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Transformer les opinions en pathologies.

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4 participants

descriptionTransformer les opinions en pathologies. - Page 2 EmptyRe: Transformer les opinions en pathologies.

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Je trouve que c'est une question très intéressante que vous posez là : on pourrait même l'élargir, pourquoi pas, aux normes en général.
Qu'est-ce qui définit par exemple les normes esthétiques, de tout ce qui a trait à la beauté ? À combien se monte le chiffre d'affaire lié aux "industries de la beauté" ? Cela doit être complètement colossal à mon avis.

Les normes esthétiques sont un produit du système chez nous, en particulier économique, et aboutissant à de véritables renversements de valeurs : au XIXème siècle, plus une femme était ronde, meilleure sa santé devait être (sans doute vrai, la ligne et le fait de devoir la garder est une invention moderne, seule l'obésité est vraiment dangereuse pour la santé). Donc plus une femme était ronde, plus on la considérait comme belle ce qui constituait un critère à la fois pour trouver un emploi et se marier. Une porte d'entrée vers une "normalisation" de type social, la voie royale même... Une sorte de malthusianisme bizarre a vu le jour avec ces mannequins quasi squelettiques qui ne se nourrissent que d'une pomme par jour pour garder la ligne au point de provoquer des réactions indignées dans divers milieux, des féministes mais pas seulement.. même au point d'envisager une juridiction et je crois qu'une loi est en projet interdisant les podiums et défilés aux jeunes femmes trop maigres. De cette façon faire pression sur les maisons de couture qui leur imposent cette norme... Peut-être est-elle déjà votée d'ailleurs : je n'en sais rien... 
En tout cas plusieurs mannequins ont fait des malaises à répétition dont certaines durant les défilés, preuve que ce n'est sûrement pas diététique, cette histoire, ni bon pour la santé.
Et évidemment le risque est qu'en imposant un critère extérieur comme celui-ci, être belle c'est être quasiment squelettique selon les normes des maisons de couture, et cela entraîne fatalement que des ados et jeunes femmes s'engagent là-dedans et finissent par devenir quasiment anorexiques, ce qui est vraiment pour le coup dangereux et néfaste pour la santé évidemment.
On peut même en mourir.

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Il ne faut pas confondre opinion et norme. L'opinion est descriptive : elle exprime ce qui est (ou, en tout cas, ce qu'on tient pour tel, ce que l'on croit être tel). La norme est prescriptive : elle dit ce qui doit être. Un exemple tiré de l'actualité : soit l'énoncé "Philippe Pétain est le vainqueur de Verdun". Cet énoncé, lorsqu'il est prononcé par Henri Rousseau, est une opinion que ledit historien justifie par une confrontation (de son point de vue, réussie, en ce sens, c'est une opinion vraie) avec ce qui est (en l'occurrence, ce qui fut). La même phrase, dans la bouche de Macron, devient une norme dans la mesure où elle est prononcée pour exprimer ce qui doit être dit compte tenu des circonstances politiques et médiatiques de son énonciation et sans aucun égard pour la vérité ou la fausseté de ce qu'il avance (notamment lorsqu'il parle du "maréchal" Pétain, ignorant qu'il n'y a plus de "maréchal" Pétain depuis que celui-ci a été déchu de toute dignité nationale).

Ce qui est significatif, dans ce fil de discussion, c'est la confusion entre les deux concepts. Significatif pour la raison suivante : depuis toujours les normes (ce qui doit être, donc ce qui doit être dit ou pensé) formatent l'opinion. Lorsque le cardinal Barberini explique à Galilée qu'il ne doit pas y avoir de satellite à Jupiter, c'est bien pour éliminer l'opinion "Jupiter a au moins un satellite" et les opinions désastreuses qui pourraient s'ensuivre en matière de validité du géocentrisme. Ce qui, en revanche, caractérise les systèmes démocratiques (pas forcément modernes, d'ailleurs, Platon signale déjà le problème à son époque), c'est que l'opinion peut devenir la norme. C'est, typiquement, le cas des deux exemples de normes cités ici : la "pathologisation" de certaines opinions, l'obsession de la minceur. Dans les deux cas, le fait de constater, empiriquement ou sur une base statistique, qu'une certaine opinion est peu (dans le premier cas) ou, au contraire (dans le deuxième cas), largement partagée, donne à cette opinion un caractère, respectivement, répulsif ou attractif. On passe donc bien de ce qui est (ou que l'on croit tel), à ce qui doit être.

descriptionTransformer les opinions en pathologies. - Page 2 EmptyRe: Transformer les opinions en pathologies.

