Sartre, l'Être et le Néant, Tel, pp. 259-260 a écrit:Considérons, par exemple, la honte. (…) Elle est conscience non positionnelle (de) soi comme honte et, comme tel, c’est un exemple de ce que les Allemands appellent « Erlebnis », elle est accessible à la réflexion. En outre sa structure est intentionnelle, elle est appréhension honteuse de ce quelque chose et ce quelque chose est moi. J’ai honte de ce que je suis. La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi : j’ai découvert par la honte un aspect de mon être. Et pourtant, bien que certaines formes complexes et dérivées de la honte puissent apparaître sur le plan réflexif, la honte n’est pas originellement un phénomène de réflexion. En effet, quels que soient les résultats que l’on puisse obtenir dans la solitude par la pratique religieuse de la honte, la honte dans sa structure première est honte devant quelqu’un. Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi ,je ne le juge ni le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode du pour-soi. Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu’un était là et m’a vu. Je réalise tout à coup la vulgarité de mon geste et j’ai honte. Il est certain que ma honte n’est pas réflexive, car la présence d’autrui à ma conscience, fût-ce à la manière d’un catalyseur, est incompatible avec l’attitude réflexive ; dans le champ de la réflexion je ne peux jamais rencontrer que la conscience qui est mienne. Or autrui est le médiateur entre moi et moi-même : j’ai honte de moi tel que j’apparais à autrui. Et par l’apparition même d’autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui. Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n’est pas une vaine image dans l’esprit d’un autre. Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui et ne saurait me « toucher ». Je pourrais ressentir de l’agacement, de la colère en face d’elle, comme devant un mauvais portrait de moi, qui me prête une laideur ou une bassesse d’expression que je n’ai pas ; mais je ne saurais être atteint jusqu’aux moelles : la honte est, par nature, reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit.
Pour une approche psycho-sociologique de la honte, j'ai lu avec intérêt Gaulejac, Aux racines de la honte (il est un spécialiste de la chose, il en a fait d'autres, peut-être mieux, mais je n'ai lu que celui-là).