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Y a-t-il une subjectivité ?

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descriptionY a-t-il une subjectivité ? - Page 8 EmptyRe: Y a-t-il une subjectivité ?

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Desassossego a écrit:
Liber a écrit:
Silentio a écrit:
Il y a donc une visée d'universalité dans la description d'une vie intérieure, d'un moi particulier. Augustin parle de la condition humaine. Peut-on dire la même chose d'un Sartre ?

Je devrais ajouter : "n'importe quel biographe de talent".

Voulez-vous dire que dans son œuvre autobiographique, Sartre est dépourvu de talent ?

Non, je ne connais pas Sartre. C'était une correction par rapport à mon message précédent :
Si son livre a eu un succès colossal dans l'histoire, il le doit à ce que des millions de gens se sont retrouvés en lui, comme en n'importe quel autobiographe.

descriptionY a-t-il une subjectivité ? - Page 8 EmptyRe: Y a-t-il une subjectivité ?

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Attention avec ce que vous appelez une "autobiographie" chez Saint Augustin. Desassossego a raison de rappeler que dans ses Confessions, il ne parle pas de lui. Que le narrateur soit un "je" ne signifie évidemment pas qu'on peut le concevoir comme on conçoit les récits à la première personne. Il n'y a pas de narrateur, dans les Confessions, mais un auteur. Or dans aucune autobiographie moderne (pléonasme) le narrateur n'est absent, précisément parce que l'auteur est le concepteur d'une œuvre littéraire. Ce n'est absolument pas le cas de Saint Augustin. En outre, un auteur est aujourd'hui un écrivain ; Saint Augustin est un auctor. Cette différence explique peut-être la confusion (ou sa tentation) entre un récit autobiographique et un récit personnel (je conviens avec vous que ce terme n'est peut-être pas le mieux choisi). Il se trouve que Saint Augustin parle de lui, mais comme il aurait pu parler d'un autre, pour peu que cet autre se fût converti au christianisme comme il s'y convertit lui-même. Peu importe de qui il s'agit : il s'agit d'une conversion. Un auctor nous semble un sujet, à nous autres modernes. Mais, il faut le répéter, il n'y a pas de sujet avant la Renaissance. Le mot même est un anachronisme.

Dante, auquel on ne pense jamais en ce genre de considérations (!), et dont l'écriture à la première personne tient plus de l'autobiographie que du lyrisme (il n'est que de lire sa Vita Nova), a clairement exposé de quoi il s'agit. Seules deux raisons autorisent à faire une œuvre "autobiographique" :

  • se défendre face à une accusation qui met en jeu sa propre réputation (c'est une affaire publique, et non privée) ;
  • ce qu'on a vécu est paradigmatique (exemplaire, édifiant, etc. ; là encore, c'est une affaire "publique", humaine, universelle, et non privée).
Giambattista Vico, auquel on ne pense jamais non plus (!), et qui écrivit une "autobiographie" avant Rousseau, hésita beaucoup et longtemps avant de se jeter dans une telle entreprise, car son œuvre n'était pas une "autobiographie" (chose ô combien scandaleuse même à la fin du XVIIIe siècle, après Rousseau, donc). Sauf à satisfaire aux deux critères plus haut, autrement dit sauf à parler d'autre chose que de soi, mieux valait éviter dans tous les cas, y penser était pure folie (et l'est encore, à mon avis). Vico prit soin de n'écrire qu'à la troisième personne (le sujet étant advenu, c'est un moyen de distanciation "naturel"), et de rester fidèle au seul objet de son œuvre : son histoire (à distinguer de biographie) intellectuelle. Je précise que jusqu'au XVIIIe siècle, on ne parle pas d'autobiographie, mais d'autographie (l'auteur, comme particulier, comme personne privée, n'est pas l'objet de l'œuvre).

Pas plus chez Saint Augustin que chez Dante ou Vico on ne peut parler d'introspection.

