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Est-il possible d'enseigner la morale ?

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Monsieur Bleu
Dalva
Euterpe
Silentio
Janus
Liber
10 participants

descriptionEst-il possible d'enseigner la morale ? - Page 2 EmptyRe: Est-il possible d'enseigner la morale ?

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Janus a écrit:
Ma phrase que vous citez, en l'accusant d'un niveau de "café du commerce", se réfère pourtant à un article d'Yvon Quiniou

Je me moque pas mal de savoir à qui elle se réfère. Mais ne me prenez pas pour plus bête que je ne suis. Kthun commence son sujet par cette phrase :
Le ministre actuel de l'éducation nationale, Vincent Peillon, a fait part, il y a quelques mois, de son projet d'enseigner la "morale laïque" à l'école.

Ensuite, nous avons deux piliers de bar, l'un qui énonce que :
l'idée que la dette publique, en France, est une chose normale qu'il ne faut chercher ni à diminuer (en fait on ne cesse de l'augmenter) ni à rembourser est un discours largement diffusé par les journalistes économiques ; discours partagé par les intellectuels et surtout les gouvernants.

et l'autre :
l'incohérence de fond qui rend toute idéologie socialiste (qui prend ses racines dans le matérialisme marxiste) incompatible avec la promotion d'une quelconque morale, qu'elle soit scolaire ou extra scolaire.

Ces deux phrases visent clairement à créer une polémique sur le gouvernement actuel. Je n'ai que faire de vos opinions politiques à tous les deux. Si vous voulez vous payer les socialistes ou les communistes (ou quiconque, n'importe sa place sur l'échiquier politique), dorénavant, soit vous créez un fil dans la partie "bavardages", soit vous allez sur des forums généralistes. Je déplace ce sujet dans la section "bavardages". Normalement, Janus, je devrais vous bannir, puisque je vous avais déjà averti une première fois. Je considère que c'était il y a longtemps, donc je passe pour cette fois-ci.

descriptionEst-il possible d'enseigner la morale ? - Page 2 EmptyRe: Est-il possible d'enseigner la morale ?

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Janus, vous citez un article sans rien expliquer. Je doute que vous ayez lu suffisamment bien ce que vous rapportez comme parole d'Evangile. Vous dites que le socialisme est inconséquent s'il veut penser la morale. Soit, mais pourquoi ça ? Lisons l'article que vous nous proposez : le socialisme ou le communisme sont des matérialismes. Donc la morale n'a aucun fondement. Mais la critique nietzschéenne des valeurs et de la morale ne change rien au fait que, selon le même article, l'homme est un animal spécifique qui se distingue par l'invention de la morale. L'article met en avant le fait que l'homme est devenu un être moral et que la morale, loin d'être entièrement explicable d'après la biologie seule, nous confronte à la constatation que l'homme a besoin de la morale pour vivre. L'évolutionnisme, d'ailleurs, montre et constate qu'il y a surgissement, en tant que tel inexplicable (irréductible à toute cause, à toute nature humaine), d'une singularité propre à l'homme et que sa survie dépend de la morale. Pourquoi lui est-elle nécessaire ?

Elle n'est pas arbitraire, quand bien même elle serait déterminée comme stratégie de domination pour satisfaire certaines tendances vitales. Elle est nécessaire, dans le cadre politique, social et économique du marxisme, en ce qu'elle répond au besoin de cohésion de la société, laquelle est vitale pour les individus eux-mêmes. L'homme ne vit pas seul, les relations sociales impliquent la recherche des conditions du vivre-ensemble. Sans ça, ce serait la guerre de tous contre tous.

