Edit : je viens de me rendre compte qu'il y a une partie du forum qui traite les sujets moraux/sociétaux. Mon sujet ici présent serait-il mieux dans cette section ? Je pose la question en doutant, parce que ce sujet me paraît relever d'une "généralité de la philosophie", ou bien je me trompe ?
Bonjour, bonsoir.
Ce site est français et j'ai pensé qu'exposer un sujet "typiquement belge" qui me tient à cœur ici pour connaître vos avis en tant que philosophes d'une autre patrie serait intéressant. Je vous expose la situation en quelques mots ; ensuite je vous présente deux textes qui illustrent les deux idées maîtresses quant à la question débat qui, pour résumer, repose sur les cours de morale et de religion, et leur réforme qui soit aboutit à un cours de citoyenneté où l'on apprend des valeurs, soit à un cours de philosophie classique tel qu'il est organisé en France.
Voici un extrait d'un article du journal LeSoir (Mis en ligne jeudi 12 mars 2015, 20h50) :
En effet, il faut savoir que jusqu'alors, des cours de religion ou de morale non-confessionnelle étaient suivis à partir de la première secondaire (12 ans) deux heures par semaine par les élèves de l'enseignement public. Ces derniers ont le choix au préalable entre religion catholique, protestante, orthodoxe... et la morale.
Après l'arrêt de la Cour constitutionnelle, un débat se pose pour choisir la meilleure réforme possible de ces cours. Deux idées s'opposent.
Voici à présent deux articles sur les deux positions qui me semblent aller à l'encontre l'une de l'autre ; ils sont tirés de la revue belge "PROF" (n°26).
Article 1 :
Article 2 :
Retrouver les articles sur : http://www.enseignement.be/upload/docs/000000000005/000000011534_UEDSJOVA.pdf#page=18
Au sortir de ces lectures, je souhaiterais vous demander : quel est votre regard extérieur sur cette situation ?
Bonjour, bonsoir.
Ce site est français et j'ai pensé qu'exposer un sujet "typiquement belge" qui me tient à cœur ici pour connaître vos avis en tant que philosophes d'une autre patrie serait intéressant. Je vous expose la situation en quelques mots ; ensuite je vous présente deux textes qui illustrent les deux idées maîtresses quant à la question débat qui, pour résumer, repose sur les cours de morale et de religion, et leur réforme qui soit aboutit à un cours de citoyenneté où l'on apprend des valeurs, soit à un cours de philosophie classique tel qu'il est organisé en France.
Voici un extrait d'un article du journal LeSoir (Mis en ligne jeudi 12 mars 2015, 20h50) :
Ce jeudi, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt où elle considère que l’organisation des cours de religion dans l’enseignement officiel en Fédération Wallonie-Bruxelles ne respecte pas la Convention européenne des droits de l’Homme.Origine de la problématique
En 2013, les parents de Giulia, une élève au Lycée Jacqmain, à Bruxelles, ne souhaitaient pas que leur fille de 4ème secondaire suive les cours de religion ou de morale non confessionnelle. Selon eux, cela revenait à choisir obligatoirement une orientation philosophique ou religieuse, ce qui « ressort du domaine privé ».
[...]
(L'article en entier : http://www.lesoir.be/820372/article/actualite/regions/bruxelles/2015-03-12/ce-qu-il-faut-retenir-polemique-sur-cours-philosophiques)
En effet, il faut savoir que jusqu'alors, des cours de religion ou de morale non-confessionnelle étaient suivis à partir de la première secondaire (12 ans) deux heures par semaine par les élèves de l'enseignement public. Ces derniers ont le choix au préalable entre religion catholique, protestante, orthodoxe... et la morale.
Après l'arrêt de la Cour constitutionnelle, un débat se pose pour choisir la meilleure réforme possible de ces cours. Deux idées s'opposent.
Voici à présent deux articles sur les deux positions qui me semblent aller à l'encontre l'une de l'autre ; ils sont tirés de la revue belge "PROF" (n°26).
Article 1 :
Cours « philosophiques » : qui a peur … de la philosophie ?
Article paru dans « PROF-Magazine », n°26 (juin 2015), journal à destination des professionnels de l’enseignement édité par la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’article est également disponible sur le site http://www.enseignement.be
Les cours philosophiques dans l’enseignement obligatoire sont à nouveau d’actualité. Premier acte : en juillet, l’accord du gouvernement FWB prévoit l’introduction d’un « cours de citoyenneté » à la place d’une des deux heures actuellement dévolues aux cours de religion ou de morale. Deuxième acte : les attentats de Paris et de Copenhague font éclater l’échec patent du « vivre-ensemble » dans nos sociétés européennes. Troisième acte : la Cour Constitutionnelle rend un Arrêt qui déclare les cours de morale et de religions facultatifs dans les écoles du réseau officiel.