Ainsi, lorsque vous dites, Intemporelle et Silentio :
Intemporelle a écrit:
Ne peut-on pas penser quelque chose comme un sujet, déjà chez Saint-Augustin, dans ses Confessions ? L'introspection à laquelle il se livre dans cet ouvrage (même si on lui refuse le qualificatif d'autobiographie) me semble présupposer l'idée de sujet, de même que son analyse du temps, à travers l'idée d'une subjectivité qui constitue les trois instances temporelles (passé, présent, futur) sur un mode représentatif (attente, attention, mémoire). Avec le christianisme et l'individualisation par le péché, il me semble déjà y avoir l'apparition d'un sujet qui répond en propre de son existence devant Dieu, puisque pour que l'homme réponde de ses péchés, il faut déjà l'enchaîner à son identité, en faire un sujet. Par ailleurs, dans les Confessions, on a une parole assumée en première personne par un sujet qui raconte son histoire devant un être qui est considéré comme éternel et omniscient, et qui donc est déjà supposé connaître cette histoire. Les Confessions sont donc peut-être moins un dialogue de Saint-Augustin à Dieu, qu'un dialogue de Saint-Augustin à Saint-Augustin, et la confession ne serait donc pas vraiment un acte de révélation (à Dieu), mais plutôt un acte d'assomption de la conscience à elle-même par l'écriture introspective, une manière de s'approprier son histoire comme sienne, donc de s'affirmer comme sujet.
Silentio a écrit:
Il y a en effet un cogito avant l'heure chez lui.
Vous dites, en somme, que Saint Augustin pense (cf. aussi le dialogue intérieur chez Platon, la διάνοια), tout simplement. Avec, toutefois, le danger de l'habitude à la fois historique et culturelle de la pensée comme cogito (impliquant nécessairement le sujet), autrement dit, on l'oublie avec un systématisme révélateur, la pensée se pensant elle-même. Sauf que Saint Augustin ne pense pas la pensée, la pensée n'est pas l'objet de sa pensée.

Pour le reste :
Intemporelle a écrit:
Or ce Dieu auquel Saint-Augustin s'adresse, puisqu'il est omniscient, et en lui, connaît déjà cette histoire, voilà pourquoi j'émettais l'hypothèse que Saint-Augustin à travers l'acte de se raconter s'approprie cette histoire comme sienne, en tant que sujet, moins qu'il ne la révèle à Dieu. Confesser ses péchés, ce n'est pas tant raconter à Dieu ce qu'il sait déjà, que reconnaître que les péchés qu'il raconte sont siens, en tant qu'il est sujet doté d'un libre-arbitre. C'est un acte d'assomption par l'écriture. Ce n'est pas l'histoire d'une conversion que raconte Saint-Augustin, mais celle de sa conversion. Donc le sujet qui s'élabore chez Saint-Augustin est nécessairement ouvert vers Dieu (du fait de la structure spécifique du sujet chrétien, image de Dieu), il n'en est pas moins sujet.
On retrouve ce que j'entendais par auctor. Toutefois, vous privilégiez un côté seulement de la démarche augustinienne. Le paganisme a encore de beaux jours devant lui, au moment où Saint Augustin se convertit. Ses Confessions ont aussi la "vertu" de montrer que la fin de l'empire n'est pas la fin du monde (je tire du côté de la Cité de Dieu). Le christianisme est certes devenu la religion officielle, la religion du pouvoir, mais les païens (les paysans), autrement dit le plus gros de la population de l'empire, est à mille lieues de ce qui se joue sur le plan théologico-politique.

Liber a écrit:
Desassossego a écrit:
Certes, mais Saint Augustin n'écrit pas ses Confessions pour parler de lui, pour raconter son histoire

Je ne suis pas tout à fait d'accord. Si son livre a eu un succès colossal dans l'histoire, il le doit à ce que des millions de gens se sont retrouvés en lui, comme en n'importe quel autobiographe.
Les millions de personnes qui se sont retrouvées en lui partagent une expérience, une conversion (cf. l'exemple selon Dante), pas une "biographie" au sens où il s'agirait du récit d'un particulier racontant sa vie.

Enfin, même des autobiographies comme celles d'un Michel Leiris, L'âge d'homme, ou d'un Sartre, Les Mots, ou d'une Nathalie Sarraute, Enfance, ne sont pas limitées à la seule question d'un sujet particulier. Dans chacune de ces trois œuvres, l'enjeu dépasse de loin le seul enjeu d'une subjectivité aux prises avec ses expériences. Les titres respectifs des œuvres de Leiris et de Sartre sont éloquents et désignent exactement l'objet réel de leur "autobiographie". Quant à celle de Sarraute, il suffit d'en lire le seul incipit pour comprendre de quoi il retourne vraiment.

descriptionY a-t-il une subjectivité ? - Page 8 EmptyRe: Y a-t-il une subjectivité ?

