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Désordres et désir

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Euterpe
Zingaro
6 participants

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Silentio a écrit:
Est-ce que c'est aussi en rapport à l'affect ?
Bien sûr, c'est pourquoi j'ai dit que le cérébral est affecté par. L'affect est même le "relai" principal de son rapport au réel.

Silentio a écrit:
Mais je suis "con" face à la réalité justement (ou je la comprends après coup).
En êtes-vous sûr ? Quand je parle de bêtise, ça se rapporte par exemple à de la naïveté, qui peut même parfois confiner à la niaiserie. Mais ça se rapporte également à la simplicité, qui consiste aussi bien à s'émerveiller de choses que personne ne remarque, qu'à ne jamais soupçonner chez les autres la moindre duplicité (quand il le faudrait), etc.

Silentio a écrit:
J'ai besoin des idées pour organiser le sens de ce réel, avoir une prise sur lui (plus que de vouloir le maîtriser intégralement). Mais je décris peut-être là un profil plus proche du penseur que de l'intellectuel, non ? L'intellectuel a quelque chose du savant, de l'expert, du technicien qui affirme une doctrine et manie les concepts sans pour autant vivre ses idées, en pâtir, subir le réel, s'ouvrir à la présence problématique de l'être, etc.
Vous décrivez effectivement un cérébral plutôt qu'un intello. Vous dites avoir besoin des idées. Mais c'est pour vous saisir du réel. Pour un intello, le réel n'existe pas : il n'a et il n'y a que des idées. L'intello s'émeut volontiers d'un événement qu'on lui rapporte ; qu'un événement se produise sous ses yeux : il ne s'en apercevra même pas.

Silentio a écrit:
comment savoir si une personne est dans l'authenticité (au sens quasiment heideggerien) ou non ? Qu'en pensez-vous ?
Aristippe de cyrène a écrit:
Je trouve cette distinction intéressante ! Mais j'admets ne pas la comprendre assez pour pouvoir, par exemple, la faire sur les auteurs. A quoi voyons-nous cette distinction ?
C'est une question de sensibilité, mais vous disposez de critères très nets. Rimbaud est-il le type de l'intello ? Non. A quoi le voyez-vous ? Ses poèmes parlent-ils de poésie ? de littérature ? de concepts ? d'idées ? Non. Ils sont la transposition, la sublimation de choses vécues, qu'ils font transparaître. Et que reste-t-il d'une chose qui transparaît ? L'être. L'expérience vécue est un gage de probité - pas infaillible, certes - : on est censé savoir de quoi on parle quand on en parle. Leconte de Lisle et Villiers de L'Isle-Adam, à côté, sont des intellos. Leur biographie ne détermine pas leur œuvre (je n'affirme pas qu'il faudrait que cela soit ainsi) ; sans son expérience vécue, Rimbaud n'aurait pas pu écrire la sienne (il n'aurait pas écrit ceci plutôt que cela, ou d'une manière plutôt qu'une autre : il n'aurait pas écrit).

Qu'on n'imagine pas que l'on comprend le monde uniquement par l'intellect ; on le comprend tout autant par le sentiment. Aussi le jugement de l'intellect représente-t-il tout au plus la moitié de la vérité ; et il doit, s'il est sincère, avouer son insuffisance.
Il y a des dons de l'esprit ; il y en a aussi du cœur qui ne sont pas moins importants. Mais on les oublie facilement parce que, dans ces-là, l'intelligence est souvent plus faible que le cœur. Et pourtant les hommes de cette sorte sont souvent plus utiles et plus précieux pour le bien de la société que ne le sont les autres.
On peut bien entendu, comprendre beaucoup de choses avec le cœur, mais alors, bien souvent l'entendement a de la peine à trouver la formulation intellectuelle et il n'est pas aisé de donner à ce que l'on a compris l'expression adéquate. Il y a, certes, une compréhension avec la tête et en particulier avec l'intelligence scientifique mais qui se fait souvent au détriment du cœur.
L'affirmation du cœur concerne toujours l'ensemble - au contraire de celle de l'entendement discriminant. - Les fibres du cœur retentissent comme la harpe éolienne, uniquement sous le léger souffle de l'humeur pleine de pressentiments qui n'étouffe rien, mais qui est aux écoutes. Ce que le cœur entend, ce sont les grandes choses qui embrassent la vie, les événements vécus que nous n'organisons point, mais que nous subissons.

C. G. Jung, L'âme et la vie.
Le cérébral use une part essentielle de son intelligence dans ce qu'il vit, dans sa réceptivité, dans son affect. Il cultive son affect. C'est à tort qu'on le prend pour un intello. Même pour lire l'œuvre de Rimbaud l'adolescent, qui n'est pas un cérébral, on croit souvent qu'il faut être un intello et recourir aux moyens d'un intello... Alors imaginez ce que ça peut donner avec un cérébral comme Bonnefoy ! On ne le lit que très peu, il paraît incompréhensible à beaucoup (du reste, même chez ceux qui le connaissent, beaucoup n'y comprennent rien). Quand quelqu'un se met en tête de comprendre ce qu'il lui arrive, on dit qu'il analyse, que c'est un intello.