Et en effet, Hobbes, qui n'est pas mentionné dans l'article, nous mène à penser la nécessité de lois et de normes pour assurer ce vivre-ensemble. Certes, il pense avant tout à fonder la souveraineté politique, mais aussi le droit, et nous pourrions affiner la chose jusqu'à la morale (qui est bien, originellement, une affaire de mœurs constituant des modes de vie, ethos). Ce matérialiste pur jus nous indique bien que l'hypothétique état de nature (dans lequel on pourrait "retourner", même s'il n'a jamais été) est celui de l'anarchie et de l'anomie conduisant à la guerre, donc à la mort. C'est pourquoi la raison nous commande, par ce qu'on appelle la loi naturelle, et puisque chacun cherche son intérêt propre (notamment à conserver sa vie, puisque pour jouir encore faut-il être encore en vie et ne pas être menacé), de nous défaire de notre droit naturel sur toute chose au profit d'une soumission au pouvoir des institutions humaines. Bien sûr, il ne s'agit pas ici de dire si Hobbes a raison ou non, ni de dire qu'il justifie la morale : il s'agit de penser la condition de possibilité de la société et de la survie de l'espèce et de l'individu. Il faut donc faire des concessions. Mais le gain en vaut le prix : de toute façon, il n'y a pas de choix. Peu importe que la morale soit arbitraire, elle est ce qui maintient le minimum d'ordre social requis pour la viabilité de l'existence humaine, laquelle est toujours sociale.

Le marxisme, là-dedans, est une interprétation de la société et vise à penser à nouveaux frais les relations sociales (voyez, d'ailleurs, à quel point elles sont liées au politique, au droit et à l'économie : il est à chaque fois question d'établir des relations qui façonnent les mœurs, les conduites, et sont entretenues par elles). Et l'on ne peut discréditer le marxisme ou le socialisme sur ce plan en arguant qu'il s'agit d'une morale nourrie d'un héritage chrétien inconscient, car il s'agira encore de morale et le caractère chrétien d'une doctrine n'est pas un argument, en tant que tel, valorisant ou dévalorisant.

Par contre, on peut se demander si le marxisme est fidèle à sa morale, s'il émancipe réellement les hommes ou n'est pas lui-même une nouvelle idéologie se servant du catéchisme révolutionnaire et de la morale comme instruments de domination. Peut-être faut-il estimer que le marxisme, comme le christianisme, me coupe de ma propre puissance vitale sous l'impératif catégorique de la soumission présente au pouvoir en vue de la réalisation dans le futur d'une société idéale. A l'inverse, la pseudo-morale aristocratique oublie le problème politique en tant que tel, et donc la question de la morale : la politique est vue par le prisme de l'aristocratisme. La société est pensée en vue de l'émancipation et de la domination d'une caste sur la masse, laquelle travaille pour permettre le loisir des puissants et est instrumentalisée par les idoles élevées et alimentées par le petit nombre des créateurs de valeurs. Ce qui, pour certains critiques de la conception politique nietzschéenne, nous amène du côté du libéralisme théorisé par Locke. En ce sens, la conception des valeurs est peut-être elle-même dépendante d'autres valeurs qui peuvent être politiques sans être biologiques. Nietzsche serait le représentant de la bourgeoisie (cf. la critique de Lukacs dans La destruction de la raison).

La substitution moderne de l'éthique à la morale soulève le problème suivant : comment peut-on penser un code de conduite qui rend libre ? Comment concilier liberté et responsabilité, rapport à autrui ? Sur ce point, justement, le socialisme est une manière pertinente d'envisager le rapport de l'individu et de la société en vue de préserver les deux. Il n'est pas plus ou moins soucieux et juste que le libéralisme. Leur différence se fait néanmoins sur la conception du pouvoir et de l'économie. Le marxisme devrait pourtant être plus concerné par la morale puisqu'il met en avant le commun (la politique, la chose publique, res publica, ou commune) et l'égalité, c'est-à-dire le social, tandis que le libéralisme privilégie la conscience individuelle et considère la liberté et le pouvoir négativement, laissant plus de place à l'économie où l'individu, parce qu'il est rationnel, contribue, dans sa recherche de son intérêt personnel, au bien commun. Si l'on peut penser que les finalités sont semblables (la liberté de tous et de chacun), le point de départ et la méthode diffèrent. A noter que si la morale implique bien la liberté, elle implique aussi la responsabilité. Il me semble meilleur de favoriser ce qui nous est commun. Mais la morale ne risque-t-elle pas, par excès, de corrompre le lien social en supprimant la liberté de chacun lorsqu'il y a fusion avec le tout ? Le socialisme a au moins pour lui de n'être ni excessif comme le communisme ni comme certains libéralismes. Mais sous sa forme effective actuelle il n'est pas grand chose non plus.