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Euterpe a écrit:
Liber a écrit:
Desassossego a écrit:
Certes, mais Saint Augustin n'écrit pas ses Confessions pour parler de lui, pour raconter son histoire

Je ne suis pas tout à fait d'accord. Si son livre a eu un succès colossal dans l'histoire, il le doit à ce que des millions de gens se sont retrouvés en lui, comme en n'importe quel autobiographe.
Les millions de personnes qui se sont retrouvées en lui partagent une expérience, une conversion (cf. l'exemple selon Dante), pas une "biographie" au sens où il s'agirait du récit d'un particulier racontant sa vie.

Il n'en reste pas moins qu'Augustin est le premier autobiographe de l'Antiquité (avec peut-être la Lettre VII de Platon). Je ne vois pas pourquoi vous mettez en avant les passages sur la conversion, comme si c'était là l'essentiel du livre. Augustin nous raconte sa vie comme on le ferait aujourd'hui. Il décrit son enfance, son adolescence, ses amours, sa mère, ses voyages, ses lectures, la mort d'êtres chers. Il parle à la première personne, ce qui change beaucoup des autres auteurs latins, où le moraliste est toujours présent, et qui écrivent à l'intérieur de formes convenues. Son christianisme l'autorise à exprimer ce qu'il a de plus profond en lui, il n'a pas à se guinder en sage. Nietzsche se trompait quand il critiquait dans les Confessions le vieux rhéteur malin. Le livre a touché par son naturel, sa naïveté. Je ne connais pas d'autres livres dans l'Antiquité du même genre. C'est à cela qu'est dû son succès, la rareté de ce genre d'écrits dans l'Antiquité.

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Liber a écrit:
Je ne vois pas pourquoi vous mettez en avant les passages sur la conversion, comme si c'était là l'essentiel du livre. Augustin nous raconte sa vie comme on le ferait aujourd'hui. Il décrit son enfance, son adolescence, ses amours, sa mère, ses voyages, ses lectures, la mort d'êtres chers. Il parle à la première personne, ce qui change beaucoup des autres auteurs latins, où le moraliste est toujours présent, et qui écrivent à l'intérieur de formes convenues. Son christianisme l'autorise à exprimer ce qu'il a de plus profond en lui, il n'a pas à se guinder en sage. Nietzsche se trompait quand il critiquait dans les Confessions le vieux rhéteur malin. Le livre a touché par son naturel, sa naïveté. Je ne connais pas d'autres livres dans l'Antiquité du même genre. C'est à cela qu'est dû son succès, la rareté de ce genre d'écrits dans l'Antiquité.
Sa démarche n'est en rien comparable à celle de qui écrirait une autobiographie. Ce qu'il a de plus profond en lui lui vient de Dieu (cf. la miséricorde et la grâce, j'y viens plus bas).
qu’il n’y ait pas de défaillance pour mon âme sous ta discipline, ni de défaillance pour moi dans la confession que je te fais de tes miséricordes, par lesquelles tu m’as arraché de toutes mes voies perverses (I. 15, 24)
Ainsi, il ne raconte pas sa vie "comme on le ferait aujourd'hui", car les événements de sa biographie n'ont d'importance que rapportés à Dieu. L'œuvre a certes la forme d'une autobiographie, mais c'est Saint Paulin qui la lui demande comme il l'avait demandée d'abord à Alypius ; mais c'est un Augustin converti au catholicisme qui écrit, qui choisit significativement la fameuse contemplation ou extase d'Ostie, soit les années 386-387 comme fin de ses Confessions (mort de sa mère) - donc les 33 années de son paganisme (fautes passées, confessio peccati ou vitae, autrement dit l'aveu, la repentance). C'est aussi une confessio fidei et une confessio laudis, pour reprendre les termes mêmes de Saint Augustin, successeur direct de Saint Paul à plusieurs égards. Que comprendre de cette œuvre sans les questions du péché originel, du libre-arbitre, de la question du mal et de sa querelle anti-pélagienne - et même sans le succès révélateur de l'augustinisme au XVIIe siècle, notamment auprès des jansénistes, qui ne badinaient pas avec l'autobiographie ? A la question suivante :
D'où me vient donc de vouloir le mal et de ne pas vouloir le bien ? (Conf. VII, 3)
Augustin répond, dans De la rémission des péchés, que la volonté
n'a besoin pour le mal que de son libre arbitre et ne saurait faire le bien sans le secours de la grâce
Nous sommes à mille lieues d'une existence racontée pour elle-même. Le succès des Confessions est moins le succès d'une œuvre que le succès de l'augustinisme, qu'il s'agisse d'une préfiguration du cogito ou de la question de la grâce. Le cogito de Saint Augustin annonce bien moins celui de Descartes que celui de Descartes n'est conçu en un temps où Saint Augustin est incontestablement la plus grande autorité spirituelle et intellectuelle en France. Henri-Irénée Marrou a écrit de très bonnes pages à ce propos. Après avoir multiplié les exemples témoignant de son autorité dès les premières années du XVIIe siècle, il écrit :
Cela finit par devenir une obsession : on n'ose plus formuler de réserves, de critiques ; Saint Augustin en toutes choses a toujours raison : Rome devra en 1690 condamner, parmi les erreurs des Jansénistes, l'opinion qu'il suffit qu'un point de doctrine ait été professé par Saint Augustin pour qu'on soit autorisé à le soutenir envers et contre tous, le Pape y compris.