Néanmoins, l’affaire est bien mal embarquée. Que les cours « philosophiques » doivent être réformés, nul ne le conteste. Principal grief, en cette ère « post-Charlie » : ils séparent les élèves, clivant les positions au lieu de les rapprocher. Mais ce qui se dit moins sur les plateaux de télévision, mais beaucoup à la maison entre parents et élèves, c’est aussi que ces cours sont d’une pitoyable inconsistance. On n’y apprend rien ou presque. Les enseignants ne sont pas en cause ; c’est l’absence de référentiels solides, aggravée par la concurrence entre les différentes options convictionnelles, qui les condamne à renoncer à la moindre exigence en termes de contenus et d’évaluation.
Hélas, comme c’est parti, le futur cours de citoyenneté risque d’être d’une plus grande vacuité encore. Dans une interview récente (Le Soir 4-6 avril), la Ministre de l’Enseignement Joëlle Milquet a indiqué que selon elle, ce futur cour devrait enseigner les religions et la morale, la philosophie, la « citoyenneté participative », mais aussi l’éducation à la santé, au bien-être, à l’amour, aux sentiments, au respect de l’autre, à l’esprit critique aussi. Pour finir de nous persuader qu’on baigne dans le n’importe quoi, elle ajoute : « chaque jeune pourrait avoir son brevet de secouriste. Il y a la sécurité routière aussi, les drogues » (sic ! ).
Quand le brouillard est épais, il faut de fortes balises. J’en propose deux.
Première balise. Quelle est la mission fondamentale de l’école ? Depuis toujours, une querelle oppose les tenants de l’instruction (Condorcet : l’école comme transmission de savoirs) et les tenants de l’éducation (Jules Ferry : comme transmission de valeurs). C’est Condorcet qui a raison. Il me paraît hautement problématique, en contexte démocratique, d’assigner à l’école la fonction d’inculquer des valeurs morales, c’est-à-dire d’être un lieu de production d’identité politique ou idéologique. Car précisément, quand cette fonction normalisatrice prend le dessus, c’est toujours au détriment des savoirs, des matières. C’est ce que l’on voit aujourd’hui : les savoirs transmis se trouvent réduits à une sorte de viatique minimal, dont l’étendue diminue toujours plus face au constat que même ce minimum n’arrive pas à être assimilé. La seule fonction d’éducation d’une école démocratique, c’est de former des « citoyens responsables ». Or un citoyen responsable n’est rien d’autre qu’un être capable de penser par lui-même. L’instruction transmet des savoirs ; l’éducation forme à un certain rapport à ces savoirs et valeurs qui transitent dans la société. C’est pourquoi l’on est consterné de lire dans la DPC que le but du futur cours de citoyenneté sera « l’apprentissage des valeurs démocratiques, des valeurs des droits de l’homme, des valeurs du vivre ensemble ». Comme si notre monde ne dégoulinait pas de valeurs, d’humanisme, de bons sentiments …
Je voudrais donc plaider (seconde balise) pour que, dans les cours philosophiques, on fasse ce que l’on n’a jamais fait jusqu’à présent : de la philosophie ! Or, la philosophie n’enseigne pas des valeurs, mais un certain rapport critique aux valeurs. Kant a écrit une Critique de la raison pratique, Nietzche une Généalogie de la morale. La question qu’ils posent, c’est : d’où viennent les valeurs ? A quelles conditions sont-elles possibles ? Quelle est la « valeur » de ces valeurs ?
En Belgique, la philosophie reste obscure aux yeux de beaucoup. On croit souvent qu’il s’agit d’un réservoir d’options spirituelles, au même titre que les religions. Faux. La philosophie, depuis Socrate, c’est au contraire un geste de rupture avec nos opinions, nos croyances, un écart critique avec nos habitudes de pensée. Cet écart critique permet (au moins) deux choses :
- le dialogue raisonné avec l’autre – celui qui ne pense pas comme moi, qui a d’autres croyances, d’autres coutumes. Ce dialogue doit consister en un exercice autonome de la pensée au contact d’une diversité de points de vue et de prises de position argumentées. Telle est la philosophie : penser par soi-même en apprenant à penser autrement, avec les autres ;
- le partage entre une opinion personnelle et un énoncé à portée universelle. Que des élèves disent aujourd’hui à leurs professeurs : « vous croyez à la Shoah, mais moi je n’y crois pas, c’est mon droit » ou « Darwin avait son opinion, moi la mienne » est infiniment plus inquiétant, on en conviendra, que de savoir s’ils ont bien assimilé quelque catéchisme « humaniste » prétendument universel.
