cette aspiration à l'infini, mais surtout la cultive avec ferveur ? En quoi d'autre qu'en un culte une telle chose pourrait-elle consister ?
Et Nietzsche sait bien tout ceci car tous ses écrits émanent de ces terres désolées où la chute de Dieu a vu refluer le désir, et lorsqu'il fait déclarer à son Zarathoustra que Dieu est mort, je pense qu'il est ironique ou du moins triste, car il sait que se pose aussitôt sur ses épaules l'immense projet et devoir qu'est l'avènement du nouveau Dieu qui verra affluer le désir à nouveau vers les strates les plus nobles du genre humain. On peut à ce titre aller consulter la préface du Gai savoir où il est immédiatement question de "foi ranimée en un demain et un après demain, du brusque sentiment et pressentiment d'avenir, de proches aventures, d'un grand large de nouveau offert, de buts de nouveau permis, auxquels on croit de nouveau". Les thèmes du dionysiaque et du sur-homme sont les avatars de son Dieu, nouveau-ancien comme il se doit, dont on trouvera la forme la plus générique dans le concept de volonté de puissance.
Considérant les seuls faits que le désir est infini en extension et que nous sommes des êtres de langage, ne peut-on pas déjà conclure que l'être humain produit du divin, quoi qu'il en soit ? Selon deux axes : en premier lieu il produit "l'Absoluité" elle-même, en tant que territoire qui se dresse devant lui ou disons par-delà lui, et tout élan utopique est déjà écho du divin, car enfin il se condense en l'idée du divin et y est contenu tout entier en substance, en second lieu parce qu'avec cet absolu, sans cesse repoussé et refluant, le rapport le plus puissant qu'il peut entretenir consiste en Dieu, en vertu de ce qui vient d'être établi et de ce qui suit : Dieu est la promesse d'un plaisir infini en durée comme en extension, en même temps qu'il en est la production - et ainsi de la foi comme le démontre Pascal à son vénal interlocuteur imaginaire.