Rien n'atteste mieux la place de premier plan qu'occupe Saint Augustin dans la mentalité du XVIIe siècle français que le rôle joué par lui dans le développement du cartésianisme. Mersenne dès la première lecture du Discours sur la méthode, le grand Arnauld au lendemain de la parution des Méditations métaphysiques, signalèrent à Descartes la rencontre surprenante entre certains raisonnements du grand Docteur et l'argument du Cogito. [...][Cette rencontre parut admirable aux contemporains], providentielle, lourde de signification, conférant à la philosophie nouvelle une autorité inattendue. Les premiers partisans de Descartes ne cessent de célébrer cette "conformité de la doctrine de Saint Augustin avec les sentiments de M. Descartes (pour un peu on concluait que celui-ci après tout n'avait rien inventé) : si différentes (Pascal l'a bien senti) que fussent les perspectives propres à chacun des deux penseurs, on situait le cartésianisme, pour son plus grand honneur, sur le prolongement de l'augustinisme.

Il faut d'ailleurs souligner que, par un mouvement inverse, la lecture de Descartes s'est trouver influencer de façon profonde (et durable) la compréhension de Saint Augustin. On peut se demander si, jusque-là, le XVIIe siècle n'avait pas vu, dans l'évêque d'Hippone, surtout le docteur ecclésiastique et le maître de vie spirituelle : au contact de Descartes, on découvre en Saint Augustin un "homme de très grand esprit et d'une singulière doctrine, non seulement en matière de théologie, mais aussi en ce qui concerne l'humaine philosophie", - comme écrit Arnauld dans les fameuses Quatrièmes Objections. Mieux encore, c'est couvent à travers le prisme cartésien qu'on apprend à découvrir la pensée augustinienne [...].

Saint Augustin et l'augustinisme, Maîtres spirituels, Éd du Seuil, 1955.

J'ai repris en diagonale Jerphagnon, Gilson, Pincherle, Courcelle ou encore Béatrice Bakhouche, aujourd'hui, et, franchement, je ne trouve rien qui puisse apporter une quelconque crédibilité à l'hypothèse d'une autobiographie. Sa Lettre CCXVII à Vital (de 427) me paraît encore le meilleur argument contre toute interprétation "moderne" de ses Confessions, interprétation dont je maintiens que c'est un fâcheux contresens.

descriptionY a-t-il une subjectivité ? - Page 8 EmptyRe: Y a-t-il une subjectivité ?

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Mais, peu importe l'importance du penseur, la manière dont il s'y prend pour mettre en scène son individualité, il reste, du moins je le présume, que chez Augustin, aussi bien que chez Rousseau, par exemple, on accède à l'universel par le particulier. (Et au particulier par l'universel ?) Rousseau c'est encore la condition humaine. Peut-être même encore plus lorsqu'il met le plus en avant son ego et adopte des attitudes qui peuvent nous exaspérer - ce sont aussi les nôtres...
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