La philosophie est la seule discipline à pouvoir servir de socle solide aux trois objectifs que l’on assigne généralement au futur cours de citoyenneté : (1) la connaissance des normes (et non des valeurs) fondamentales de notre société (notamment cette norme fondamentale selon laquelle la loi de l’État est supérieure à quelque loi religieuse) ; (2) la culture de l’esprit critique ; (3) le dialogue interconvictionnel.
Pourquoi une discipline enseignée à peu près partout en Europe rencontre-t-elle tant de résistances dans notre pays ? Qui a donc peur de la philosophie ? Ceux, peut-être, qui s’inquiètent à l’idée d’un discours qui encouragerait nos enfants à penser par eux-mêmes ?
Avec de nombreux collègues, nous avons récemment signé un texte (Le Soir, 3 avril 2015) qui appelle à la création d’un véritable cours de philosophie. J’en épingle deux phrases en guise de conclusion :
« Nous demandons que la citoyenneté soit conçue comme un apprentissage de la réflexion critique sur les valeurs, les raisonnements, mais aussi les institutions et les règles juridiques qui soutiennent nos jugements et nos prises de position politiques. En clair : dans une perspective démocratique, apprendre à problématiser toutes les normes, et à n’en tenir aucune pour évidente. À ce titre, c’est un véritable cours de philosophie qu’il s’agit – qu’il est urgent – de créer »
« Nous sommes convaincus que l’Arrêt de la Cour présente une opportunité dont il faut se saisir : celle de donner enfin aux élèves de la Communauté française les outils philosophiques que nous sommes seuls, en Europe, à leur refuser encore. Car s’il s’agit bien de mettre au cœur de l’enseignement les enjeux de citoyenneté, c’est d’abord par une pensée vivante que nous y parviendrons, et non en l’éteignant sous de lénifiantes injonctions au civisme et à la moralité ».
29 juin 2015
Article 2 :
« Neutralité » ou « Bienveillance » ?
Dans son arrêt du 12 mars dernier, la Cour Constitutionnelle belge a estimé que tout élève pouvait, sur simple demande, être dispensé de l'obligation de choisir entre un cours d'une des religions reconnues en Belgique ou un cours de morale laïque. La Cour a ainsi mis une belle pagaille dans un dossier rendu déjà particulièrement sensible par le projet d’introduction d’un cours de citoyenneté lors de la rentrée 2016. Force est de constater que cet arrêt a provoqué une regrettable crispation des positions et menace de réveiller une guerre scolaire qui n’émeut que les irréductibles de chaque camp. Il est tout de même ironique que tout le monde s’accorde sur l’importance du dialogue interconvictionnel, mais qu’un tel débat tourne au dialogue de sourds. Plutôt que de vouloir s’accrocher à un compromis logiquement dépassé au bout d’un demi-siècle, ou de vouloir profiter de l’occasion pour régler de vieux comptes avec des religions sans se rendre compte qu’elles ne jouent plus du tout le même rôle qu’hier, partons plutôt d’un double principe. Oui, l’organisation actuelle des cours convictionnels dans l’enseignement officiel doit être revue. La volonté de permettre à chacun d’avoir accès à un cours propre à ses convictions pouvait être opportune dans une société partagée entre quelques grands courants convictionnels. Elle se heurte par contre à des limites pragmatiques insurmontables dans une société où le pluralisme convictionnel s’est fortement accentué. Reconnaissons également que la présence de cours convictionnels dans des écoles, organisées ou subsidiées par l’État, devrait avoir comme corolaire un contrôle public du contenu des cours et des aptitudes pédagogiques des professeurs.Mais admettons également qu’il serait malheureux de jeter le bébé avec l’eau du bain. À l’heure où de nombreuses personnes au sein de la société sont en quête de sens, où d’autres trouvent auprès de discours intégristes une réponse à la marginalisation qu’ils subissent, les religions et les convictions philosophiques ont plus que jamais leur place dans le programme scolaire. Et, soyons plus précis, un cours où l’on parlerait «sur les religions» plutôt qu’«à partir des religions»(1)n’est pas suffisant. Dans nos sociétés diverses, comprendre le phénomène religieux et convictionnel, connaître les fondements des convictions des autres et maitriser les principes d’une organisation démocratique de la société sont des compétences absolument