Silentio a écrit: Les symboles présents sur le dessin sont vraiment intéressants : au fond l'infini ou Dieu (le soleil ou la lumière qui se répand), la mer, l'échelle de Jacob faisant le lien entre les mondes, un bloc de granit cassé et non géométrique (l'existence ?) et une sphère (l'être, le bonheur de l'unité, de la plénitude ?) au pied de l'ange abattu (déchu ? comme l'homme ?).
Attention quand même, on a fait dire et on continue à faire dire beaucoup de choses à cette gravure d'un ésotérisme que, pour ma part, je trouve excessif, et qui ne contribue pas vraiment à sa beauté. Dürer, ici, me paraît avoir voulu dire trop de choses. Au total, le symbolisme de l'œuvre est si flagrant qu'on ne voit plus l'œuvre elle-même. Pourtant, à force de la fréquenter, on peut retrouver la simplicité de l'idée qui l'anime. C'est et ça reste une des œuvres les plus représentatives de la mélancolie (la tête penchée, lourde comme un roc, les instruments du savoir gisant de toute leur inutilité, etc.).
Liber a écrit: Rembrandt a une force dramatique dans ses gravures qui rend l'analyse des symboles moins essentielle. Par ailleurs, ces symboles me sont assez indifférents, tandis que dans le Chevalier et la Mort, ils m'impressionnent davantage par leur influence sinistre. De là j'en conclus que le beau ne se révèle pas après une analyse du tableau, mais avant toute réflexion.
Si on en reste au thème de la mélancolie, on pourrait dire la même chose des Madeleines de Georges de la Tour, dont la symbolique reste toujours très suggestive et d'une grande simplicité, le peintre se contentait de peu pour dire beaucoup. A côté, Dürer semble bien bavard.
Silentio a écrit: Ce n'est pas parce que les hommes font chacun une expérience différente du Beau que ce dernier n'existe pas. Ce n'est pas le Beau qui est fâcheux, ce sont les différentes dispositions à en jouir, ou du moins à le reconnaître. C'est donc bien une affaire de relativisme, mais pas de la valeur du Beau, seulement de la relation qu'on entretient avec ce Beau qui se présente, quelles que soient ses formes, de toute manière à un moment ou à un autre. Cela dit, c'est peut-être une affaire de langage, néanmoins il nous arrive à tous de penser des expériences, semble-t-il diverses, sous le patronage du Beau. Peut-être est-ce l'homme qui devient insensible, pourquoi pas par manque d'éducation. Cela signifie-t-il qu'il faut savoir se montrer digne du spectacle que nous offre le Beau ?
Tout dépend de quel côté du platonisme on se trouve. Sans céder au snobisme, je crois que Platon avait bien raison de ne réserver les choses du Beau qu'à une élite éclairée. Pour autant, peut-on affirmer l'existence du Beau en soi ? Surtout, cela revient à affirmer quoi ? L'être ainsi du monde, êtres et choses ? Je le crois volontiers pour ma part, mais alors ce n'est plus seulement une question de rapport au beau. On pourrait éduquer, former des milliers d'abrutis qu'au final nous n'aurions pas plus de personnes sensibles à la beauté. On n'a jamais réformé le vulgaire. On a démocratisé les choses et, toutes proportions gardées, il n'y a pas plus ni moins de personnes réceptives à la beauté, même et peut-être surtout chez celles qui croient qu'il ne s'agit que d'une question de sensibilité et qui ne voient les choses que dans un sens : certaines choses les affectent, donc ces choses sont belles. Pas plus ni moins que des capteurs un peu élaborés, un peu seulement.
vif a écrit: Il semble que le Beau nécessite absolument qu’une relation s’établisse entre un être et un objet, qu'on ne puisse parler que de la beauté liée à un rapport
La beauté
est un rapport.
vif a écrit: on peut aussi effectivement envisager et essayer de définir une beauté en soi de l’objet par un certain nombre de caractéristiques, de qualités intrinsèques
Intrinsèques ? Un en soi des choses ? Ou bien la série des éléments qui constituent l'objet ? On pourrait énoncer la plupart des caractéristiques à nous connues qui permettent de dire de quoi un objet est fait. Nous n'aurions pas accès à ses qualités intrinsèques. L'affaire n'est pas qu'intellectuelle, si peu même.
vif a écrit: un être peu sensible (s’il en est) et inculte pourra trouver beau un objet que ne trouvera pas beau un être plus sensible ou/et plus cultivé, pourra-t-on dire alors que cet objet est beau ? Et on peut toujours trouver un être plus sensible et plus cultivé que soi qui, à cause de cela, trouvera laid un objet que nous trouvons beau.
Vous prenez la chose comme avec l'histoire de la poule et de l'œuf. Prenez une Renault 12 habillée d'un tuning douteux, avec volant recouvert d'une peau de zèbre, un pommeau de levier de vitesses rose à pois verts, et des autocollants Panini accrochés au rétroviseur. Vous m'excuserez de juger que cet objet est de mauvais goût, quoiqu'en pense le beauf qui, par ailleurs, éprouve une fierté narcissico-schizoïde à brandir l'objet ultime de son autojouissance. Bref, c'est un peu autre chose que de voter sur Youtube pour une video qu'on aime ou pas. Je vous l'ai dit ailleurs, ce n'est pas affaire d'opinion, ni d'émotion, ni de réaction. Dire qu'une chose est belle ou laide ne consiste pas à donner un avis. Pour le coup, lire ou relire Kant, pas seulement la
Critique du jugement, mais aussi et peut-être surtout le début de la
Critique de la raison pure. Au total, si vous ne jugez la chose que comme on juge une élection au suffrage universel, vous n'y arriverez pas, quelle que soit par ailleurs la pertinence de votre questionnement. Si Marcel opine que la Vénus de Milo qui se trouve sur la terrasse de Popol n'est pas belle, Popol n'y peut rien, et Popol n'y peut rien parce que l'opinion de Marcel ne prouve rien : elle n'est
que l'opinion de Marcel, et elle le sera tant que Marcel ne comprendra pas que Popol n'est pas dans l'opinion.
vif a écrit: Par où j’en reviens à une question candide posée plus haut : peut-on parler d’une part de décision, de choix, dans le processus qui conduit à un état mélancolique, compte tenu d’un rapport supposé avec l’intelligence et l’espace de liberté qu’elle offre, ou s’agit-il d’une maladie complètement subie ? Les mélancoliques disent-ils quelque chose à ce sujet ?
C'est délicat. Les mélancoliques n'ont pas demandé à être ou naître mélancoliques. Toutefois, la complaisance est souvent flagrante, chez eux.
Intransigeance a écrit: Non pas que ma réponse soit mélancolique, mais en effet, je pense que l'on a une part de responsabilité, ou du moins, une sorte de plaisir malsain à rester enchaînés dans une mélancolie latente.
Dans ce cas, on n'est plus dans la mélancolie. Complaisance ou pas, on n'en sort pas.
Intransigeance a écrit: la beauté que je ressens (et qui est, en effet, propre à chacun).
La beauté est propre à chacun ? Mais alors il faudra m'expliquer pourquoi ceux-là mêmes qui bassinent les autres avec cet argument sont les premiers à revenir à la charge à la première occasion.