Aristippe de cyrène a écrit:
Un homme peut-il être un peu les deux, cérébral et intellectuel ?
Bien sûr. Il y a tellement de cas de figure et de nuances ! Voyez l'œuvre de Spinoza. C'est quand même très intellectuel. Mais chez lui c'est une expérience vécue. Son TRE en témoigne avec force, simplicité et authenticité. Voyez l'œuvre de Mallarmé, qu'on a longtemps accusé de n'être qu'un intellectuel, alors qu'il s'agit pourtant d'une œuvre vécue. Chez eux, ce n'est pas l'intelligence qui habite l'affect, mais l'affect qui habite l'intelligence. Nietzsche n'a rien de l'intellectuel, mais combien de penseurs tels que lui dans l'histoire ? Il n'a pas le Q.I. ni le génie de Leibniz. Combien s'intéressent à la vie de Leibniz ?

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Merci Euterpe c'est une question que l'on m'a souvent posée et votre démonstration est éclairante.

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En ce sens, je comprends mieux pourquoi vous disiez que Deleuze, par exemple, était intellectualiste. Chez lui on ne trouve aucun pathos (sinon une joie que je trouve plutôt feinte, Deleuze est froid et sec). Il se plaisait à dire, en réponse à Foucault, qu'il était le philosophe le plus innocent. Mais cela m'a toujours semblé suspect - surtout pour quelqu'un qui aime les masques, les apparences et écrit sur le masochisme. Du Deleuze intime on ne connaît quasiment rien au travers de ses écrits. Certes, il a dû vivre intérieurement de nombreuses choses, mais sa philosophie ressemble à celle d'un jongleur qui s'amuserait avec des concepts comme si ceux-ci, au fond, importaient peu, ne disaient rien du réel et du rapport vécu de l'homme à ce réel.

Pourtant Deleuze fait une philosophie qui en dit beaucoup sur la relation des hommes au réel, une philosophie qui va aux tréfonds des subjectivités, au-delà, et de l'affect. Il dit même que le penseur est toujours amené à penser, contre lui-même, parce qu'il est dépassé par la vie, par le réel (ce sur quoi je suis d'accord : comme il le dit, on en vient à penser parce qu'on est blessé ou malade, ce en quoi je dirais au contraire de sa conception du désir que c'est qu'il y a un manque en l'homme, il n'est pas pleinement, c'est l'épreuve de la finitude et le besoin d'immortalité contrarié, être une partie du Tout consciente de ne pas être l'Un tout en le voulant pour son bonheur ; il y a le manque d'être, la béance de l'existence et le conatus insatisfait qui peut viser le Bien comme chez les mystiques). Il aménage le chaos pour ne pas suffoquer, la philosophie est chaque fois position d'un problème dans la rencontre d'une forme de vie, qui crée son langage et son habitat, avec un dehors inhumain.

Mais Deleuze est un philosophe dans la veine de Kant, comme il le dit dans l'Abécédaire le philosophe est un être d'habitudes. Deleuze, pas plus que Kant, n'a connu le monde. Il ne l'a saisi que par la médiation des œuvres. Mais là encore, il faut écouter Clément Rosset qui racontait en interview à quel point il ne comprenait rien à l'art, ne le vivait pas, n'ayant aucune véritable sensualité, tout ne servant jamais qu'à un défilé d'idées abstraites.  Il a besoin de ces habitudes, justement, face à ce réel multiple, insaisissable, mais finalement il se réfugie dans les idées qui perdent ce réel. Deleuze, sous l'apparence d'une philosophie ouverte à l'expérience, parle la langue des idées pures sans référence au réel. Sa philosophie vitaliste et expérimentale est tout l'inverse de ce qu'elle prétend être. Il suffit d'écouter Guattari : il invente des expressions, semble pratiquer une poésie qui saisirait les objets quotidiens, finalement on ne comprend rien et on ne sait pas où il veut en venir. Deleuze, qui est meilleur orateur et comme professeur, me donne toujours l'impression de parler dans le vide, de dire de manière compliquée et dans un langage abscons des choses qu'on pourrait dire plus simplement (en plus d'avoir une approche politique et artistique nulle). Il jouit de la maîtrise technique des concepts, mais où est la vie prônée là-dedans ? Où est le négatif, l'affrontement au réel ?

Il me suffit d'ouvrir son Bergsonisme pour ne rien y comprendre alors que cette philosophie (que j'espère nettement moins abstraite et assommante) se veut intuitive (même si l'intuition, à ce que j'en comprends, est une méthode pour se saisir du réel et y opérer des distinctions). Platon me semble déjà plus intéressant, surtout quand on sent en arrière-plan une formidable volonté de puissance, de connaissance et une ferveur qui animent sa philosophie (il n'est pas un esthète voulant dire tout et n'importe quoi - un sophiste). Hegel est profondément plus humain, confronté à l'inhumain de l'existence, dans sa Phénoménologie..., confronté à la violence du monde, à la perspective de la mort - même si par la suite il taira cela, bien que l'on puisse sentir un désir d'absolu, du divin, fascinant, et ce d'autant plus que c'est une visée inatteignable, un désir inassouvissable à la mesure de l'impuissance et de la fragilité humaines.

(Pardonnez-moi cette digression.)

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Merci pour les précisions Euterpe ! Et que pensez-vous du cas Cioran ? Désespéré Cérébral ou désespéré intellectuel ? :D

Silentio, ne vous excusez point de ce genre de "digression". Pour quelqu'un comme moi qui est véritablement en formation philosophique, chacun de vos messages m'apprend à penser et à me familiariser avec les auteurs

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Non, Cioran n'est pas un intello au sens où on l'entend ici.
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