Liber a écrit: "La tragédie grecque enfantée par l'esprit de la musique". Je pense tout de même que Nietzsche a un peu trop vite confondu l'opéra et le drame antique, si nous pensons au peu d'importance de "l'orchestre" antique et par contre, à celle, capitale, de la politique dans la cité, ce que confirme le développement dialectique de la tragédie par Euripide, visible déjà dans le rôle du choeur. Evidemment, Nietzsche va essayer de nous démontrer que c'est une décadence par rapport aux temps dionysiaques.
Où voulez-vous en venir ? :scratch:
Liber a écrit: Avez-vous lu le livre de Thomas de Quincey ?
Non, je ne l'ai pas lu.
Liber a écrit: Voilà pourquoi la morale kantienne ne me convient pas. Je ne veux pas traiter un homme comme s'il était l'humanité entière.
J'éprouve un profond dégoût pour la niaiserie de mes camarades qui jubilent en découvrant l'universalisme kantien, obnubilés qu'ils sont par leur humanisme poisseux et leur moraline, ne s'apercevant même pas qu'ils déprécient ce qu'ils disent aimer par dessus tout (la dignité de la personne).
Liber a écrit: Je ne suis pas du tout d'accord. C'est l'inverse qui me semble vrai. Nietzsche remonte au judaïsme parce que c'est là qu'il trouve les valeurs décadentes
Il me semble dire à peu près la même chose, sauf que d'après moi l'ennemi principal de Nietzsche est le christianisme, non le judaïsme dont le christianisme ne serait qu'une nouvelle incarnation. Certes, Nietzsche oppose la Judée et Rome, mais il ne faut pas oublier que le christianisme est aussi distinct du judaïsme et qu'il est même en rupture par rapport à lui (c'est la révolte des esclaves contre la noblesse des prêtres qui détiennent le savoir). Il y a bien d'emblée dans le judaïsme des valeurs et un noyau de décadence, mais je dirais qu'elles le sont surtout au regard des civilisations européennes, c'est-à-dire que ce qui correspondait au seul peuple Juif et l'a fortifié (il me semble d'ailleurs que le judaïsme conserve un fort attachement à la vie, contrairement au christianisme, de même que c'est un peuple d'abord guerrier puis d'artistes, des meilleurs comédiens) a cependant fait le malheur de Rome dont la vitalité de son peuple reposait sur un tout autre rapport à soi et au milieu.
Liber a écrit: c'est encore un Juif auquel Nietzsche attribue la victoire du christianisme (Paul)
Même si Paul véhicule encore des valeurs juives je ne suis pas certain que Nietzsche le considère encore comme un Juif. Le problème de Paul c'est son ambiguïté, justement parce qu'il rompt avec la tradition juive et la conserve en même temps, procédant à la mise en place d'un universalisme qui fait triompher la Judée sur le monde alors même qu'il dissout la spécificité juive dans le même mouvement.
Liber a écrit: Pour autant, je ne vois pas Nietzsche en vouloir à un homme, par contre je le vois se battre férocement pour ses idées. Nietzsche peut donc tout à fait aimer les Juifs et ne pas du tout apprécier leurs idéaux, et sur ce point, ne leur faire aucun "cadeau".
Là encore c'est ambigu, du moins pour moi, parce que l'antijudaïsme (portant sur les valeurs) n'est pas nécessairement de l'antisémitisme, sauf à considérer que le Juif est celui qui se revendique comme tel (on combattra le rabbin au même titre que le curé), avec la particularité qui fait que la judéité associe religion, culture et race. D'un autre côté, Nietzsche peut aimer les Juifs qui sont des individus considérés hors de leur communauté, notamment ceux qui sont marqués par la culture juive ou sont désignés comme Juifs par une tradition sans pour autant qu'ils la suivent, le mieux étant qu'ils rejettent eux aussi le judaïsme (on notera qu'au XIXe siècle il ne devait pas être évident qu'on puisse être un individu avant d'être un représentant de la communauté à laquelle on appartient ou on est censé appartenir ; l'époque était clairement raciste et essentialiste, plaquant à l'étranger une identité quasiment métaphysique de Juif .en soi, quels que soient sa vie et ses choix).
Liber a écrit: Attention à ne pas confondre avec la présence dans le monde moderne de gens ayant gardé quelques-uns des traits des hommes antiques, ce qui semble bien être le cas chez les Juifs, plutôt que de penser que Nietzsche admire la culture juive, ce que je ne vois nulle part chez lui, pas plus que de toute culture en dehors de l'Antiquité. Il admire la Renaissance italienne tant qu'elle cherche le renouveau par l'Antiquité, et il admire aussi la France de Louis XIV.
Ils sont préférables dans un monde où vivent les derniers hommes. Nietzsche dit même quelque part qu'il faudrait envisager un métissage entre européen et Juif. Je ne sais plus cependant où cela figure, si c'est un peu avant ou après GM.
Liber a écrit: Vous le savez très bien. Pour la même raison que Nietzsche l'a rejetée. Dans un monde "oscillant entre la souffrance et l'ennui", il n'y a plus que ce sentiment de disponible. Vous pouvez ôter tout ce qui fait le christianisme, l'amour, la pureté, l'espoir, et qui justifie la pitié. Schopenhauer n'est pas chrétien, il est bouddhiste. Or rien de plus dur comme religion que le bouddhisme. C'est presque du nietzschéisme, où on cherche le plaisir pour soi-même, en opposition à la souffrance ("le plaisir veut l'éternité").
Non, je ne sais pas. Ou ma fatigue actuelle m'empêche de réfléchir suffisamment. Je sais qu'il valorise la pitié, non à quelle fin. Peut-être parce qu'il en a besoin pour son éthique, mais d'après ce que j'ai compris Schopenhauer peut bien se passer des autres en se concentrant sur le génie qui renonce à lui-même pour fuir la souffrance du monde.
Liber a écrit: Vous confirmez ma thèse si vous dites cela. Je veux le pouvoir pour jouir du sentiment de puissance. Je ne dis pas autre chose.
Ce qui est aussi ma thèse depuis le début. Nous ne sommes pas d'accord sur la bonne appellation à donner à la volonté. Je privilégie l'expression de volonté de puissance en tant que ce que la volonté recherche c'est l'affirmation de soi et la puissance, qui est toujours un surplus d'être et de force, mais cela passe nécessairement par le pouvoir ou la domination, bien qu'ils puissent se réaliser au travers de la culture et non seulement dans la guerre.
Liber a écrit: Mais qu'y a-t-il de noble là-dedans ? Ne trouvez-vous pas que Nietzsche colle sa noblesse sur ce monde féroce comme un autocollant ?
Où voulez-vous en venir ?
Liber a écrit: Je n'aime pas le but moral que vous semblez réintroduire à la fin : "se parfaire", ça sonne comme une injonction pythagoricienne ou platonicienne.
Je pensais plutôt à la perfection chez Spinoza, dans l'effort continu pour persévérer dans notre être. Ce que fait un Borgia lorsqu'il répond à sa grande passion, satisfait ses désirs et élabore des stratagèmes pour réaliser son dessein. C'est là que les instincts se réunissent, entre la vitalité, l'éducation, la rapidité du jugement, la prise de risque, la maîtrise de soi, l'intelligence et le goût pour l'action. Il peut à la fois être un homme de culture et un prédateur raffiné.