Bonjour,

Je tenais à écrire cet article parce que je suis un peu dérouté par le chapitre 15 du Traité Théologico-politique de Spinoza, œuvre de génie par ailleurs, mais qui montre, du moins à la lecture que j'en ai pour le moment, une faiblesse, précisément à cet endroit. Si vous voulez le lire avant de me répondre, il n'est pas bien long ; la discussion n'en sera que meilleure.

Dans ce chapitre, Spinoza étudie les rapports de la raison et de la foi (donc de la philosophie et de la théologie), et se pose la question de savoir s'il faut faire plier ou la raison sous la foi, ou la foi sous la raison. Deux points de vue se dessinent alors :

- Celui de Maïmonide, qui affirme qu'il faut faire plier l'Ecriture sous le poids de la raison
- Celui de Jehuda Alpakhar qui dit l'inverse (en réaction à Maïmonide)

Il a déjà réagi antérieurement à la position de Maïmonide, et je ne développerai pas ce point, parce que ce n'est pas là-dessus que porte de toute manière le chapitre, mais sur la position d'Alpakhar. Ce qui est certain, c'est que Spinoza dira ne retenir aucune des deux solutions. Alpakhar, en effet, a ce point commun avec Spinoza qu'il reste collé aux Écritures, geste que Spinoza trouve louable, mais au prix d'une raison humaine tronquée, humiliée, qui est davantage la marque d'une foi craintive que d'une foi de confiance.

D'où la question principale de Spinoza dans ce chapitre : comment concilier foi et raison ? Hypothèse de Spinoza :

Spinoza, Traité théologico-politique, ch. XV a écrit:
[la Théologie consiste en] la révélation en tant qu'elle indique le but auquel nous avons dit que tend l'Ecriture (la raison pour laquelle et la façon dont il faut obéir, en d'autres termes les dogmes de la piété vraie et de la foi)


D'après Spinoza, il est possible de concilier foi et raison, parce que la foi, qu'il définit avant tout comme obéissance à la loi divine, a des raisons, est rationnelle. Si l'on ne développe pas une foi consistant en la croyance aux miracles surnaturels, qui est absurde et basée sur des faussetés et des erreurs d'interprétation, mais une foi sincère, basée sur l'obéissance à la loi divine et aux révélations prophétiques (qui ne sont que des commandements), alors elle devient rationnelle.

Seulement, par la suite, on dirait que Spinoza est pris à son propre piège : lui qui promettait de ne pas s'évader des Écritures pour expliquer les écritures, et ce sans bousculer, tromper ou nier la raison, tombe sur un os... Cet os, c'est la question du salut. Car il est dit dans les Écritures que cette obéissance, qui est la fin de la foi, est la voie du salut. Là, on entre dans le domaine de la croyance, nous dira Spinoza. Mais rien ne nous permet rationnellement d'expliquer cette croyance. Spinoza se sort de cette impasse en posant que si le cœur des prophètes incline au juste et au bon, nous ne pouvons croire qu'ils aient déliré en ayant eu cette révélation-là. Nous sommes donc portés à les croire par la certitude morale de leur infinie bonté.

Plusieurs choses me chiffonnent, et j'attends vos lumières pour m'éclairer :

- Étant donné qu'il n'arrive pas à concilier la raison avec la thèse du salut par l'obéissance, est-ce que Spinoza ne retombe pas dans les travers de Jehuda Alpakhar ? N'est-il pas obligé, à cause de la question du salut, de se rendre à l'évidence que la raison doit quelquefois se plier aux Écritures ? Auquel cas, l'entreprise de ce chapitre nous laisse un peu sur notre faim, voire nous déçoit...
- Spinoza dit à un moment que nous pouvons justifier notre croyance au salut par la certitude morale que les prophètes ont un cœur qui incline au juste et au bon : quel est la faculté rationnelle qui nous convainc d'une telle chose ? Là aussi, ne le croit-il pas par simple soumission aux dires de l'Écriture ?

En espérant que vous saurez m'éclairer, je vous souhaite une bonne lecture de ce passionnant chapitre.