Disons que chaque groupe a son propre système de valeurs (sa "morale"), relatives à ses conditions d'existence. De même pour chaque individu (dont on remarquera qu'il n'est pas détaché du social, contrairement à ce que l'on pense, la notion d'individu apparaissant tardivement avec la modernité, lorsque l'emprise de la tradition et les solidarités anciennes s'effritent, le laissant s'émanciper). L'éthique c'est reconnaître cela, sans imposer du dehors une morale (car il faut aussi reconnaître que chacun n'incarne pas une valeur qui existerait en soi, hors de la communauté qui s'en réclame), bien qu'il faille penser une manière de vivre ensemble avec autrui, par-delà ou avec nos différences (la crainte des moralisateurs, c'est que l'absence de norme suprême ne permette le chaos et la guerre). Mais l'éthique n'impose rien de ce qui se référerait à une vérité absolue dont la loi contraindrait tout le monde aveuglément. Le problème de la morale, alors même qu'elle prétend à l'universalité, et donc imposer à tous une norme dont on peut pourtant douter de l'objectivité, c'est qu'elle n'est finalement jamais que relative à un individu ou à un groupe particuliers. Bien entendu, il y a une aspiration à la morale qui doit être comprise. Par exemple, si les morales s'opposent, on peut se demander si, toutes étant fausses, on ne doit pas chercher autre chose pour tous. Mais pourquoi devrait-il exister un ordre, indépendant des hommes, qui réponde à leur besoin d'ordre ? Pourquoi vouloir absolument trouver un fondement légitime à nos comportements ? Ne peut-on pas plutôt partir des différents modes de vie qui existent et trouver quelques principes pour une entente qui ne nie pas les différences (au risque, sinon, que la morale écrase ce qui ne correspond pas à ses critères, devienne une forme d'impérialisme) ? L'éthique, chez Spinoza par exemple, mène à comprendre qu'il existe des individus aux besoins différents, visant tous le bien mais par des moyens différents (et peut-être même des biens différents). La morale, à prétention universaliste, dirait plutôt qu'il n'y a qu'un mode de vie qui vaille absolument et qu'il faut rectifier les autres qui sont dans l'erreur (ou le péché) : on va alors vouloir imposer le bien à tous (par exemple dans la morale chrétienne), même, au fond, contre ses propres intérêts. Or, si chacun possède des mœurs (sens du terme morale d'un point de vue éthique), la morale n'est pas partagée par tous. Les uns sont cannibales, considérant qu'il est bon de manger des humains, les autres ne le sont pas. Mais seuls les Européens ont la prétention de croire que leur propre morale non seulement peut, mais doit s'appliquer à tous, lesquels sont sinon dans l'erreur. On punira alors les cannibales parce qu'ils seraient des sauvages, des barbares, l'antithèse du civilisé qui sait, lui, ce qui est absolument bon (au-delà de ce que chacun peut croire bon pour lui-même). On pourra dire qu'une perspective éthique est alors relativiste, mais elle n'empêche pas d'élaborer quelques règles pour vivre en communauté. Concrètement, on peut aussi avoir un exemple de l'éthique par l'amitié : où il y a justement une dimension commune qui se dessine dans les rapports noués entre des individus pourtant différents et qui reconnaissent leurs différences et qu'ils sont liés par un même désir de liberté.