indispensables.Mais le rôle de l’école ne se réduit pas à transmettre des connaissances. Sa finalité doit être de favoriser l’épanouissement personnel, en ce compris sur le plan existentiel. De plus, pour pouvoir comprendre les autres, encore faut-il parvenir à se construire soi-même. Créer du vivre-ensemble ne signifie pas rendre possible la coexistence d’individus dotés de convictions claires et définitives, mais assurer la rencontre de personnes affinant constamment leurs convictions. Les convictions peuvent évoluer, a fortiori lorsqu’il s’agit d’enfants, notamment de très jeunes enfants. L’enjeu des cours convictionnels n’est dès lors pas de leur apprendre à taire leurs certitudes, mais bien à voir en l’autre celui qui, parce qu’il est différent, leur permet de se doter de convictions de plus en plus riches. C’est pourquoi il faut éviter de transformer la neutralité en un nouveau dogme. Si la neutralité veut dire que le professeur ne peut pas faire du prosélytisme, que le contenu du cours ne peut se réduire à un simple catéchisme, je ne peux qu’être d’accord, mais j’ose espérer qu’aujourd’hui déjà la plupart des cours convictionnels et ceux qui les donnent font preuve d’une telle neutralité. Si, par contre, la neutralité implique que les enseignants ne peuvent pas exprimer des convictions personnelles, je ne la crois pas souhaitable. Je lui préfère la bienveillance philosophique, c’est-à-dire la volonté de comprendre la pertinence du discours de l’autre, les raisons pour lesquelles il le tient, les questions auxquelles il essaie d’apporter une réponse, avant d’éventuellement exprimer son désaccord et les motifs de celui-ci. C’est cette bienveillance, non la neutralité, que je souhaite que mes enfants apprennent. Et comment pourraient-ils mieux le faire qu’en voyant leur professeur la mettre en pratique ? Par conséquent, le cours qu’il nous faut repenser aujourd’hui doit premièrement apprendre à forger ses convictions sans les transformer en certitudes et, deuxièmement, mettre en dialogue des personnes qui témoignent de leur engagement, tout en étant prêtes à le remettre en cause en écoutant les autres. L’importance respective de ces deux objectifs devrait sans doute évoluer dans le temps. Les premières années pourraient accorder plus d’attention à l’approfondissement d’une conviction particulière. Cela permettrait notamment de s’assurer que les élèves bénéficient d’un enseignement convictionnel qui ne soit pas fondamentaliste. Toutefois, en raison des limites pragmatiques déjà évoquées, il ne sera pas possible d’offrir une palette de cours couvrant toutes les convictions présentes dans la société. Mais peut-être faut-il faire de nécessité vertu et rompre avec le mythe selon lequel les élèves adhèrent aux convictions du cours qu’ils suivent. D’ailleurs, si l’ensemble des élèves de l’enseignement catholique étaient des croyants convaincus, les églises ne seraient pas vides le dimanche matin... Au fil des ans, le programme de ce cours devrait accorder de plus en plus d’importance à la citoyenneté et au dialogue interconvictionnel. Cela permettrait à chacun de relativiser les convictions héritées de son enfance, de faire l’apprentissage de la diversité et de construire progressivement, dans l’échange avec les autres, les convictions qui guideront son entrée dans l’âge adulte. Mais, à mon sens, ce deuxième objectif doit bien être traité dans le cadre du même cours que le premier, idéalement en prévoyant des moments de rencontre entre les classes et des échanges de professeurs. Ce n’est pas en écoutant un discours neutre, mais en entendant un musulman parler de la richesse de la Torah juive, ou un catholique discuter avec un athée de l’apport de l’humanisme laïc, que les enfants apprendront la bienveillance et le vivre-ensemble
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Laurent DE BRIEY
Professeur de philosophie politique à l’UNamur et à l’UCL
(1) Selon l’expression – et le souhait – de mon collègue
Jean Leclercq, coordinateur du récent ouvrage Morale et religion à l’école ? Changeons de paradigme, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2015.
Retrouver les articles sur : http://www.enseignement.be/upload/docs/000000000005/000000011534_UEDSJOVA.pdf#page=18
Au sortir de ces lectures, je souhaiterais vous demander : quel est votre regard extérieur sur cette situation ?