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Silentio a écrit:
A l'inverse, la pseudo-morale aristocratique oublie le problème politique en tant que tel, et donc la question de la morale : la politique est vue par le prisme de l'aristocratisme. La société est pensée en vue de l'émancipation et de la domination d'une caste sur la masse, laquelle travaille pour permettre le loisir des puissants et est instrumentalisée par les idoles élevées et alimentées par le petit nombre des créateurs de valeurs. Ce qui, pour certains critiques de la conception politique nietzschéenne, nous amène du côté du libéralisme théorisé par Locke. En ce sens, la conception des valeurs est peut-être elle-même dépendante d'autres valeurs qui peuvent être politiques sans être biologiques. Nietzsche serait le représentant de la bourgeoisie (cf. la critique de Lukacs dans La destruction de la raison).

Oui, mais permettez-moi de vous dire que cette interprétation est totalement fausse. Nietzsche n'est absolument pas le "représentant de la bourgeoisie", il est inutile que je vous cite tous les cas où il affiche son mépris pour les snobs, ceux qu'il appelle les "philistins", d'un mot à la mode. Nietzsche critique notre vie moderne faite de travail et de loisir, c'est-à-dire qui place le travail comme valeur suprême, pour lui le travail est au contraire aliénation (Nietzsche est schopenhauérien là-dessus, il s'oppose à Hegel pour qui nous nous "réalisons" par le travail) et non appartenance à soi. La politique de Nietzsche s'adresse à n'importe qui, il n'y a pas de caste chez lui. Ses livres ne sont pas réservés à une élite, ils sont écrits "pour tous et pour personne". Dans Par delà..., Nietzsche trace les contours de ce qui est noble, libre à chacun de se conformer à cet idéal ou de vivre en "mouton", bien au chaud à l'abri du troupeau. Effectivement, Nietzsche est plus libéral que communiste, il déteste l'État qui brise l'individu. Mais Nietzsche n'aurait pas été un entrepreneur ou un "business angel", son idéal dans la vie n'était pas de faire de l'argent.

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Il veut pourtant assurer la domination d'une caste de maîtres. Sa critique du travail vise à assurer le loisir du petit nombre. Mais il est explicite quant au fait de maintenir le travail et la religion chrétienne pour le grand nombre. Les rares hommes vraiment libres ne sont possibles qu'au prix du sacrifice du grand nombre : pour produire des génies, comme aboutissement de la culture et donnant des buts à l'humanité, c'est-à-dire légiférant et commandant, il faut des esclaves. Il ne défend pas les bourgeois, mais il en fait le jeu en affirmant son aristocratisme. La question se pose cependant de savoir exactement qui fait partie des nobles, comment on y accède. Nietzsche parle des artistes, des philosophes, des intellectuels. Son modèle se rapproche peut-être de celui de la communauté des philosophes-rois de Platon. Mais en même temps, là où l'institution est clairement dirigée par ceux qui apprennent à devenir philosophes et accèdent au pouvoir parce qu'ils détiennent le savoir et ne veulent justement pas le pouvoir, ce qui leur permet de se conformer au Bien, il me semble que Nietzsche, même s'il souhaite voir établie la hiérarchie entre forts et faibles et l'ordre dans la société, est plus anarchisant : en effet, est-ce que les forts n'avancent pas masqués ? Sont-ils vraiment dans le gouvernement ou sont-ils des parasites qui déambulent librement ? Y a-t-il une institution réunissant les forts ou sont-ils une communauté de solitaires liés par leurs intérêts communs et vivant parmi les faibles dont ils profitent et savent profiter ? Concernant le travail, il me semble qu'il serait plus juste de distinguer le travail aliénant (par exemple le travail salarié qui me fait dépendre d'autrui ou de la machine) et le travail au sens hégélien (lequel épanouit, par exemple en tant que technique permettant à l'artiste de se sculpter lui-même dans la mise en forme de la matière et de son monde ; spontanéité et réceptivité sont réconciliées). Je crois que Nietzsche ne se souciait pas du sort du commun. Sa critique du travail et de la machine moderne n'a de sens que lorsque celle-ci avilit les forts (en les privant de leurs forces, de leur temps libre, de leur imagination, etc.).