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Merci pour votre réponse: très claire encore une fois. 
La question est le passage de l'individuel au collectif, de tout ce qui fait l'objet pour moi d'une différenciation qualitative entre "norme" et "opinion": par exemple que signifie ce terme si fréquent dans les médias d'opinion publique ? Il s'agit si on y regarde de près juste d'une statistique... On pose une question non pas à l'ensemble de la population française (ce serait trop long, trop coûteux) mais à un échantillon soigneusement sélectionné et dont on sait qu'il va fournir non pas la valeur exacte de l'opinion "publique" (c'est impossible) mais une certaine image de cette opinion, et on va pouvoir estimer scientifiquement avec quel degré de précision cette image correspond à la réalité de cette "opinion publique".
Ce qu'on appelle un biais en statistiques, une probabilité d'erreur ou de justesse selon qu'on soit optimiste ou pessimiste,  et ce qui fait que les statistiques sont rangées à coup sûr parmi les sciences exactes. Et que l'on s'en sert dans quasiment toutes les sciences car elles sont munies de probabilités qui permettent d'évaluer la précision de la mesure. 
Sur un plan épistémologique, avec cette définition des statistiques comme mesure entrainant un critère d'évaluation non subjectif, on se rapprocherait de la définition des sciences physiques: ce qui est observable/mesurable. Le reste n'intéresse pas les physiciens et c'est pour cela les sciences physiques ont totalement forclos le Néant, l'infini, l'Être... et tout ce qui est relatif à la métaphysique et donc ressort de l'ontologie (encore qu'il y ait une différence entre ontologie et métaphysique pour les puristes).
Donc si je tiens compte de ce que vous avez dit et qui  me semble profondément juste, ce n'est pas une opinion qui est pathologique mais une norme qui risque de l'être et là on retombe sur cette norme de la maigreur pour les mannequins, qui tend ou tendrait à se transformer ou imposer l'opinion pour le coup que seul la maigreur est "belle". Et cela se règle aussi scientifiquement et juridiquement dans ce cas précis: des médecins vont dénoncer cela en affirmant que cette maigreur poussée à l'extrême, instaurée comme norme ou quasi-norme par les maisons de couture, est "pathologique" pour le coup, et à l'Assemblée on va voter une loi interdisant les défilés à des filles trop maigres voire jugées carrément squelettiques. Donc "hors-normes" selon les critères propres à la médecine et relatifs à la santé, et qui seront validées par un vote de députés produisant une loi...
Donc pour cela je trouve que la question de départ est un peu biaisée pour le coup et il vaudrait mieux parler de normes pathologiques plutôt que d'opinions pathologiques...

descriptionTransformer les opinions en pathologies. - Page 2 EmptyRe: Transformer les opinions en pathologies.

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La question est le passage de l'individuel au collectif, de tout ce qui fait l'objet pour moi d'une différenciation qualitative entre "norme" et "opinion": par exemple que signifie ce terme si fréquent dans les médias d'opinion publique ? Il s'agit si on y regarde de près juste d'une statistique... On pose une question non pas à l'ensemble de la population française (ce serait trop long, trop coûteux) mais à un échantillon soigneusement sélectionné et dont on sait qu'il va fournir non pas la valeur exacte de l'opinion "publique" (c'est impossible) mais une certaine image de cette opinion, et on va pouvoir estimer scientifiquement avec quel degré de précision cette image correspond à la réalité de cette "opinion publique".

Voir, à ce sujet, ce qu'en dit Pierre Bourdieu dans l'Opinion Publique n'existe pas.

Donc si je tiens compte de ce que vous avez dit et qui  me semble profondément juste, ce n'est pas une opinion qui est pathologique mais une norme qui risque de l'être et là on retombe sur cette norme de la maigreur pour les mannequins, qui tend ou tendrait à se transformer ou imposer l'opinion pour le coup que seul la maigreur est "belle".

Pour Canguilhem, comme pour Foucault, Girard ou Bourdieu, "pathologique" est un jugement de valeur qui s'oppose à "normal". Stricto sensu, on ne peut donc pas dire qu'une norme soit pathologique, si ce n'est, formellement, en vertu d'une autre norme, d'une norme supérieure en quelque sorte. C'est le cas dans tout système juridique où existe, justement, une "hiérarchie des normes" : par exemple, en France, un arrêté doit être conforme à un décret, un décret à une loi, une loi à la constitution, et la constitution aux traités internationaux. C'est le cas aussi lorsque le chercheur en sciences sociales ou le philosophe fait de la norme son objet d'étude et porte un jugement de valeur sur ladite norme. Dans tous ces cas, dire qu'une norme est pathologique c'est dire qu'elle contrevient à la "hiérarchie des normes". Autrement, juger une norme pathologique revient, en général, à considérer plutôt l'opinion qu'elle a déterminée. C'est ce que vous faites à propos de la façon dont vous jugez les "normes" esthétiques de la minceur féminine : ce n'est pas en tant qu'elle formate l'opinion en lui indiquant ce qui est souhaitable en matière de canons esthétique (après tout, les normes de santé publique ont plutôt tendance à décourager la surcharge pondérale et à encourager la minceur) mais en tant que vous constatez (à juste titre) que certaines conduites d'amincissement ont des effets fâcheux sur la santé. Bref, en l'espèce, ce n'est pas la norme "je dois être mince" qui est pathologique mais l'opinion dérivée "j'ai un IMC ("indice de masse corporel", c'est-à-dire le poids en kg divisé par le carré de la taille en m) égal à 15 et je suis en bonne santé". De même que la pathologie d'Emma Bovary ne réside pas dans les normes que lui a fournies sa culture romanesque mais plutôt dans les conséquences pratiques qu'elle a cru devoir en tirer.
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