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Silentio a écrit:
Son modèle se rapproche peut-être de celui de la communauté des philosophes-rois de Platon.

Plutôt du phalanstère de Fourier, il voulait en créer un, un groupe de "libres-esprits". Nietzsche a une vision de l'argent très simple, semblable à celle de Schopenhauer : il ne faut ni en avoir trop, ni pas assez. Il vit d'une très modeste pension avec laquelle il peut mener une vie itinérante qui convient à sa façon de méditer. On connaît sa sensibilité au climat, aux lieux, suivant l'état de son âme.

Y a-t-il une institution réunissant les forts ou sont-ils une communauté de solitaires liés par leurs intérêts communs et vivant parmi les faibles dont ils profitent et savent profiter ?

En effet, Nietzsche était à sa manière ce qu'on appelle aujourd'hui un profiteur, c'est-à-dire un rentier. Cependant, qui aurait voulu de sa vie ? Qui aurait voulu même de la vie de Schopenhauer ? Ces deux-là n'ont pas profité beaucoup, à l'aune de ce que ce mot signifie pour l'immense majorité des gens. Quant à la solitude de Nietzsche, elle était abyssale. N'en ira-t-il pas ainsi de tout libre-penseur ? J'ai ainsi bien du mal à croire qu'un tel solitaire ait voulu former une caste. Aurait-il souhaité devenir un Platon bis, descendant d'une lignée de nobles, vivant de son patrimoine (et non d'une pension ridicule), entouré d'une foule de disciples richissimes ?

Concernant le travail, il me semble qu'il serait plus juste de distinguer le travail aliénant (par exemple le travail salarié qui me fait dépendre d'autrui ou de la machine) et le travail au sens hégélien (lequel épanouit, par exemple en tant que technique permettant à l'artiste de se sculpter lui-même dans la mise en forme de la matière et de son monde ; spontanéité et réceptivité sont réconciliées).

Il est vrai que Nietzsche critique vertement la machine. Cependant, le travail au sens hégélien n'a rien à voir avec le philosophe qui occupe son temps comme bon lui semble. Hegel faisait ses 8 heures par jour. Schopenhauer écrivait 3 heures le matin, ensuite il se promenait, allait au théâtre, sortait pour manger... C'est de l'otium latin, une occupation du temps. Certes, Nietzsche a beaucoup souffert, mais ce n'était certainement pas pour se sculpter lui-même, car nul besoin de souffrance pour ce faire.

Je crois que Nietzsche ne se souciait pas du sort du commun. Sa critique du travail et de la machine moderne n'a de sens que lorsque celle-ci avilit les forts (en les privant de leurs forces, de leur temps libre, de leur imagination, etc.).

Il se souciait peu des ouvriers, certes, mais sa critique est une critique de la modernité, elle ne vise pas à protéger l'un plutôt que l'autre. D'ailleurs, Nietzsche enjoint les ouvriers à se révolter. D'une manière générale, je crois que vous vous enfermez dans une critique de la politique nietzschéenne qui, bien que logique, manque son but, car vous oubliez que Nietzsche attachait de l'importance uniquement à la vie idéale. Comment comprendre un homme qui fait tout le contraire de ce qu'il professe ? En ne cherchant pas à trouver de correspondance de son monde à lui dans le monde réel. Pareille remarque vaut tout autant pour Schopenhauer, son maître à penser. Sa vie et sa pensée sont deux choses très différentes. Il nous manque chez Nietzsche un livre sur la sagesse dans la vie. Nous avons heureusement sa correspondance. Vivre en nietzschéen, et vivre comme Frédéric Nietzsche, sont deux choses fort différentes. Il en va de même de sa politique.
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